Lorem ipsum au bain

 

 

 

Elle prit un bain. Elle réfléchissait. Fit onduler l’intégralité de son corps pour répartir la chaleur de l’eau. Regarda le ciel crayeux / de plomb. Situation.

Dans la baignoire. Un moment / des mouvements. C’est dimanche. Elle se baigne le dimanche. Il fait gris. Ses cheveux aussi.

Oui, ils parlaient, ils dialoguaient. Ils étaient ils, et personne ne les en dissuaderait. Seul un autre s’inquiétait : qui étaient-ils ?

Il aurait fallu beaucoup de mouvements, qu’elle n’était plus disposée à effectuer, et cela, malgré une nette inclinaison à l’agitation.

Elle refit trembler l’eau. Rajouta du très chaud sous les fesses. Remua pour le répartir. Une sorte de nirvana. Le bien ultime.

Celui qui s’inquiétait lisait non loin, dans une autre maison. Les cavaliers / guerriers traversaient la plaine au galop. Aucune chaleur nulle part.

Le gris compact permet la perte, distingue la possibilité du fugace. Ils se tairaient parfois. Des silhouettes / derrière le blanc de Meudon.

D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !
Un wàs er hät, dess will er nit,
Un wàs er will, dess hät er nit.
D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !

Il y aurait Hans et les autres, dans le petit bois. Ce serait eux, ils. Des enfants chantant près du ruisseau, avec les rats.

Le long mur aussi, qu’elle longeait : un motif récurrent / un motif d’inquiétude. Le moment et celui d’après. Sa propre ombre d’enfant.

Image aléatoire proposée par l’intelligence artificielle DALL.E OpenAI
à partir des trois phrases précédentes.
(voir aussi Giorgio de Chirico, Mystère et mélancolie d’une rue, 1914)

Une porte poussée, le détail d’un jardin peu entretenu, ce qu’on peut voir dès qu’on pousse un portail et qu’on met un pied là où on ne devrait pas.

Silence. Clapotis de l’eau, elle fait à nouveau couler un peu d’eau, très chaude, à distance de ses chevilles, la fait remonter vers ses reins.

Dans la découpe de la fenêtre de toit, son regard n’atteint rien, ne touche rien. Le ciel monochrome s’abstrait, elle n’a pas besoin de lui.

Une attente inquiète dans le moment d’après. Les enfants ont disparu. Elle entend la comptine résonner sur la scène du monde entier.

On se demande encore qui ils sont. Lui se le demande, non loin dans une autre maison, comme s’il n’était pas non plus une complication.

N’être jamais que le pronom de quelqu’un. Elle se laisse glisser sous l’eau. Des gens sérieux hantent les couloirs. D’autres en uniformes s’entretuent.

*

Le temps horizontal se répartit, flotte : on craint de ne pas comprendre.
Ce qu’il a il n’en veut pas, ce qu’il veut il ne l’a pas…

et regarder les armoires

 

Que l’écriture soit le hasard vaincu mot à mot.
Stéphane Mallarmé.
[citation approximative]

Deux personnages dans une petite pièce prennent un verre.
 Ils sont deux.
Ce sont des personnages qui parlent de personnages,
l’un d’eux du moins, l’autre non.
L’autre l’écoute parler de ses personnages.
Ils sont dans une pénombre créée par les volets semi-fermés,
mais aussi par l’orientation de la pièce.
Un contre-jour existe : l’un voit l’autre à contre-jour.
Celui qui voit est installé sur un canapé un peu dur ;

l’autre à contre-jour sur une chauffeuse en bois et tissu préformée.

L’un est obnubilé par les dialogues. Il dit :
dès que deux personnages sont ensemble, il leur faut un dialogue,
je ne peux pas faire autrement.
Ah bon, dit l’autre.
Oui, c’est comme ça, il faut qu’ils dialoguent.
Et s’ils ne dialoguent pas ?
Ils ne peuvent pas ne pas dialoguer.
Ils pourraient se battre ? Jouer aux échecs ?
En fait, le dialogue arrive avant les personnages :
il y a tout de suite un dialogue.
Ah bon ? Et les personnages arrivent ensuite.
Le dialogue d’abord. C’est comme ça.

Les dialogues arrivent immédiatement,
les personnages après.
En fait, tu préfères le dialogue à quoi que ce soit d’autre.
Y compris aux personnages.
Peut-être. Peut-être que les personnages…je ne sais pas.
En tous cas tes personnages, ils sont bien campés,
comme chez Molière. Dans des rapports de structure,
comme de grands archétypes. Des caractériels reconnaissables.
Oui, c’est comme ça que ça traverse le temps.
C’est bien le temps traversé, c’est long, ça nous éloigne
de toute la misère contemporaine. Oui.

On ne sait pas s’il faudrait que nous sortions
de nos statuts de personnages
dialoguant à contre-jour. Non, on ne sait pas.
On prend une respiration à contre-jour, et un verre.
On reste là, on traverse le temps, on n’a rien à faire,
juste être là, et regarder les armoires.

(texte mort / blanc / mort)

 

 

il s’agirait d’une circonstance exceptionnelle
qui se serait dissoute dans le blanc

(le blanc s’il y a une couleur,
à peine le blanc
même pas le blanc)

empruntée par une déesse du matin
vêtue de blanc, l’allée cimentée,
déesse en allée & chevilles ailées

or la circonstance exceptionnelle durait
distanciant ses pluriels assis et médiocres

(le blanc, s’il y a une couleur
presque le blanc
un peu de gris)

la déesse du matin se mouillait les pieds
vêtue de blanc, elle allait, gaie & déterminée
saluer une tourterelle histrionique

à circonstance exceptionnelle,
harangue solennelle dédiée à la singularité

(le blanc s’il y a une couleur
l’au-delà du blanc,
sa rumeur réelle)

de ce matin renouvelé, la déesse pédestre
ne se lassait pas, & dans l’allée cimentée,
vêtue de blanc, dispensait à l’univers ses gestes lents.

Oui certes, la poésie peut s’élever ou s’abaisser jusqu’à la politique,
mais rarement à la politique de circonstance.
Lamartine, Correspondance, 1830.

désaffection pour la guerre

 

pas toujours la guerre (elle n’y est pas toujours même quand elle y est)

elle est où ? (la guerre)

c’est où ce “y” où elle serait (la guerre) ?

la guerre a été il y a longtemps, puis plus près (temps & espace)

tenir la guerre à distance (et toutes les ramifications de l’idée)

impossible de tenir à distance un bombardement
(par la simple volonté de l’esprit)

je ne tente pas d’écrire “la guerre” (mais plutôt : “pas toujours elle”)

il y eut un moment où (et il y a un moment où) :
les hommes aiment la guerre (plus que leurs tondeuses à gazon)

bien que solution déficiente, la guerre mobilise toujours
comme artifice

[23 février 2022, veille de “l’opération spéciale en Ukraine” déclenchée par V. Poutine]

un horizon de guerre
mais rien de prévisible : une surprise, une continuité, une éternité, un ressac.

[entre les deux tours d’une élection présidentielle impossible, en France]

                                                    #toutlemondeconnaitraoul, oeuvre murale collective, Paris 2022 (détail)

mondialisation d’Étienne


Tous les jours à la même heure, c’est piano-bar. Langoureux, cool les balais touchant les cymbales, les notes syncopées, les répétitions, les motifs. Tous les jours la répétition. Et comment se fait-il qu’il ne s’ennuie pas ?

Non, ses oreilles ne s’ennuient pas, elles apprécient. Elles apprécient tellement qu’il lui faudrait se forcer pour reconnaître le moment pour ce qu’il est : il ne varie pas d’un jour à l’autre. Ambiance tamisée. Année indéfinie. Un pianiste japonais 1976. De la spiritualité, des noms japonais à la contrebasse, aux autres instruments. Le Duc des Lombards, une antienne.

Il n’a rien fixé, Étienne, rien décidé. Il est toujours vivant après. Non qu’il aurait dû mourir avant, mais vivant après. Et ça dure. Et même s’il est au bout de sa vie, elle n’est pas finie. Et ça continue, le piano-bar dans les oreilles, le velouté idéal, ces sons si doux et joyeux qui se déversent dans ses oreilles, du grand plaisir. Un batteur danois, un saxophoniste alto, une musique originale. Une musique des années 60 aussi bien années 20, les nouvelles. Et le contrebassiste dont on parle.

Il a fait ses jeux, tripatouillé ses petits papiers, rien gagné, mais revérifie. Il est allé s’asseoir à la bibliothèque, a lu L’Équipe, puis Le Parisien. Une fois passé le décor on soupire. Lui il souffle ; trop de poids, ses pieds dans des mocassins écrasés par le poids du corps.
Étienne n’était pas comme ça. Ne sait plus comment il était, c’est trop loin.

*

Ce serait mieux qu’on décide : à tel carrefour, prendre telle rue, la descendre, à tel café, rendez-vous avec Ferrier pour les instructions. Il est parisien, c’est comme ça que cela se passait, entre le 20e et le 8e. Rive droite, toujours. Et tous les numéros intermédiaires. Ferrier, il l’aurait bien revu, mais il a disparu. Tout le monde s’est explosé dans toutes les directions, des reculs à la province en particulier. Des disparitions arrangées en Corse aussi, et dans la Creuse, et ailleurs. La France regorge de planques, Finistère aussi, et Landes, Ariège, Hautes-Alpes, Drôme, et parfois Moselle.

En attendant, Étienne kiffe son piano-bar et personne ne le lui enlèvera. Il se fout de la France, de ses riantes régions, de tout, d’à peu près tout. Ses fiancées ont vieilli aussi, il y a une sorte de ridicule à le remarquer. Leurs rides incluses dans ce ridicule.
Il a encore arpenté dimanche dernier un vide-greniers, comme s’il y avait encore des greniers à vider. Des monceaux d’objets plus ou moins minables exposés sans méthode sur le terre-plein du boulevard de Rochechouart, comme s’il lui mimait son propre destin, avec plus ou moins d’expertise, comme s’il lui disait : tu vois, je suis bien le boulevard de Rochechouart, à l’endroit exact où tu allais te trémousser à l’Élysée-Montmartre à la fin du siècle dernier. Et d’où tu ramenais une gentille Chilienne habillée de couleurs violentes, qui prendrait un avion le lendemain pour Shangaï…

photographie Marcel Druart, Birmanie

:::::: soixante-cinquième septembre :

elle écrit : se cacher

elle écrit : dans le moindre peu – se cacher

ne se cache pas

elle écrit : les découvertes sont rares

elle écrit d’écrire : transversal train

ne se souvient pas de ce que ça veut dire

fustige le ça, ne trouve pas d’équivalent

ne se cache pas vraiment

retrouve un fragment de lettre

il y est question d’un ex-patron de la DST

de séminaires sur la mauvaise foi

de séminaires seulement pour les hommes

les femmes n’en ont pas besoin

transversal train de généralités

le moindre peu – dans lequel se cacher

avec son petit tiret élégant

elle retrouve la lettre mais n’en fait rien

elle retrouve les écrits mais n’en fait rien

elle ne fait rien de ces généralités

transversal train de découvertes rares

elle écrit : un

puis s’arrête à deux

elle trafique encore un peu

avant de se cacher : elle écrit