(…) augure toujours d’un ressaut *

 

* Au fig. Regain subit. Il répondit avec hauteur qu’on n’aurait garde de le toucher.
Dernier ressaut de sa folie !
(Tharaud, La tragédie de Ravaillac, 1913, p. 248)

 

didactique du point mort
observation silencieuse
temps domestique
précipité d’intentions

par le fond des rivières
longues laisses cristallines
de galets léchés
une installation s’imaginait

scène figée
eau emprisonnée sous plexiglas
une barre oblique s’appliqua
à l’ensemble du système

enfin s’emporteraient
les humeurs 1913
par flots choisis
loin des faussetés d’ici

 

* Loc., pop., arg. Être en ressaut. Être en colère. Se mettre, se foutre à ressaut/au ressaut.
Se mettre en colère. Il y a un paragraphe de ma lettre uniquement destiné à te faire mettre au ressaut ! (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1913, p. 337).

Totem urbain, Épinal Cité de l’Image, détail, août 2024

 

signes ? / objets // cube ? / espace

 

 

ne bouge pas ou se resserre
le corps assigné a une respiration

ne bruit plus ni gestes
cantique de l’impuissance
un dire bien trop grandiose

à plat drap repassé
lézard ferré dans l’affolement
corps plaqué à l’étouffée

questions rompues
par ces chiffres égrenés
accompagnant les efforts

les membres alors ordonnés
obéissant aux chiffres
énoncés en suite chantée

bouge le corps désormais
scandé par rupture de la pensée

la parole n’a plus –

 

 

arrivée à voir le ciel
arrivée à ce que le ciel soit
arrivée à ce que le ciel soit visible
arrivée à ce que le ciel se rendît visible
arrivée à ce que le ciel se fût rendu visible
et qu’elle le vît
qu’il lui apparaisse
qu’il lui soit rendu à regarder
que le ciel lui soit rendu à être regardé

*

trop connu de Provence trop de vent
trop de robes blanches trop de soleil
trop de beauté décrétée trop d’inanité
trop d’années passées trop de peau dorée
trop de lumière crue trop de sujets défaits

*

abandonné sur un banc
un livre
& un autre dans le panier
& un autre entre ses mains
les livres multipliés
les coqs réveillés
les oiseaux réveillés
le ciel réveillé

Robert Ryman, Series #15 (White), 2003

– – – des joies démonétisées

 

 

il me semble que j’ai connu tout le monde

elles se retrouvent pour manger une glace l’après-midi

si longtemps que je fais semblant de lire

à terre, une enfant au visage mangé par de grosses lunettes aux verres grossissant ses yeux, me sourit au milieu des livres

il me semble effleurer le monde (je n’y entre plus, tout est opaque)

et cette pauvreté des sensations

j’évite ce qui m’est douloureux

je ne comprends pas la différence que fait Michel Schneider entre douleur et souffrance dans son Schumann

marchant pour me fatiguer, répéter je suis fatiguée

une jeune fille aux jambes poilues passe, je suis ses jambes du regard, elle est en short et parle une langue étrangère, elle a aussi beaucoup de cheveux et des poils sur le visage

j’effleure le monde, à peine

deux Anglaises, chacune un verre à pied ouvragé en plastique dans la main, l’un vert vif, l’autre rose fuchsia, devisent sur un banc, se tenant très droites comme si elles jouaient une saynète

plus aucun roman de rien – pourtant –

quelqu’un m’a dit le monde va trop vite, j’ai répondu oui, par paresse, sans réfléchir, & j’ai même ajouté, par lâcheté :

oui, le monde va trop vite.

• alors ça fait du bruit en dedans •

 

 

C’est une femme d’aujourd’hui, dans l’Europe finissante, partie d’un monde finissant, lui-même partie d’une planète finissante.
Aujourd’hui et finissant se diraient synonymes dans une théorie des ensembles généralisée et finie.

Elle s’est installée à l’arrière de la voiture ; la voiture serait son habitacle dernier ; montant dans la voiture, elle partirait dans le temps. Tant qu’il y aurait des voitures dans lesquelles se glisser quand elle serait ivre, s’asseoir et partir. Démarrer.
L’homme au volant marmonne, à écouter plus précisément.

Assise derrière l’homme, elle écoute le silence dans la voiture haute, ce genre de voiture à circuler dans la forêt filmée à longue focale dans le brouillard frais des conifères sombres, à grignoter le paysage en s’acharnant dans les sentes abruptes, dans le bruit manifesté des énergies multipliées, des options, des signes de domination, de la puissance.
Et toujours elle se tient comme elle dirait tiens ; même ivre, ne dérape pas, se tient.

Je les ai connus, se dit-elle, ou leurs clones. Eux ou des doublons urbains. Qui se serrent anxieusement dans des raouts mondains en s’observant. Qui échangent des paroles démonétisées dans des tenues voyantes en souriant de toutes leurs fausses dents. Qui. Je ne veux plus en entendre parler. Je les entends, je les entends parler. Je veux les chasser de ma pensée, je ne veux plus qu’ils existent.
Je veux les tuer, je les tue, je fais le bruit de les tuer, je les liquide.

Elle se dit un jour ça se produira, je baignerai dans un lac de fluidité, mes bords ne seront plus rugueux.

[composition abstraite, vers 2013]

 

holophrase diététique

 

elle occupe le centre de l’assiette
c’est une patate cuite oblongue
une certitude offerte

d’une part

et d’autre part la silhouette dansante
d’un surfeur blond corps latexé de bleu
remontant le chemin chevilles dorées
sa planche sous le bras

dansant autant que la patate
est immobile et rassurante

/ comme les bancs dont il faudrait
élaborer une politique du regard
ponctuant chaque occasion
de possibilité d’un spectacle /

si les bancs aussi rassurants
que la patate au milieu de l’assiette
qui n’attend rien de rien
que d’être
et encore comment en être sûr
de la part d’un féculent si lent ?

si les bancs aussi immobiles
que rassurants contiennent
des corps contigus
c’est qu’ils suivent des yeux
le surfeur blond dansant 

le fantasme de l’immobilité dernière
s’écraserait telle la patate
en purée définitive

sur la grâce en mouvement
de ses pieds nus sur le bitume.

                                                                                      Pablo Picasso, Tête de femme, 1924