l’image, comment t’est-elle parvenue ?

 

il s’agit de Trieste, plus précisément du port de Trieste,
de l’endroit où il y a de l’eau et des bateaux,
mais aussi des bâtiments vénérables & nonchalants
de pierre blonde

il s’agit de cafés profonds et de façades sculptées,
à ne pas savoir trier les statues d’écrivains,
pauvres témoins de ce qui eut vie ici

comment, du regard étalé, proviendrait
celle qui te surprit : l’image ?

comment les neurones se sont-ils connectés
et qu’adviendrait-il, en un moment inusité,
d’une image, celle de Trieste ?
pas de réponse

une autre, qui ressemble à une de Provence
tant décevante,
d’amandiers donneurs d’amandes à ramasser,
de colline à gravir en suant
vers une chapelle modeste mais dominante
à chaque vent ouverte,
s’intercale sans préavis

Trieste a disparu, triste un peu resté,
depuis une éminence gravie
regarder d’une position dominante
la beauté déclarée des oublis empilés.

”et à part l’écriture ?…”

 

 

à maman, fortement !

 

les humains tout petits comment
sont debout sont droits sur leurs jambes
les humains tout petits vont d’un point à un autre
dans l’espace et le temps
vont au même endroit
en sont au même point

les humains vont encore
vont et viennent dans le décor
les humains moins un moins deux
les humains à l’horaire soustraits
s’en vont remerciant à qui mieux-mieux
se bousculant dansant
dans une éternité retrouvée
cette si souriante éternité

les humains se causent inutilement
les humains tout petits comment
restent là où il sont
c’est toujours le mieux
ou sautent dans l’ailleurs
c’est toujours l’herbe plus verte
toujours l’heure de l’élan d’avant
jamais l’heure du maintenant

les humains tout petits s’égayent
comme ils peuvent avec leurs vieux outils
leurs spectacles leurs confiseries
la redevance de leur être si chère
qu’ils la confisquent dès que possible
au détriment de leur existence

à la fin du feu craquant

 

 

tous les enfants en scène s’il vous plaît
tous les enfants en scène merci
il y faut des points d’exclamation
et des pas chassés
des ternaires appuyés
filles vers garçons deux par deux

de flammes sans air
feu craquant

flammèches s’élancent
ce sont les circonstances
qui font les ardeurs dégringolées
les souffles longs les aspirations

tout ce qui s’embrase s’élève et accélère et cède
entendre le final de l’opérette
leurs sourires choraux satisfaits
le bousculement symphonique
pour que la fin soit fin consumée
à la fin du feu craquant…[Da Capo al Coda]

– considérations énervées sur le feu –
le feu a besoin du petit secret mais avant d’en arriver là,
il lui faut de l’air, beaucoup d’air, il a besoin de verticalité et de rondeur
mais surtout de séparation
il faut qu’il puisse s’exprimer, qu’il ne soit pas étouffé
sinon il fume, rageusement, il fume et enfume

le petit secret c’est tout au bout quand il a brûlé.

Peinture de Nikolai Makarov, Museum der Stille, Berlin

des hivers intérieurs / s’appeler violons

 

 

violons zézayant, hautbois,
harpe scandant, flûtes longues,
accélérations, roulements de tambour,
orientalisme, coup de gong,
doigts précipités sur darboukas,
persistance des zzzzz des violons,

secouement de tubes remplis de grains,
montées chromatiques des violoncelles,
reprise magistrale par le chef et sa tête
c’est la même chose : caput

et le piano, de syncopes et de retraits vifs
comme mains brûlées sur casseroles
lenteurs d’un xylophone soudain,
menace possible de trompettes,
grandiloquence instrumentale

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bien-être conclusif, caressant, éclairages,
certitudes feutrées,
échappée de lumière vers couloir serti de livres

corps allongé sur canapé
piano Superman
pianiste peintre sculpteur

être Bach, oh, être lui, être seul, toujours,
dans le palais de la mémoire vive.

Johann Sperl, Ferme à Betzingen, 1873 (décadré) [Alte Nationalgalerie, Berlin]

avant que j’oublie /

 

 

j’ai fait une soupe
MAIS je voyais la page autrement
je suis déçue de la page
je me coupe le pouce
en coupant un légume
je crois que c’était une courge
j’aimais pas les soupes de mémé
mais maintenant c’est la mienne de soupe
ça n’a plus rien à voir
c’est même plus une soupe c’est autre chose
qu’une soupe c’est une soupe la mienne
je me coupe le pouce
je fais cramer le moteur du mixeur
une flamme sort du mixeur
j’ai très peur j’ai vu la flamme sortir
j’ai fait une soupe flamme
j’ai débranché le pied-mixeur
tout ce qui écrit est vrai
tout ce qui est orange est une soupe
je nie le fait que c’est une soupe
c’est une orangée crémeuse
c’est à peine même pas même plus une s.
je me coupe une soupe me loupe
et la page se change
elle court dans le dressing et se change
elle ressort bien nette

c’est la post-vérité soupée
tout est vrai même mémé.

les oeufs de lump dominicaux ~

 

aux quatre autres
(on n’a pas fini de rêver)

 

c’étaient des mots petites billes noires
sur tartines sèches grainées de sésame
en petit tas liées par un ordre doux
texture fondante maintenant les grains
à l’intérieur d’un système ~

les oeufs de lump noirs du dimanche soir
quand le ciel s’obscurcit
qu’il était temps d’installer avec le thé
l’ensemble des nourritures ordonnant
le goûter-dîner rituel de six heures ~

un allant résolu de règles allemandes
du tôt manger tôt coucher
aux mille bornes sous la coupole de lumière
donnait à leurs dix mains mobiles
le choix de prises aux cris sans excès ~

des mots petites billes noires
d’un discours savant & lié
en bouche éclataient d’un jus salé
des mots petites billes noires
saturaient l’obscurité du dimanche soir ~