- écrire, c’est ne pas écrire, c’est principalement ne pas écrire
- écrire n’est pas un savoir : je ne sais pas écrire, je n’ai jamais su écrire
- écrire serait pour savoir pourquoi on écrit (mais le “on” reste insatisfaisant, autant de “on” que de “je” ; de même “savoir” est insatisfaisant)
- écrire est souvent insatisfaisant
- écrire présente une fâcheuse tendance à couper les cheveux en quatre
- écrire est souvent lourd
- écrire est surtout au mode conditionnel : serait ; écrire serait
- écrire n’est pas écrire des livres
- écrire, c’est ne pas pouvoir ne pas écrire, principalement
- mais dans écrire il n’y a rien de principal : tout l’est
- dans cette principalité d’écrire, règnent de nombreux livres chéris, écrits par de nombreux qui écrivent, ou plutôt qui ont écrit de leur vivant, souvent ils sont morts depuis un bail
- peu nombreux ceux qui écrivent au sens d’écrire, en réalité, et il arrive qu’ils soient vivants
- écrire est une approximation pandémique
- écrire est souvent refuser d’écrire, refuser de raconter, refuser de se plier à la grande racontade généralisée
- écrire est/serait refuser de s’asseoir, ce qui complique la tâche
- écrire n’est pas une tâche, c’est pourquoi
- écrire debout est aussi une forme d’écrire
- écrire en mouvement n’est pas possible sauf à dicter ce qui n’est pas écrire ; comme écouter des livres n’est pas lire
- écrire est aussi une liste de préceptes dégoûtants comme tous les préceptes à l’indicatif
- écrire est aussi mettre des frontières entre ce qui est écrire et ce qui n’est pas écrire
- la mise en frontières dure généralement toute une vie, la sienne, bien qu’on (encore ce “on” insatisfaisant) n’ait absolument aucune visibilité sur elle
- écrire est donc aller à l’aveugle
- écrire n’est pas su immédiatement (instantanément)
- sauf avec l’arrivée d’internet : écrire se sait immédiatement (instantanément)
- mais alors ? risque de disparition d’écrire ?
- oui, risque de disparition majeur de la principalité d’écrire
- écrire est de l’ordre du renseignement : voir sans être vu, lire sans être lu, mystère et boule de gomme
- très souvent, écrire est écrire quelque chose
- écrire est intransitif, et ne devient transitif que par accident (cf. point 8)
- lorsqu’écrire est transitif par intention, comme dans “j’écris un livre”, c’est qu’il y a tentation d’apaiser l’inquiétude, le monde s’inquiète de la non-intention, de l’intransitivité (les relations sociales ordinaires se soutiennent d’un objet : cf. “chercher un travail” et non “chercher” tout court, “faire quelque chose” et pas “rien”, le “rien” n’étant malheureusement pas considéré comme un “quelque chose”)
- écrire : l’art de la juxtaposition, de l’ellipse : un changement : un tournant : un ultime touillage de la marmite pour y racler le fond : une obstination
- écrire peut désormais se passer d’un poste de pilotage ; la notion de bureau est en voie d’extinction, et avec l’ensemble des notions affines : bibliothèque, papiers, classer, manipuler
- écrire peut être un amusement, une corvée, une souffrance extrême mais pas une cocotte en papier ni un arc-en-ciel
- aussi bien écrire devient l’arc-en-ciel auquel s’arriment des milliers de cocottes en papier
- écrire n’est pas une preuve de l’existence
- écrire n’est pas non plus rien
- écrire suppose de beaucoup se promener
- écrire n’est pas pour autant une promenade
(à suivre, je vais me promener ; écrire est à suivre)