homme, femme, fleurs, réflexion(s)

 

 

l’homme qui s’occupe des fleurs
enlève les pétales fanés tout en parlant
avec une vieille femme
tout en répondant à ses questions
la vieille femme pose des questions précises

l’homme qui s’occupe des fleurs
a la peau bronzée
on n’en saura pas plus
bien sûr qu’on en saura plus
il répond à la vieille femme très précisément

toutes les questions de la vieille femme
sont prises en compte toutes
elle réfléchit et dit encore
et ces fleurs pourquoi sont-elles en feuilles
parce qu’il arrive qu’elles soient dérangées

les fleurs peuvent mettre du temps à arriver
elles ne se trouvent pas bien là où elles sont
elles réfléchissent alors
oui il suffit d’un mètre même pas
et tout change et elles fleurissent

la vieille femme semble perplexe
elle a vu le teint hâlé les yeux noirs
de l’homme qui ôte les pétales fanés
un à un de larges pétales roses
tout en répondant à ses questions précises

longtemps après elle se souvient
du teint de l’homme et de ses yeux noirs
plus que de ses réponses
elle l’a regardé comme elle regardait les hommes
il y a si longtemps quand ils réfléchissaient

qu’elle ne s’intéressait ni aux fleurs ni aux oiseaux
mais seulement à la force des hommes
à leur musculature à leur odeur à leurs bras
peu importait ce qu’ils prenaient dans leurs bras
pourvu que ce fût elle.

 

*

 

j’ai ensuite demandé à ChatGPT :
– tu peux écrire un texte poétique sur « l’homme qui s’occupe des fleurs » (titre initial de mon texte) ?
voici sa réponse : un poème, également composé de sept strophes, bizarrement,
mais en quatrains (vs ma composition en quintils libres)

Dans un jardin secret, là où les douces brises murmurent,
Un homme bienveillant s’occupe des fleurs avec ferveur.
Tel un artiste, il danse parmi les parterres colorés,
Son amour pour la nature en chaque geste sublimé.

Tel un orchestre invisible, ses doigts habiles jouent,
Une symphonie florale dont les pétales s’épousent.
Il comprend les secrets de chaque plante et de chaque graine,
Les caressant avec délicatesse, sans peine.

Il connaît les cycles de la vie, les saisons qui s’enchaînent,
Des bourgeons fragiles aux fleurs qui se déchaînent.
Avec tendresse, il leur offre l’eau et la lumière,
Veillant sur leur épanouissement, leur destinée éphémère.

Il est l’âme qui donne vie à ce jardin enchanté,
Ses mains, telles des baguettes, sont habitées d’une magie.
Chaque bourgeon qui s’éveille est une note de bonheur,
Éveillant les sens, éblouissant les cœurs.

L’homme qui s’occupe des fleurs, gardien de cet éden,
N’est-il pas un poète, un jardinier de l’infini ?
Dans chaque pétale, il contemple la beauté du monde,
Et son amour pour la nature ne fait que grandir en onde.

Ainsi, cet homme, humble messager de la terre,
Donne voix à l’expression d’un amour solidaire.
Dans son jardin secret, il révèle une vérité précieuse,
Que l’harmonie avec la nature est un trésor merveilleux.

Alors, saluons cet homme, ce gardien des fleurs,
Qui, par sa passion, embellit notre existence en couleurs.
Son amour pour la nature, un cadeau à préserver,
Pour que ce jardin de la vie continue à prospérer.

Oeuvre de Patrick Renaud, photographe contemporain. Son site (partagé avec Marie Combes) pour un aperçu de leurs nombreuses séries : COMBES & RENAUD 

diminution des capacités I et II

 

 

I – l’homme papa

 

cette : perdition
ce : tournoiement de mots impuissants
dans les : pensées tournantes
volantes : qui circulent et tournoient
de gauche : à droite
sans jamais : se poser

l’homme papa : dans un couloir errant
dans ce couloir : chambres avec numéros
sa chambre : perdue
le numéro : perdu
juif errant : homme pleurant
papa perdu : volutes de pensées instables

le couloir : sépare et conjoint
les chambres : paires et impaires
l’homme papa : dans la chambre paire
pas la sienne : pas à soi
ne retrouve plus : l’impaire
sa chambre : monde disparu

monde dans lequel : comment être ?

 

II – la femme maman

 

dans le couloir : tenter de remarcher
lentement : un pas après l’autre
s’appuyer : sur le mur
se hisser : hors du fauteuil roulant
sans le bras gauche : mort
avec la canne : quadripode

la femme maman : hémiplégique
dans le souci de : l’homme papa
de l’autre côté : du couloir
elle dans sa chambre paire : lui venant
sans cesse revenant : dans sa chambre
sans cesse : cherchant quelque chose

le couloir : leur vie
l’homme papa : chercher
la femme maman : marcher
c’est pas une vie : le couloir
c’est pas une vie : les chambres à numéros
c’est pas une vie : leur vie

monde dans lequel : désêtre ?

[& même s’il y a un jardin, des visites, des amis, des enfants, des couleurs, du soleil…]

 

                                       © Jérôme Borel, Sur le carreau (peinture acrylique, 160 x 200 cm), 2021 (détail)

 

 

 

 

 

:: paysage désactivé d’eux ::

 

[à eux]

paysage désactivé voir ce que j’en fais
maisons disposées sur les collines
serrées entre elles se chevauchant

oh les beaux nuages presque dessinés
j’ai jeté ce livre de Bonnefoy trouvé
n’en voulais pas trop de Dieu dedans

les branches du figuier les fleurs des iris
faire une photo d’eux se tenant debout
décor voiture rouge foncé portail ouvert

je devrais photographier les branches
du figuier voici ce que je dis en me garant
à les toucher ces branches fières
et leurs feuilles nouvelles si vertes
je tourne le gros bouton des fréquences
difficile d’entendre la radio grésiller

le regard ne fait que voir sans faire
maisons au loin dessinées collines
paysage désactivé par leur absence.

 

Rester, verbe d’état.

 

 28 mars 2020

J’ouvre les volets, brassée d’air frais au visage. Je pars. C’est décidé, le ciel est bleu, je pars. Je prends ma voiture, l’A86, l’A15, je vais dans le Vexin, je vais dans l’herbe. Je vais, je pars, j’use de verbes rouillés depuis deux semaines. Une dépense folle de verbes de mouvement. Une ivresse de la vitesse interdite, cheveux au vent. Je fugue, je me casse, je roule vers le vert. Rien d’autre que le vert. Dans un premier temps. Puis rouler vers la mer dans un second. Luxe des luxes. Quitter la ville vidée. Partir dans la campagne vidée.

Hier soir, elles criaient Bravo les docteurs !, les petites du premier d’en face, massées à l’orifice de la fenêtre, volet descendu, cous tordus vers le haut. Je sifflai entre mes doigts, puissamment, index et majeur des deux mains dans la bouche, langue repliée vers l’arrière. On applaudissait fort, ça criait, on applaudissait encore, on se regardait dans la nuit. Les lumières blanches acides des smartphones dessinaient des intentions, caressaient les ombres des angles. Chacun tentait de dire et de répondre. Verbes de parole. Ce qui émeut, dedans. Et qu’on ne sait pas.

Ce matin je me tire, c’est une fugue diurne. Je pars dans les mots, j’invente les verbes de bord de routes herbes folles, je me penche et cueille tout en roulant des énoncés de paysages, des descriptions de reliefs, d’arbres inconnus. De déchirements intérieurs aussi. Bravo les docteurs ! La police veille. Je n’ai aucune raison valable de partir, de rouler, d’aller. Rester, verbe d’état. Je reste chez moi, l’État me le demande. J’obéis. L’État c’est moi, j’use d’un verbe d’état. C’est cohérent.

Je choisis les mots mais ils manquent, comme d’habitude. Je voudrais ne pas les écrire, n’en écrire aucun et rouler à la place, et m’arrêter pour regarder l’horizon si je le décide. Je serais empêchée d’écrire, obligée de me tirer, de fuir un danger. Je me cache. Je préfère ne pas me cacher. Bravo les docteurs !, ai-je crié avec les petites. Verbes de parole, c’est de la rigolade, ces verbes, du blabla pour toutous à sa mémère. Je veux du verbe d’action, du verbe costaud, du qui déménage : je décide. Je décide de ne pas partir. À la place, j’écris. Comme quand j’étais malade. Mais je ne suis pas malade. C’est un semblant. Je suis l’État. Je reste chez moi.

courir seul dans Hollywood

Qu’est-ce qui peut être grandiloquent aujourd’hui, à la veille ou à la purée, d’une troisième guerre mondialisée, parce que maintenant c’est plus mondialisée que mondiale. Dans la purée, on y est. On peut quand même aller au cinéma s’en mettre plein les mirettes de Hollywood, et ressortir en courant dans la rue avec une impression de voler, mais on ne vole pas, enfin si, un peu.

Les vieux couples qui vont au cinéma sont des emmerdeurs au même titre que les vieux couples qui font autre chose. Mais ceux du cinéma parlent, les autres aussi, mais ceux du cinéma, parlent, et gênent en parlant, parce qu’ils parlent fort parce qu’ils entendent mal. Ils parlent, ces vieux couples au cinéma, et en plus ils disent : « Et si on allait acheter du pop-corn ? ». Et là, c’est horrible. On voudrait disparaître. Mais, coup de théâtre, parce que c’est un théâtre, ou un cinéma, on a le choix entre plusieurs salles dont une très haute, alors on monte en se disant que le vieux couple ne pourra pas monter avec ses pieds, on l’entend. Quelque part, on l’entend, ceci : « Je ne pourrai pas monter là-haut ».

Alors nous (on est un mais on fait comme si on était plusieurs), on monte très haut, pour échapper au vieux couple bavard. L’homme commente tout (parfois c’est la femme). L’homme commente tout et il semble très satisfait de lui-même et de ses commentaires. Tout ce qui est dit est parfaitement stupide, et ne sert qu’à justifier la fonction phatique du langage inventée par Jakobson, t’as qu’à regarder ce que c’est sur Google si tu sais pas.

Tu montes (tu, c’est aussi bien nous, le nous de tout à l’heure qui est un) là-haut, au plus haut, et surtout avec personne dans le dos. Les vieux couples dans le dos au cinéma, c’est le pire. Tu fais dans le radical : personne dans le dos, et c’est possible, et là, tu te calmes. Tu as trouvé ta place, au bout d’une longue quête ; tu es passé (ici, le masculin égale le neutre, pour manifester l’être humain et pas le singe par exemple) par l’étage intermédiaire, mais malheureusement à cet étage, le talisman était omniprésent.

Point sur le talisman, qu’on comprenne bien ce qui se passe : ils ont tous le talisman sorti faisant de la lumière. Tu anticipes : tu te dis qu’ils ne vont pas forcément éteindre l’objet, tellement ils ont l’air d’en avoir absolument besoin tout le temps. Or toi, tu veux juste voir le film, sans lumière, sans parole autre que celle qui vient de l’écran et des baffles sur les côtés de la salle. Donc tu montes encore. Parce que c’est possible, parce qu’il y a trois niveaux. C’est un cinéma à trois niveaux.

On a oublié une chose fondatrice qui fut dite au départ dans la salle basse du cinéma : lorsque le vieux couple arriva, la femme dit : « On vient vous tenir compagnie ». Or, on ne veut pas de compagnie. On veut la salle pour soi tout seul. D’ailleurs, on a répondu : « Si vous ne parlez pas ». Malheureusement ça n’a pas suffi. Les vieux couples bavards, il leur en faut plus pour s’arrêter de parler, c’est terrifiant. Le cinéma libèrerait-il la parole des vieux couples ? C’est idiot. Le cinéma libère la parole et le talisman lumineux de la poche. Parfois les deux en même temps. On ne sait pas pourquoi.

Enfin, en sortant, à défaut du grandiloquent introuvable impossible, on a volé un peu en courant, en disant « pardon » aux gens qui marchaient par deux et qui ne savent pas le plaisir que c’est de courir seul dans Hollywood.

Lorem ipsum au bain

 

 

 

Elle prit un bain. Elle réfléchissait. Fit onduler l’intégralité de son corps pour répartir la chaleur de l’eau. Regarda le ciel crayeux / de plomb. Situation.

Dans la baignoire. Un moment / des mouvements. C’est dimanche. Elle se baigne le dimanche. Il fait gris. Ses cheveux aussi.

Oui, ils parlaient, ils dialoguaient. Ils étaient ils, et personne ne les en dissuaderait. Seul un autre s’inquiétait : qui étaient-ils ?

Il aurait fallu beaucoup de mouvements, qu’elle n’était plus disposée à effectuer, et cela, malgré une nette inclinaison à l’agitation.

Elle refit trembler l’eau. Rajouta du très chaud sous les fesses. Remua pour le répartir. Une sorte de nirvana. Le bien ultime.

Celui qui s’inquiétait lisait non loin, dans une autre maison. Les cavaliers / guerriers traversaient la plaine au galop. Aucune chaleur nulle part.

Le gris compact permet la perte, distingue la possibilité du fugace. Ils se tairaient parfois. Des silhouettes / derrière le blanc de Meudon.

D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !
Un wàs er hät, dess will er nit,
Un wàs er will, dess hät er nit.
D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !

Il y aurait Hans et les autres, dans le petit bois. Ce serait eux, ils. Des enfants chantant près du ruisseau, avec les rats.

Le long mur aussi, qu’elle longeait : un motif récurrent / un motif d’inquiétude. Le moment et celui d’après. Sa propre ombre d’enfant.

Image aléatoire proposée par l’intelligence artificielle DALL.E OpenAI
à partir des trois phrases précédentes.
(voir aussi Giorgio de Chirico, Mystère et mélancolie d’une rue, 1914)

Une porte poussée, le détail d’un jardin peu entretenu, ce qu’on peut voir dès qu’on pousse un portail et qu’on met un pied là où on ne devrait pas.

Silence. Clapotis de l’eau, elle fait à nouveau couler un peu d’eau, très chaude, à distance de ses chevilles, la fait remonter vers ses reins.

Dans la découpe de la fenêtre de toit, son regard n’atteint rien, ne touche rien. Le ciel monochrome s’abstrait, elle n’a pas besoin de lui.

Une attente inquiète dans le moment d’après. Les enfants ont disparu. Elle entend la comptine résonner sur la scène du monde entier.

On se demande encore qui ils sont. Lui se le demande, non loin dans une autre maison, comme s’il n’était pas non plus une complication.

N’être jamais que le pronom de quelqu’un. Elle se laisse glisser sous l’eau. Des gens sérieux hantent les couloirs. D’autres en uniformes s’entretuent.

*

Le temps horizontal se répartit, flotte : on craint de ne pas comprendre.
Ce qu’il a il n’en veut pas, ce qu’il veut il ne l’a pas…