la boîte à livres et ce qui s’ensuit /

 

 

 

plus placard que boîte, haute et bleue
à deux battants vitrés
à livres : livres rangés, livres couchés,
la boîte à livres et ce qui s’ensuit
un moteur tourne c’est une moto grise
un moteur tourne c’est une voiture bleue
deux hommes se parlent puis démarrent

une main sur la poignée
couverture blanche écriture bleue
des éditions du coeur de la nuit
l’écrivain vivant d’un livre reconnu
appelle l’antan d’une France capitale
titre, auteur, éditions comme une finition
la boîte à livres et ce qui s’ensuit

boîte à déchets de ce qui ne s’écrit pas,
restes sous couvertures criardes
non pas livres, mais lovres, luvres, louvres
aux pages, piges, puges jamais tournées
plus placard que boîte, haute et bleue
au milieu du village de l’écrivain national
ses vitrines passées au blanc de Meudon

et ce qui s’ensuit après que ses battants
furent refermés, la boîte à livres /

marketing extrême & ode à la dorade

 

 

 

Il y a une forme.
Il y a des coïncidences.
Il y a du sens.

Et c’est un bien-être. Un bien-être au jasmin. Oui.
Vous êtes dans un jardin et vous respirez. Respirez bien.
Il n’y a pas de conséquences à respirer ce jasmin.

C’est très simple à comprendre : un petit groupe discute, d’accord avec lui-même.
À la lisière du petit groupe, un ou deux individus ne trouvent pas leur place.
Ils s’ennuient. Ils vont faire un tour.

Après les moments intenses, il y a des moments plats.
Au début, c’est inacceptable.
Puis ce n’est ni acceptable, ni inacceptable.

Intermède : un jour, la mer. Ça ne se décide pas.
C’est un aller-retour. La mer ennuie aussi.
Il y a des sens interdits près de la mer.

Quelque chose d’un visage n’existe plus.
Tous les visages disparaissent.
Éviter l’excès dans la description si possible.

Il y eut quelqu’un. Son visage existe toujours.
Cependant son être disparaît.
Combien de zigzags faut-il emprunter pour arriver ?

Il y a une forme.
Il y a des coïncidences.
Il y a du sens. Jusqu’au moment où plus.

 

 

 

Donatienne à l’heure de la sortie 

 

les années 80, tout est riche, les années 70 tout était pauvre,
Donatienne veut faire de l’argent, c’est une décision,
être pauvre n’a aucun intérêt
  Bataille, la dépense, le potlatch, l’argent –

le camion arrive dans la cour du Centre d’études,

un type pas mal en sort, 

J. arrive dans la cour avec quelques dossiers sous le bras, flanquée d’une assistante, elle s’en va, elle a fait sa journée, elle repart

…mais elle monte à cette longue tige jaune robuste, engin de levage apposé contre un mur, installé par le type, pour dévisser des boulons, avec cette autre femme, hiérarchiquement moins importante qu’elle

l’engin est sale, visqueux, les boulons enduits de pétrole, 

Donatienne dans la cour pense que J. va se salir, 

J. veut essayer le travail manuel, après tout pourquoi pas, a-t-elle coutume de dire

(J. a une écriture tellement grande qu’elle dépense des quantités de feuilles de papier pour très peu écrire, et rature à souhait)

T. arrive, échevelé, en veste claire, dans les tons gris, il a oublié un synthé alors qu’il partent en concert, comme d’habitude, il oublie toujours quelque chose, un comparse l’accompagne, un autre musicien

un autre type assis profite de la lumière de 17h pour photographier son amie, c’est une Chinoise, la lumière d’un support spécifique posé sur la table, bleu profond, se reflètera sur son visage

Donatienne reste là, jusqu’à quand, rien ne l’indique

le type arrivé en camion avec l’engin de levage est assez beau

J. demande en partant, elle crie à Donatienne : tu viens ? 

Donatienne ne viendra pas, elle reste là, sans but précis, peut-être repartir en camion avec le type assez beau ?

J. est morte mais aucune importance, elle grimpe à la tige, grue mobile, engin de levage, toujours cramponnée à ses dossiers, pour dévisser des boulons visqueux enduits de pétrole…

le gardien regarde l’eau

 

 

tête penchée pensif
le gardien regarde l’eau
l’eau coule le long d’une paroi de verre
des hommes en costumes murmurent en singulier colloque
ils consultent leurs montres connectées
dont les écrans se colorent de vert

un écran derrière la paroi
montre des images sous-titrées
d’autres personnes regardent l’eau couler derrière la paroi
on entend une musique assez solennelle
avec des graves lents et des sons mêlés

plus loin à l’arrière on ne sait pas ce qu’il y a
ni si c’est important
il faudrait se déplacer pour voir
or c’est mieux de regarder
ce qu’on voit sans s’approcher

 

en regardant longtemps
une femme de dos sur un écran intrigue par sa nudité
ou bien un vêtement rose imitant la nudité

certains se demandent ce qu’il y a marqué c’est inévitable
et pointent du doigt ce qui les intrigue

ils parlent alors plus fort comme si le fait de s’interroger
les autorisait à monter le ton ou bien
le fait d’être gardiens eux aussi
une gardienne au verbe haut remplace le précédent gardien

elle a un fort accent sud-américain et la gestuelle qui va avec
elle ne regarde rien.

en très peu de mots, poème faible

 

des occupations
faire le tour,
impasse

des occupations,
faire le mur
et passer

mur, mur du temps
qui passe,
impasse des occupations

des occupations
faire le tour,
et disparaître.

 

 

 

dans la rue Belliard déserte

 

au point d’un texte
à vélo
une femme et son chien très petit
au bout d’une laisse
une femme Chinoise
tire sur la laisse
femme le suit
tout petit chien
sur l’allée centrale
tirant vers l’arbre
pour pisser
laisse dont je me
serais débarrassée
à vélo
au point d’un texte
tirant sur ma laisse
pourtant à vélo
à queue tirebouchonnée
et gueule renfrognée
poils courts soyeux
robe rouge de la femme
mon coup de pédale
éperdu
dans la rue Belliard déserte
comme si jamais
ne serais débarrassée
comme si le petit chien
tirant sur sa laisse
tirant la femme Chinoise
étonnée
comme si j’étais lui
décidé vers l’arbre
décidé dans une direction
plus décidé que quiconque
au point d’un texte
à vélo
dans la rue Belliard déserte.

                                                                                                                           Simon Hantaï, Tabula, 1980 (détail)