parfois le silence

Vendredi 24 avril 2009

 

On pourrait croire que la petite girafe bleue qui insiste dans la mémoire d’une mémé, qui a voyagé d’un tiroir à une armoire, d’un placard à une commode, on pourrait croire que cette girafonne n’a jamais trouvé sa place,27112009012 on pourrait imaginer qu’elle a traversé des rues et des villes dans une poche de salopette, et, qu’oubliée, elle a perdu sa tête ou bien sa queue au fond d’une poubelle immense, on pourrait aussi se dire qu’elle a servi à recueillir certains secrets, à regarder son ventre ouvert sur le cache d’un tout petit magnétophone. Bien des choses inutiles restent et résistent à la compréhension ordinaire.

examiner les peccadilles

de leurs vies, si éloignés
ils sont payés moitié prix maintenant, déjà que les prix sont les mêmes qu’il y a trente ans, ça veut dire qu’il y a trente ans ils étaient bien payés
mousse élémentaire de conduction (le temps, pour les réfractaires)
Zoda et Zi, inséparables oiseaux d’Asie : Zoda meurt, reste Zi, puis rien
la cage se vide, quelle cage ?

cerveaux productivistes sommés de produire du sens
ils ont été diagnostiqués structuralistes, il n’y a aucun traitement
ils ont vendu leurs livres de linguistique, notamment Aspects de la théorie syntaxique, de Chomsky
Zoda et Zi, inséparables oiseaux d’Asie : Zoda meurt, reste Zi, puis rien
la cage se vide, quelle cage ?

absurdité du jardinage, exploitation du jardinier
tondre l’immense pelouse par temps de pluie
pour que les propriétaires en jouissent ensuite
de la vue, oh, de l’allongement du corps, ah, de l’odorat, hum
Zoda et Zi, inséparables oiseaux d’Asie : Zoda meurt, reste Zi, puis rien
la cage se vide, quelle cage ?

la langue de l’ennemi dilué a infiltré leurs vies
ils n’ont pas pu produire d’anticorps, trop occupés avec les prix
le niveau des prix, le volume des prix, la hiérarchie des prix
ils ont secoué la tête : comme ça très fort
Zoda et Zi, inséparables oiseaux d’Asie : Zoda meurt, reste Zi, puis rien
la cage se vide, quelle cage ?

03082014871

 

 

quelques peupliers visibles

Dimanche 7 juin 2009

 

——————- des filaments de mots, bleu cime noire ; miss, pourquoi des arbres au bord des routes, à quoi servent-ils ?

ils parlent, de plus en plus fort, droite, gauche, lunettes, col ouvert, crâne chauve, série B, hyperbole, racines noires de la blonde, lunettes, regards affolés, brouhaha, odeurs, haleines, insulaires de France ————————

un homme au bord de la route, jambes écartées, git, dormeur du val, bonjour, eux, casqués brillants, harnachés, autour furtivement lui soufflent dans les bronches, on passe, surveillant la vitesse, ronronne la vitesse ——————————

au niveau national, au caniveau national, régresse, bouleversement, séisme, cherche la tête, cherche qui parle, feuilles frissonnantes, brillantes, bicolores réversibles, caput mortuum ————————-

échec, reconstruire, identité, défi, message, valeur, crise, crise, valeur, centre, ouverture droite, fermeture, gauche ————–

un homme, au bord d’un continent, jambes écartées, bras écartés attend la mort, semblant dormir, semblant dormir ——-

 

 

grammaire | jaune

subitement : les relatives adviennent – aucune principale, aucune
ne vient –, les relatives abondent, la phrase se tue, c’est depuis longtemps, la phrase se tue, trop de subordonnées débordent l’architecture, la phrase s’affaisse, atteinte, tchoum tchac

la phrase s’emmanche mal, ne s’emmanche pas ; le mode actif ne convient pas, il y faut de la lassitude, de la langueur, de la méridienne alanguie, de la Récamier, la phrase a besoin de glander sous les pales du ventilateur, passive

c’est que le sujet n’est pas bon, il n’est pas bon, il est une im-passe, il est imbu, il est intraçable, la méthode est Coué ou rien, elle est Coué, ok, faire rewind, remonter le courant, et, malgré l’empêchement, malgré l’obstacle, sauter, remonter le courant, sauter, Don DeLillo, L’homme qui tombe – à pic

alors : Henry Miller sur son lit de mort ; rien d’autre ; ou bien ça tient, ou bien ça tient pas, ou bien ça recule, ou bien ça avance, ou bien ça va se faire, comme si ça allait se faire, encore un effort à l’envers

tout s’est évanoui dans une torpeur par avance absoute ; Sarraute et sa littérature au microscope, elle explique comment elle construit quelque chose autour d’une phrase, par exemple :

« Ah ! ne me parlez pas de ça ! »

musée parole et geste

 

 

 

 

postposé

il suit du doigt, phrase après phrase, le texte dans le livre,
le doigt revient fréquemment sur un mot, pas n’importe quel mot : l’adjectif,
et il rectifie : il remet en place l’adjectif et le substantif

il est blond, de cette blondeur fanée des vieux bébés

il retourne le syntagme : il replace l’adjectif comme une mèche échappée, avant le substantif, il préfère l’anteposé, il a toujours préféré l’anteposition de l’adjectif

dans la pièce aux murs nus, levant les yeux, il remarque : il y a des murs, l’embrasure des fenêtres est doublée de cages de verre, c’est un double vitrage double-vitré très épais

il semble ne pas savoir qu’il ne peut pas modifier l’ordre des mots dans le livre imprimé, avec son doigt, qu’il croit magique, il déplace et replace, en suivant le mot avec son doigt, et en le disant, en disant le mot qu’il déplace, en répétant le syntagme dans le nouvel ordre, dans l’ordre qu’il a choisi

dehors, et malgré la cage de verre de chaque fenêtre, on entend les voix, les cris, les rires des promeneurs au bois, c’est une sorte de printemps un peu raté, mais le bois existe toujours, les familles sortent au bois, il faut aller au bois, c’est un impératif catégorique de la catégorie printemps nouveau postposé

dedans, les murs de la pièce longue continuent d’être nus, le vieux blond continue de suivre la position des adjectifs, page après page, inlassablement

Sa conférence

Dans cette nuit qui les contient toutes, descendant la butte, ivre, elle titube, il est environ trois heures du matin. L’air est froid, son grand manteau ne la couvre qu’imparfaitement, les pans volent autour d’elle, la femme ivre. Elle descend la butte du côté le plus ingrat, le moins intéressant à descendre, vers le nord. Elle n’est naturellement pas en état de se rendre compte de l’intérêt comparé de descendre la butte de ce côté-ci ou de ce côté-là. Il n’y a aucun enjeu perceptible. Il semble que la descente soit plus simple que la montée, et, étant donné qu’elle est au sommet de la butte, elle ne peut qu’en redescendre.

L’éclairage de la rue, son ampleur, son côté manteau long enveloppant, la protègent, lui font un signe amical, et, dans le pub discret dont on distingue l’entrée à mi-hauteur, on joue aux échecs dans une basse lumière rouge, écroulé dans un vieux cuir défoncé si râpeux d’être usé. À cette heure, il est fermé, et la nuit enveloppe la rue en un cocon de mirage occidental réfléchissant toutes les villes dans lesquelles elle se verrait marcher.

Cette femme a une certaine idée du monde en descendant la butte, il le faut, car, se maintenant debout grâce à son idée du monde, elle évite de trébucher. Il se pourrait qu’elle trébuchât si l’idée devait partir. Elle se force à conserver l’idée, et ce n’est pas facile. Elle s’accroche à un ou deux mots, qu’elle répète, sur des tons différents. Si les choses existent encore, si les manteaux, si les idées, si tout ne disparaît pas, ici, dans la faible lueur cliché des réverbères, si le réverbère lui-même ne disparaît pas dans le trottoir, si elle reste, elle, droite dans la tourmente du monde qui se finit, le monde se finit toujours à proportion de l’ivresse, si elle arrive à rentrer chez elle, si le chez elle a encore un sens, alors la nuit pourra se poursuivre.

Tout en marchant, elle réfléchit aux apparences des choses, pas seulement les choses, mais leurs semblants, leurs formes, au travers des regards échangés, détournés, fuités ou plantés, dans le désir qu’ont les humains d’être ensemble peu importe comment. Descendant la butte avec précautions, la femme occupe sa nuit, l’ouvrant en grand dans le ciel dégagé, ouverte au froid du ciel dégagé dans la chaleur de son ivresse.

Vacillante, la femme ivre aime cette sensation d’avoir un peu froid, répond à de nombreux interlocuteurs, fait pratiquement une conférence comme ça se pratique beaucoup en ce moment : les gens se regroupent pour écouter des conférences, et même s’ils ne peuvent pas répondre tout de suite, ils le font après autour d’un verre, elle fait une conférence descendante, il suffit de ne pas trop se pencher. Elle répond successivement aux gens à qui elle pense, elle ne peut pas leur répondre à tous en même temps, surtout qu’il faut qu’elle surveille son équilibre, il y a une liste d’attente, on ne sait pas combien ils sont. Il faut les entendre et les voir, comme ils veulent répondre, comme ils se coupent la parole, pour répondre, pour placer leur réponse, pour répondre, c’est comme un prurit, une drogue, un héhé désespéré, hé, répondre, hé.

Dans le grand réservoir de la langue, avec tout le fatras qu’on est en droit d’y trafiquer, il y a ce verbe, qui permet d’aller à l’origine de la chose : au début, nous répondons. Avant-même de questionner, nous répondons, nous voulons parler, nous aussi, alors nous répondons à qui nous questionne. Nous percevons les questions, nous les reproduisons, et même en questionnant, nous répondons, dans l’écart que nous ne pourrons jamais combler.

Sa conférence, passablement chahutée par son humeur intérieure, le vacillement, la recherche de l’équilibre, le contenu de son estomac au bord de se renverser, ne tient aucun compte de la donnée chronologique ni d’aucune donnée susceptible de rentrer dans un programme défini. Elle a fort à faire avec son équilibre et le froid. Son corps, pris dans un entrelac d’oscillations sans cesse réajustées pour contrer la loi de la pesanteur, parle :

un homme (h), un jour, trouve une femme (f). Le trouvé serait le régime le plus commun de la rencontre, de l’absence qui devient présence, de l’aveuglement transformé en raison, de la croyance en un cheminement partagé, de la coïncidence appelée, bref, de la paresse faite existence. Ni la rencontre, ni l’apprivoise, ni lui parle, mais : la trouve. La trouve comme on trouve un lacet orphelin, une petite photo jaunie, une soucoupe dépareillée. Sauf que c’est une femme. Et qu’à cette femme, l’homme offre des chaussons et des soupières, de quoi être à l’intérieur, de quoi se remplir le ventre, résister à un siège, on ne sait jamais qui attaque, oui, il faut se tenir prêt à la riposte.

h sait tout, f ne s’en rend pas compte tout de suite, mais rapidement, entend et voit qu’il sait tout, et s’il sait tout, il bouche tout l’espace, toutes les soupières avec ce savoir-couvercle ;
h répond toujours je sais, il n’a pas de trou dans son savoir, pas de trou en lui, il est plein, compact comme une compression de casse automobile,
il répond : ce truc marche s’il doit marcher et s’il ne marche pas il marche quand même parce qu’il doit marcher ; f n’a jamais rencontré un type pareil, la réalité doit se plier à ce qu’il conçoit.
h répond je sais, il répond des choses définitives, il veut absolument fixer les choses, il aime les rituels, ça l’aide à fixer les choses toujours en mouvement, toujours vacantes sinon.
h use du langage comme s’il en était propriétaire, tout seul, alors qu’on est en multi-propriété, qu’on possède tous un bout de la cabane qui nous abrite quand on parle.
h se tient très droit, le menton presque relevé, comme s’il défiait l’ensemble des êtres se trouvant sur son chemin ; il fend la foule, les épaules fixes, le torse mécanique, à travers les marchés bondés, les rues traversées, les plages au soir désertées quand c’est le meilleur moment, celui qu’il doit chercher, toujours le meilleur moment, la meilleure place, celle-là, si.
h cherche systématiquement la meilleure place pour lui-même.
h aurait un vouloir démesuré sur les choses, sur f

…et alors je ne vois pas la conséquence de cette histoire, conclut plus ou moins froidement la femme ivre, essayant de ne pas se tordre la cheville lorsqu’elle doit descendre du trottoir ou contourner un obstacle. Non, je ne vois pas où ça mène, mais qu’est-ce qu’il fait froid, ramenant les pans du manteau, titubant encore. Elle a toujours voulu de ces longs manteaux dont les pans se ramènent en un mouvement tournoyant. Elle ne se lâche pas, jamais, elle ramène les pans du grand manteau, elle se tient comme elle tient le manteau, rien ne peut la découvrir, la détisser, la désamouraïser. Tiens, dans samouraï il y a amour et haï, remarque-t-elle.