comment tuer un livre par son résumé

 

Dublin (ter)

 

Il ne reste presque rien de leur promenade dans Dublin.

L’achèvement de la bipolarité mondiale laissera le monde monde : unique. Un seul monde accouche de la mondialisation du monde. Fin des ennemis. Eux vont faire un enfant l’année prochaine. Ne le savent pas encore. Un peu des ennemis comme ceux qui s’aiment ; s’unir pour procréer un être unique.

Le temps présent : Gabrielle et Luca sur le pont supérieur du ferry, accoudés au bastingage. S’ennuient. Les années 80, vaste désert d’ennui. Avant la déflagration berlinoise qui préfigure l’enfant. Un mur tombera.

< des conditions ordinaires >

 

 

en d’autres langues
s’entrechoquent
tant de personnages

 

cueille des mûres mûres
le long du chemin
sa bouche en sera noire

sac au bout du bras
jettera ses bouteilles
dans le conteneur adéquat

 

tant de personnages
au pied de leur mur
n’imaginent pas d’autre vie

catapulte des siècles
ombres encore portées
sur ces vieux pays frottés

 

marche en ballerines
comme une comtesse
l’herbe à peine foulée

marche sans but
dans le village mort
s’assoit au cimetière

la plaine vers la rivière
comme un décor
ou une chute.

                                                                                                                                                     – Ford Mustang 1966 –

 

 

homme, femme, fleurs, réflexion(s)

 

 

l’homme qui s’occupe des fleurs
enlève les pétales fanés tout en parlant
avec une vieille femme
tout en répondant à ses questions
la vieille femme pose des questions précises

l’homme qui s’occupe des fleurs
a la peau bronzée
on n’en saura pas plus
bien sûr qu’on en saura plus
il répond à la vieille femme très précisément

toutes les questions de la vieille femme
sont prises en compte toutes
elle réfléchit et dit encore
et ces fleurs pourquoi sont-elles en feuilles
parce qu’il arrive qu’elles soient dérangées

les fleurs peuvent mettre du temps à arriver
elles ne se trouvent pas bien là où elles sont
elles réfléchissent alors
oui il suffit d’un mètre même pas
et tout change et elles fleurissent

la vieille femme semble perplexe
elle a vu le teint hâlé les yeux noirs
de l’homme qui ôte les pétales fanés
un à un de larges pétales roses
tout en répondant à ses questions précises

longtemps après elle se souvient
du teint de l’homme et de ses yeux noirs
plus que de ses réponses
elle l’a regardé comme elle regardait les hommes
il y a si longtemps quand ils réfléchissaient

qu’elle ne s’intéressait ni aux fleurs ni aux oiseaux
mais seulement à la force des hommes
à leur musculature à leur odeur à leurs bras
peu importait ce qu’ils prenaient dans leurs bras
pourvu que ce fût elle.

 

*

 

j’ai ensuite demandé à ChatGPT :
– tu peux écrire un texte poétique sur “l’homme qui s’occupe des fleurs” (titre initial de mon texte) ?
voici sa réponse : un poème, également composé de sept strophes, bizarrement,
mais en quatrains (vs ma composition en quintils libres)

Dans un jardin secret, là où les douces brises murmurent,
Un homme bienveillant s’occupe des fleurs avec ferveur.
Tel un artiste, il danse parmi les parterres colorés,
Son amour pour la nature en chaque geste sublimé.

Tel un orchestre invisible, ses doigts habiles jouent,
Une symphonie florale dont les pétales s’épousent.
Il comprend les secrets de chaque plante et de chaque graine,
Les caressant avec délicatesse, sans peine.

Il connaît les cycles de la vie, les saisons qui s’enchaînent,
Des bourgeons fragiles aux fleurs qui se déchaînent.
Avec tendresse, il leur offre l’eau et la lumière,
Veillant sur leur épanouissement, leur destinée éphémère.

Il est l’âme qui donne vie à ce jardin enchanté,
Ses mains, telles des baguettes, sont habitées d’une magie.
Chaque bourgeon qui s’éveille est une note de bonheur,
Éveillant les sens, éblouissant les cœurs.

L’homme qui s’occupe des fleurs, gardien de cet éden,
N’est-il pas un poète, un jardinier de l’infini ?
Dans chaque pétale, il contemple la beauté du monde,
Et son amour pour la nature ne fait que grandir en onde.

Ainsi, cet homme, humble messager de la terre,
Donne voix à l’expression d’un amour solidaire.
Dans son jardin secret, il révèle une vérité précieuse,
Que l’harmonie avec la nature est un trésor merveilleux.

Alors, saluons cet homme, ce gardien des fleurs,
Qui, par sa passion, embellit notre existence en couleurs.
Son amour pour la nature, un cadeau à préserver,
Pour que ce jardin de la vie continue à prospérer.

Oeuvre de Patrick Renaud, photographe contemporain. Son site (partagé avec Marie Combes) pour un aperçu de leurs nombreuses séries : COMBES & RENAUD 

diminution des capacités I et II

 

 

I – l’homme papa

 

cette : perdition
ce : tournoiement de mots impuissants
dans les : pensées tournantes
volantes : qui circulent et tournoient
de gauche : à droite
sans jamais : se poser

l’homme papa : dans un couloir errant
dans ce couloir : chambres avec numéros
sa chambre : perdue
le numéro : perdu
juif errant : homme pleurant
papa perdu : volutes de pensées instables

le couloir : sépare et conjoint
les chambres : paires et impaires
l’homme papa : dans la chambre paire
pas la sienne : pas à soi
ne retrouve plus : l’impaire
sa chambre : monde disparu

monde dans lequel : comment être ?

 

II – la femme maman

 

dans le couloir : tenter de remarcher
lentement : un pas après l’autre
s’appuyer : sur le mur
se hisser : hors du fauteuil roulant
sans le bras gauche : mort
avec la canne : quadripode

la femme maman : hémiplégique
dans le souci de : l’homme papa
de l’autre côté : du couloir
elle dans sa chambre paire : lui venant
sans cesse revenant : dans sa chambre
sans cesse : cherchant quelque chose

le couloir : leur vie
l’homme papa : chercher
la femme maman : marcher
c’est pas une vie : le couloir
c’est pas une vie : les chambres à numéros
c’est pas une vie : leur vie

monde dans lequel : désêtre ?

[& même s’il y a un jardin, des visites, des amis, des enfants, des couleurs, du soleil…]

 

                                       © Jérôme Borel, Sur le carreau (peinture acrylique, 160 x 200 cm), 2021 (détail)

 

 

 

 

 

:: paysage désactivé d’eux ::

 

[à eux]

paysage désactivé voir ce que j’en fais
maisons disposées sur les collines
serrées entre elles se chevauchant

oh les beaux nuages presque dessinés
j’ai jeté ce livre de Bonnefoy trouvé
n’en voulais pas trop de Dieu dedans

les branches du figuier les fleurs des iris
faire une photo d’eux se tenant debout
décor voiture rouge foncé portail ouvert

je devrais photographier les branches
du figuier voici ce que je dis en me garant
à les toucher ces branches fières
et leurs feuilles nouvelles si vertes
je tourne le gros bouton des fréquences
difficile d’entendre la radio grésiller

le regard ne fait que voir sans faire
maisons au loin dessinées collines
paysage désactivé par leur absence.

 

Rester, verbe d’état.

 

 28 mars 2020

J’ouvre les volets, brassée d’air frais au visage. Je pars. C’est décidé, le ciel est bleu, je pars. Je prends ma voiture, l’A86, l’A15, je vais dans le Vexin, je vais dans l’herbe. Je vais, je pars, j’use de verbes rouillés depuis deux semaines. Une dépense folle de verbes de mouvement. Une ivresse de la vitesse interdite, cheveux au vent. Je fugue, je me casse, je roule vers le vert. Rien d’autre que le vert. Dans un premier temps. Puis rouler vers la mer dans un second. Luxe des luxes. Quitter la ville vidée. Partir dans la campagne vidée.

Hier soir, elles criaient Bravo les docteurs !, les petites du premier d’en face, massées à l’orifice de la fenêtre, volet descendu, cous tordus vers le haut. Je sifflai entre mes doigts, puissamment, index et majeur des deux mains dans la bouche, langue repliée vers l’arrière. On applaudissait fort, ça criait, on applaudissait encore, on se regardait dans la nuit. Les lumières blanches acides des smartphones dessinaient des intentions, caressaient les ombres des angles. Chacun tentait de dire et de répondre. Verbes de parole. Ce qui émeut, dedans. Et qu’on ne sait pas.

Ce matin je me tire, c’est une fugue diurne. Je pars dans les mots, j’invente les verbes de bord de routes herbes folles, je me penche et cueille tout en roulant des énoncés de paysages, des descriptions de reliefs, d’arbres inconnus. De déchirements intérieurs aussi. Bravo les docteurs ! La police veille. Je n’ai aucune raison valable de partir, de rouler, d’aller. Rester, verbe d’état. Je reste chez moi, l’État me le demande. J’obéis. L’État c’est moi, j’use d’un verbe d’état. C’est cohérent.

Je choisis les mots mais ils manquent, comme d’habitude. Je voudrais ne pas les écrire, n’en écrire aucun et rouler à la place, et m’arrêter pour regarder l’horizon si je le décide. Je serais empêchée d’écrire, obligée de me tirer, de fuir un danger. Je me cache. Je préfère ne pas me cacher. Bravo les docteurs !, ai-je crié avec les petites. Verbes de parole, c’est de la rigolade, ces verbes, du blabla pour toutous à sa mémère. Je veux du verbe d’action, du verbe costaud, du qui déménage : je décide. Je décide de ne pas partir. À la place, j’écris. Comme quand j’étais malade. Mais je ne suis pas malade. C’est un semblant. Je suis l’État. Je reste chez moi.