débarras du regard

 

 

c’est une idée née d’un mur et d’un arbre
plus précisément d’un mur en triangle
en ciment gris
(pourrait-il être autre chose que gris ?)

un mur deux fois “en” :
de son matériau
de sa forme
un mur n’est rien s’il n’est pas monté

et au fond un arbre en pointe
un cyprès très haut
et pas du tout si près
une pointe non triangulaire

une pointe comme un bonnet en pointe
un arbre masqué par le mur
dont on ne voit que la pointe
pourtant si haut

un mur monté ne veut rien dire
ne dira jamais rien qu’il ne veuille
un mur ne parle pas
même en ciment même en triangle

la trace ancienne d’un autre triangle
suppose et superpose une autre construction
la paupière se ferme
débarras du regard

 

 

– – – des joies démonétisées

 

 

il me semble que j’ai connu tout le monde

elles se retrouvent pour manger une glace l’après-midi

si longtemps que je fais semblant de lire

à terre, une enfant au visage mangé par de grosses lunettes aux verres grossissant ses yeux, me sourit au milieu des livres

il me semble effleurer le monde (je n’y entre plus, tout est opaque)

et cette pauvreté des sensations

j’évite ce qui m’est douloureux

je ne comprends pas la différence que fait Michel Schneider entre douleur et souffrance dans son Schumann

marchant pour me fatiguer, répéter je suis fatiguée

une jeune fille aux jambes poilues passe, je suis ses jambes du regard, elle est en short et parle une langue étrangère, elle a aussi beaucoup de cheveux et des poils sur le visage

j’effleure le monde, à peine

deux Anglaises, chacune un verre à pied ouvragé en plastique dans la main, l’un vert vif, l’autre rose fuchsia, devisent sur un banc, se tenant très droites comme si elles jouaient une saynète

plus aucun roman de rien – pourtant –

quelqu’un m’a dit le monde va trop vite, j’ai répondu oui, par paresse, sans réfléchir, & j’ai même ajouté, par lâcheté :

oui, le monde va trop vite.

c’est tous les jours samedi

 

 

l’obsolescence de l’homme
déjà
tous les jours le même jour
vider sa vie
mais comment
(il ne pose pas la question = il tombe la voix, il mue)

il souffre d’une anticipation de sa mort
déjà traversée
de nombreux gestes
de nombreux mots —> inutiles
chacun fait sa vie (dit-elle, souriante)

mots d’attachement nocturne
n’a plus que l’effort
jette les objets
brusquerie au chien !

drame de la chute
drame absurde
les os ne tiennent plus
les muscles disparus
plus rien ne tient !

tous les jours samedi
ça recommence
demain c’est dimanche
un petit secouement
un semblant de joujou
quelques rendez-vous
et l’herbe recueille le sang des valeureux

il y a pire
ils se figèrent
& eurent beaucoup d’enfants.

 

(avec l’aide de mes yeux et d’un film je ne dirais pas lequel)
(et d’une pensée)
(et d’une lumière)
(en plus il faudrait dire qu’ils se regardent et ce serait une tout autre  h i s t o i r e)
(et aussi d’un peu d’étrangeté)

 

 

Étagères à impressions (à propos)

 

 

 

     Tous ces gens qui vont à la campagne. Avec des chaussettes trop hautes, ou trop brillantes. Oui. Ils pourraient y aller seulement de temps en temps. Mais tout le temps ? Oui. Ils croient qu’il en ont envie. Qu’ils ont envie de chemins herbus, de champs, de ruisseaux. Oui, c’est vrai, ils ont envie de chemins larges, de la matérialité des mots dans les champs.
     Pardon ? Oui, ils ont envie du vert en brins, de cailloux pas trop aigus, de petites surprises animales, de faisans en bord de route. Mais qu’est-ce qu’il faudrait qu’ils fassent ?
     Rien. Il n’y a rien à faire. Ils peuvent déambuler sur les grands boulevards. Il n’y aurait pas de crapauds. Ça non. Ni d’insectes aux noms compliqués. Oui, ni de fleurs, et caetera. On peut vite résumer leur envie de campagne : elle est le résultat d’empilements sémantiques. Euh. Oui je sais, tu n’aimes pas ces mots, je suis désolé, remplaçons-les par étagères à impressions. Ils ont des impressions, qu’ils rangent dans des étagères. Oui. On ne peut rien en dire. Non.

     Je n’irai pas chez Jean. On est obligé. Non. Je n’irai pas, un point c’est tout. On verra demain. Ce soir c’est trop tard. C’est toujours trop tard passé un moment. On n’y peut rien. Non plus.
     Finalement j’irais bien chez Jean. Tu as ton manteau gris ? Non, le bleu. Ce type me rend fou. ??. Sa manière de jouer du clavecin. Je me roulerais par terre de plaisir. Mais le sol est spongieux. Oui, il l’était tellement que je marchais dans le mot, pourtant avec précaution. Sol détrempé, autrement dit, mais aucun intérêt de le dire comme ça. Spongieux avec intérêt. Oui. Les Variations Goldberg me rendent fou.

     Qu’a-t-il dit, Jean ? Qu’il n’aime pas les courants d’air. Et donc ? Et donc qu’il se calfeutre, qu’il évite la proximité des fenêtres, des cheminées inutilisées, mais parfois c’est inévitable : le courant d’air est là, c’est un flux à mi-hauteur, il est obligé de se baisser comme pour éviter un javelot invisible. Ah, je ne le connaissais pas sous cet aspect.
     On ne connaît jamais quiconque sous aucun aspect, regarde Mirabelle…Quoi ? Elle vient là, elle s’installe, mais en même temps elle parle sans arrêt au téléphone, elle s’éloigne, elle n’a pas besoin de chuchoter, elle s’éloigne un peu, le cadrage la montre dans une voiture, ses doigts bougent un tout petit peu sur le volant, puis un grand mouvement de la main montre un agacement, peut-être, une impatience, quelque chose.

     Que pensez-vous Frédéric ? J’aime bien vous appeler Frédéric, je ne connais pas votre nom. Je sais, c’est un prénom. Je ne connais pas plus votre prénom que votre nom. Nous n’allions pas à l’école ensemble, non plus. Constat : il y a encore des écoles. Et des sorties d’écoles. Des professeurs et des élèves. Malgré la “déficience des services publics” et la “montée en flèche” de l’IA. Encore des écoles. Frédéric dit à ce moment : oui, mais pour combien de temps ?
     Il est pessimiste, Frédéric. Il est né pessimiste, mais pas dans l’empire austro-hongrois, hélas. Il n’a pas la grandeur qu’il aurait rêvé d’avoir, cependant pas l’espérance de vie réduite de l’époque non plus. Il risque de mourir vieux de plusieurs pathologies superposées.

     Les étagères à impressions, il faut y revenir inlassablement, parce qu’elles constituent le socle des vies contemporaines. Les idéalisations. Les rembourrages de l’ego, le rehaussement, le se pousser du col, l’est-ce qu’à beau comme aurait dit L. Oui. Tu pourrais préciser ? Non. L’est-ce qu’à lier aussi.

     Il faut pouvoir aimer la fin, faire des fins. Et des débuts ? Aussi, bien sûr. Tu dis souvent “bien sûr” alors que tu n’es sûr de rien ? C’est vrai. Aimer la fin, le début, l’objet, c’est d’abord y croire. Possible, possible. Je vais sauvegarder. Bonne idée : sauvegarde ton incroyance. Au bout du compte, tout se dégonfle.
     Tout ? Oui, tout. Ne reste que des petits paquets de muscles, de nerfs, un peu de sang, tout ça dans un fonctionnement approximatif. On les mettrait dans un livre ? Oui, mais sans début ni fin. Ou dans une baignoire, à flotter.

Jardin des Doms, Avignon

?¿ cette obsession de l’équanimité ¿?

 

 

L’homme pêche, ça commence toujours comme ça, devant un lac, au bord du lac, il pêche. Il est concentré, il a un chapeau assez plat qu’il porte sur le milieu du crâne, ni trop près des yeux, ni de la nuque, non : comme il faut, qu’il soit plat, que la fonction du chapeau soit de couvrir sa tête, très simplement, n’entrave pas ses gestes. Le protéger du soleil serait accessoire.

Bref ce pêcheur-là. Un peu trapu, pas forcément lent, on peut saisir des gestes vifs à le regarder, voire le scruter, le surveiller peut-être ? Pas très grand, bien qu’on ne voie pas la taille qu’il aurait debout, tel qu’il est assis sur son tabouret à anse rectangulaire évasé en osier avec son matériel dedans.

Un homme paisible, qui aurait renoncé aux bruits du monde, aurait-il des cheveux gris ? L’homme est là depuis un moment, il n’a aucune raison d’être ailleurs ; il pêche. Il en montre tous les signes, sans aucune précipitation ni ostentation. Il se penche sur l’hameçon, réajuste l’appât, lance le moulinet, fait le nécessaire.

(Pour quel regard ?…)

– – on ne répond jamais qu’à côté – –

 

 

traversée de la place Vendôme

global merdier & mère surface

le fait-divers a tout recouvert

un envahissement de poussière

une petite bande minuscule invisible et invincible

*

le développement aurait pris du temps
il aurait fallu marcher longtemps
secouer la tête
discuter
ergoter

*

même les conditionnels sont miscibles dans l’eau
un peu de chimie organique
un peu de mécanique des fluides
un peu de quantification gravitaire
un peu d’au-delà dédié

*

global merdier & mère surface

l’être dedans

tout est d’avant

à partir du Ritz son humeur changea

peut-être même une écharpe de ciel bleu ?