Les phénomènes / 3h52.

Le recul avec lequel elle lui parla de l’instinct. Le recul nécessaire, non pas à analyser ni comprendre ni appréhender le phénomène qui les a tous encagés, mais à poser un regard intéressé sur ce qui sourd et qu’on ne connaît pas. L’instinct.

Les événements, à propos desquels prendre position, ne rien savoir, en apprendre, écouter. La succession des événements de différentes natures. Elle le pensa. N’en dit rien. Continua de le penser.

Et aussi : l’histoire va plus vite que nous. Mais rien ne va plus vite. Et aussi : la réalité : est-elle plus tangible à la campagne qu’à la ville ? Les phénomènes. L’histoire. La succession des événements (de ce qui arrive, de ce qui advient, comme si on n’avait pas bien compris).

Le mot-même ne fut pas prononcé. Une périphrase à la place d’un mot ferait l’affaire. À 3h52. Une opération militaire spéciale, pas une guerre. Et le tour est joué. Billard à cinq bandes. On se retire de la pensée ? pensa-t-elle en écoutant la radio, changeant prestement de station.

Ce qui est détruit. Ce qui sera détruit. Et bien sûr ce qui a été détruit. Et même Détruire, dit-elle. On n’a pas bien compris. L’instinct conduit à se représenter ce qu’on ne saurait comprendre.
Or les phénomènes se produisent aussi à une heure précise.

gigue du contemporain déchu

Parfois on parle en différé,
on parle sur une idée déjà passée,
qu’on a vue passer,
comme un canard qu’on rate, à la chasse.

 

je suis tranquille, c’est un moment
où je suis tranquille, je me répète mais c’est
parce que je suis tranquille

les bruits de moteur persistent mais
je suis tranquille

ombres chuchotées

ce moment où je suis tranquille,
extrêmement court,
file, se désagrège

l’avant n’est qu’un nombre

circulation de signes effusifs
mesure du temps disparu
résistance à la page

fenêtre cadre de l’oeil
cadre dedans-dehors

l’araignée : condenser & déplacer

au milieu des recherches,
ni jour ni lendemain

phrase parce qu’il en fallait une
et toutes ces questions
sur l’araignée polysémique.

Photogramme du film In girum imus nocte et consumimur igni, de Guy Debord, 1978.

énoncés bitume, aube & pluie

de sa fenêtre, de toutes ses fenêtres, 4 + 1 dans l’arrondi, elle a vu la scène de la petite place, le vent qui secoue les lumières nées des arbres et de la pluie à cause du réverbère

il est presque 8h, elle s’est réveillée vers 5h30, dehors c’est encore la nuit, la pluie, les arbres doucement bougés par le vent très visibles grâce au réverbère sur la petite place – et la pluie

l’eau de la pluie là-bas sur les lumières fantoches
fait briller le macadam,
l’eau de pluie dispense ses gouttes qui explosent
sur le rebondi du réverbère

plus tard : elle se souviendra de la scène alors que la ville dort encore ;
elle la répètera à un ami au téléphone, sauf si l’autre a beaucoup de choses à lui dire du genre je voudrais quitter la ville,

la scène, petite, serait un décor de film, et rien d’autre /
elle a enregistré les détails, surtout la lumière pluvieuse sur le bitume,
et le vert incroyable de l’arbre /
peu de choses, mais qui font comme une fontaine de choses réverbérables.

like of the like is like
anonyme, siècle vain

÷/÷ configuration d’un interstice ÷\÷



quand l’horizon devient trop long

trop près de l’exactitude

marteau-piqueur

guitare de la grande fille, à terre

Pessoa, l’actualité d’il y a 20 ans

revenir revenir

on a parlé de jardins : à la fin, je la laisse dans un jardin




c’est à dire : soit laisser les trous, soit pas

le temps est lent, et court, le temps court




j’attribue des qualités à des petites cuillères

six qualités ou douze pour six petites cuillères

complexité, régularité, selon des motifs japonais

je pense à d’autres qualités mais soudain je m’en vais




il dit : c’est mauvais quand il y a trop de je

en réponse à une question

je modifie souvent les énoncés, je déplace les termes




enfin, sous les colonnades s’appuyer.

 

ode à ceux qui jubilent en désordre

se retirer
avec le jazz
avec le piano
avec le syncopé
se retirer
avec la trompette
se retirer
avec le trombone
avec le saxophone
se retirer
avec la batterie
avec la certitude
se retirer
avec le rythme
se retirer
avec la voix
avec la voix
avec ce qui perce
avec ce qui pousse
avec les notes
qui montent
qui montent
avec le mode mineur
se retirer
avec les quintes diminuées
avec les septièmes
avec ce qui est connu
avec les débandades
se retirer
avec les descentes
les glissades à genoux
se retirer
avec le brio
avec le syncopé
avec ce qui brille en sourdine
avec les applaudissements
se retirer
avec le contrepoint
avec les figures hardies
se retirer
avec la certitude
avec la grosse caisse
se retirer
avec taper dessus
avec roulements
avec ce qui coince
avec ce qui cherche
avec ce qui sent
se retirer
avec le souffle
avec la sueur
se retirer
avec le chuintement
avec le frétillement
avec ce qui couine
se retirer
avec l’attention
avec l’attente
avec le retiré
avec le ahanement
se retirer
avec la persistance
avec le cri
avec le râle
avec le soupir effréné
se retirer
avec la joie
avec le répété
avec l’accident
avec l’ornement
avec le silence
se retirer
avec scander
avec n’en pas finir
avec rebondir
avec ralentir
avec obstination
avec résolution
avec tourner rond

se retirer
avec panache
avec harmonie
avec grandiose
avec charme
avec tranquillité

se retirer.

poubelle du cours des choses*

 

* sotie en direction de Salvatore Spada,
de qui je reprends la formule en titre.

Discussion dans la cour.

cette fois-ci c’est du sérieux : on a localisé le cours des choses
que dis-tu, Jim ?
on va pouvoir le mettre à la poubelle
tu as la poubelle ?
non, il faut aller la chercher
où, Jim ?
près de la bergerie
tu dis n’importe quoi, on est en ville
et alors ? tu ne la vois pas la bergerie ?
non, Jim, je vois les loups, c’est tout

Plus tard, bien plus tard.

je suis embêté avec Henry Purcell, Jim
c’est pas mon problème
c’est quoi ton problème ?
mettre à la poubelle le cours des choses
tu m’as entendu ? je suis…
oui
oui quoi, Jim ?
Henry Purcell, j’ai parfaitement entendu
il fait partie ou pas, du cours des choses ?
je ne pense pas, je n’ai pas encore analysé les compositeurs

Enfin, comme dans un menuet.

qu’est-ce qu’on fait avec la grammaire ?
d’habitude, tu ne me demandes pas mon avis, Jim
cette fois oui, je réfléchis à foutre l’imparfait dans la poubelle
et le remplacer par quoi ?
par rien, il est mortifère
mais Jim, nous n’avons pas la poubelle !
nous la trouverons, nous sommes invincibles
nous ne sommes pas armés, Jim
non, mais nous sommes le cours des choses
alors, pourquoi nous mettre à la poubelle, Jim ?