D Day ou un autre, ode à une tulipe

 

 

tu as raison de faire comme tu fais
tu ne saurais avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane
rouge mais pas pivoine

tulipe ! tulipe ! tulipe sans verbe
et jaune et rouge aux larges pétales pavanés
sans infante défunte aucune

ces tombes abandonnées
ces noms qui se répètent à l’envi
ces petits morceaux de verre violet
et vert et blanc tout mélangés
en ratatouille de verre étalé
leurs oripeaux d’étain manifestant
qu’eux ont été il y a un siècle

tulipe insistante malgré le rouge déjà passé
de tes trop grands pétales encore tenus
et dont le vent chavire ta tige
dans son étroite plate-bande

tulipe ! comme un mot d’ordre claqué
à la tête des empires
qui crânement propose et promeut
depuis tes attaches fines l’effet d’un drapeau fou

tulipe ! à ta raison qui s’échappe
personne ne peut répondre
tu ne saurais avoir avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane.

                                                                             La Dame à la licorne, ”À mon seul désir”, entre 1484 et 1538

 

[il n’y a] plus rien que je sache

 


je me laisse aller en écoutant Barbara chanter sa chanson sur l’inceste qu’elle a subi

couper la phrase ?
je me laisse aller, zuerst
und dann, wir sehen au futur : wir werden sehen
oui, tout ce que nous verrons se verra

je me laisse aller, je suis une sorte de liquide épais coulant comme du caramel
(la panique me saisit quant à couler sur quoi)

et maintenant on nous sert Jean Ferrat
on revient dans les années d’enfance lorsqu’on mettait ce disque
sur la platine dans cette famille qui l’aimait tant
pourtant que la montagne est belle
comment peut-on s’imaginer, en voyant un vol d’hirondelles

pourrions-nous savoir ce que nous aimions, enfants ?
nous aimions ce qui était aimé par nos parents (et alors ?)

ce dimanche ressemble à un samedi
à la radio
il y a cette fête de famille, ce soir, peu après le solstice :
l’enfant paraît, les jours grandissent, etc.
et maintenant Nougaro : dansez sur moi le soir de mes funérailles

quelque chose d’incompréhensible se produit :
la couleur du bois est celle du caramel que je suis devenue

dans mes oreilles et dans mes yeux
dans mon ventre
au bout de mes doigts
ce sera plus simple si je me laisse aller en caramel bois
zuerst ; un dann, wir werden sehen…

24 décembre 2023
faux conte solipsiste de N.

 

…chose la plus immatérielle… qui soit

 

 

de l’eau au jardin il en faudrait –
le son d’une goutte sur le grès dans la nuit
la vue diurne sur la lisière du toit
au-dessus du mur de brique rafistolé

de l’eau au jardin le son rassurant
des fontaines andalouses
entre dans la profondeur d’un seul mot
qui entre ? et qui entrera ?

parce que c’est impossible à dire
existent, flottants, ces mots
existent, particulières, ces percussions
encore impossibles, ces couleurs

le geste de jongler d’une main
avec des oranges volées
& le rire qui vole aussi loin
vers les buttes hautes…

j’ai demandé à Dall.e des images pour ce titre,
…chose la plus immatérielle… qui soit

une fois que j’avais vu la variation qui me plaisait, l’original me parut de plus en plus fade

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

l’espace l’enthousiasme / siasma

 

 

la fleur rouge vermillon
vermillon !
seule en bas du petit rosier le plus petit !
vermillon tenace, têtue !

(les) questions (sont) hétérogènes
(il est bon de) les poser
– sur l’étagère ? –

vermillon —> verbe vermillonner
stupeur & chatoiement
transitif taffetas bruissant

le vieux chant du vermillon
– pigment de cinabre –
colore le sang le plus frais
de la rose tenace

un calcul de centimètres
permet d’exactement caler
l’objet rare dessus l’étagère

comment (ne pas) se poser la question
lorsqu’elle est mal placée ?
—> arranger l’étagère

la question tenace dura
comme une rose vermillon
la plus petite seule en bas, étonnante.

                  « A french man in New York » de Stéphane Kossmann (Exposition de photographies, Fondation Carzou, Manosque, été 2023)

 

“toutes proportions gardées”

 

 

comment se souvenir de ce qu’on dit
de ce qu’on fait ?
comment se souvenir ?
comment se souvenir des mots
des choses qui sont derrière les mots ?
des gens qui habitent les mots ?

comment se souvenir des mots ?

il fut question du temps
il y avait même des réserves de mots
des caves entières
des grimoires et des locuteurs
et du temps
un mot si lointain si imprécis si fragile

on retrouva même la page où il apparut :

Le temps, dit-il dans le cabinet aux étoiles de Greenwich, le temps était de toutes nos inventions de loin la plus artificielle et, lié aux étoiles tournant autour de leur axe, il n’était pas moins arbitraire que s’il eût été calculé à partir des cernes de croissance des arbres ou de la durée que met un calcaire à se désagréger ; sans compter que le jour solaire auquel nous nous référions ne fournissait pas de repère précis et que pour mesurer le temps il nous fallait avoir recours à un soleil moyen, imaginaire, dont la vitesse de déplacement ne varierait pas et qui dans son orbite ne serait pas incliné vers l’équateur.*

il y avait bien trop de mots
et certains étaient soulignés
et dans la marge était inscrit “le temps”
comme une fébrile redondance
une périlleuse extraction du jus du sens
et il fut préférable d’inscrire
“toutes proportions gardées” à la place
et ce fut fait.

* W.G. Sebald, Austerlitz, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002

suis suis suis (texte)

 

 


suis / suis \ suis

dans un sens oui
dans un sens non

suis l’être
au sol
—> chauffé par le soleil

sons et peintures
revenus /\/\
couleurs passées

un peu de sang sur la touche é

suis l’être
revenu passé chauffé
légère asymétrie [occulte]

déséquilibre machinique
& cuisson sinon

la touche essuyée : é

désordres sans stades
avant pendant autour
avance recule arrêt

suis l’être essuyé
suis l’essuyé é