L’obstacle ou l’impasse. II.

 

 

que seraient-elles, hein ?
seraient-elles organisées, ordonnées, distribuées ?
et selon quel mode de l’éloignement (aurait dit Derrida dans une fausse citation* fanée comme un costume oublié) ?

les phrases
les phrases
les phrases les phrases ad libitum
les phrases qui se répètent
les phrases imaginées
les phrases ressassées
celles qui ne servent à rien
celles qui sont ravalées mais pas comme un mur
ou comme un mur : phrases peintes phrases décollées sur des affiches à la Villeglé

ou comme un mur
ou comme un mur
ou comme un murmure
comme le murmure de jamais le murmure de toujours
le murmure du ça
du ça va ça va pas du couci-couça

phrases à la va-vite à l’emporte-pièce
misérable liberté du faiseur de phrases
phrases empilées empoilées dépilées dépliées dé(ver)gondées, etc.

jamais ne suffiraient
le pourraient-elles
qu’elles ne le voudraient oh non, pas.

* contexte de la citation supposée (?) : « la question n’est pas tant de vivre ensemble,
que de savoir à quelle distance et selon quel mode de l’éloignement ».

Journées de l’École de la Cause Freudienne (ECF), 16 et 17 novembre 2024,
axes cliniques de la thématique

 

L’obstacle ou l’impasse.

 

 

quelle est la tristesse de la route ?
quelle est la tristesse du chemin ?

– gageons que cette question intéressera nos contemporains, dit le Chef
– gageons que les zones de caravaning sur la droite auront les mêmes caractéristiques que celles sur la gauche, précise l’Adjoint du Chef
– gageons que Francis Ponge saura reconnaître les choses de la tristesse, avance le Sage
– gageons qu’il existe encore quelques trouées pour bifurquer, renchérit la Chouette

– perdons-nous ! suggère l’Effrontée
– balayons devant chez nous, poursuit la Distraite
– balayons-nous nous-mêmes, assène le Pessimiste actif

quelle est la question dès lors qu’elle est subdivisée à l’horizon des subdivisions ?

– nous n’en dirons pas plus, rétorquent les Divisionnaires
– nous nous tairons, murmurent les Prudents
– nous nous soumettrons au silence, jurent les Obéissants

Il est question d’une statue de sel qui choit. De l’imaginaire.
D’une actrice qui parle un peu fort.
D’un sentiment indéfinissable devant une grande place déserte et pluvieuse.

D’absence totale d’inspiration.
Beaucoup moins de la répétition.
De brumes et d’humidité. D’humilité.

De variations sur la place déserte et désertée.
De sa lumière un peu brumeuse.
De ses décorations un peu pauvres.

Le fait de rentrer dans un espace où on a sa place.
Les places et les carrefours.
Les places et l’espace ouvert, où rien ne corrompt la vision.

Plus de brillant, que de l’imparfait, du brinquebalant.

[récitante : la Nostalgique]

« faisceaux impitoyables des plafonniers » *

 

 

* Les lumières d’en bas, ai-je pensé, voilà la vraie différence. En Russie, elles n’existent pratiquement pas. (…), vous verrez partout les faisceaux impitoyables des plafonniers qui descendent d’en haut
et illuminent les fenêtres. Les plafonniers sont pratiques. Il suffit d’appuyer sur un bouton
pour que toute la pièce soit éclairée par la même luminosité uniforme et brutale. (…)
Les petites lumières d’en bas, en revanche sont peu commodes. Vous devez les allumer une par une et il en faut au moins trois ou quatre pour générer la même quantité de lumière. (…) crée une atmosphère propice à la conversation et à la lecture de vieux livres, (…) pièces douces (…) se raconter des contes de fée ;
un luxe que les Russes n’ont jamais pu se permettre.
extrait de Le mage du Kremlin, Giulano da Empoli, 2022

 

je cherchai quelque chose qui existe déjà
quelque chose qui se modifie parfois
je cherchai à la fois des mots

mais le temps siphonne les intentions

& d’autres possibles
rendus possibles par les distances
il fallait des conditions que je ne trouvai jamais

chercher n’est jamais trouver ou bien ?
ou bien trouver sans jamais chercher

le temps court sans alerte

quelque chose que je connais déjà
qui relève du familier y compris
dans l’exercice de l’irraison et des lumières

à nouveau du méconnu viendrait
recouvert des strates sans illusion
de la sinistre répétition

à haute densité le temps

 

Il paraît même, selon certains historiens, que, à cette époque, la lumière brûlait
toute la nuit dans les rues, toute la nuit il y avait des passants et des voitures.
Evgueni Zamiatine, Nous, 1920

 

sur le motif « comme à l’accoutumée… »

 

 

je fais ma gym au sol devant les volumes de l’Encyclopædia Universalis, qui, comme chacun sait, servent à maintenir la bibliothèque lorsqu’elle n’est pas fixée au mur.

je pense (à peine une pensée), quelqu’un en moi pense : et si j’écrivais un livre à partir d’un volume que j’ouvrirais, du mot que je trouverais, livre ouvert ?

je fais ma gym sans mes lunettes évidemment, autant dire que je n’y vois rien, le jeu est de tirer un volume au hasard, de l’ouvrir, de mettre alors seulement mes lunettes.

ce que je fais : un mot introduit toute la double page : Iran.

immédiatement pensé-je à nouveau (tant de pensée pour rien, quel gâchis) : nous y sommes (oui mais où ?), les missiles balistiques, la réplique attendue d’Israël.

Iran, je pense alors : ira, irae, la colère. pourquoi comment associer des trucs pareils ? des trucs ressurgis du néant du latin jadis appris ?

il se trouve cependant qu’il y a une collusion troublante entre le mot Iran et la signification du mot ira. je n’en tire aucune conclusion, prudemment.

je fais une photo de la double page 594-595 du volume 12 Inceste – Jean Paul, et puis rien. quelqu’un fera bien le travail à ma place.

ma paresse est immense, je m’y baigne, je m’en délecte, je suis reconnaissante au destin de m’avoir fabriquée si paresseuse.

mais quelqu’un se rebelle, quelqu’un voudrait toujours me faire travailler, écrire un livre, alors que je préfère tant écouter des chansonnettes et chantonner.

la musique sautillante et les ritournelles, les opérettes et toutes les formes mineures m’enchantent (cette phrase décrit pourtant une réalité fausse, ou stéréotypée).

la pensée divague, ce n’est pas bon pour le droit fil du sens. Michel Blanc vient de mourir et des tas de bruits pas blancs du tout circulent dans sa chanson.

 

 

si lointains, les textes > l’or des fous

 

 

d’abord très lointains, si éloignés
puis – si lointains – et l’amorce d’un dialogue
ou d’un soupir : si lointains…(soupir)

le cristal en formation qui forme un cube parfait
dans la nature existe : au moins une fois :
le cristal de pyrite, connu sous le nom d’or des fous

des milliards de pages et d’images :
on pourrait tout savoir, tout sur tout
classiquement et vainement (etc.)

tel un simulacre, tout texte
serait un or des fous, or cependant le tien :
celui que tu tiens et qui te tient.

© Augusta Lubitsch, linguiste anacoluthique zeugmatique,
possiblement orientée par la préface de R. Barthes à La vie de Rancé de Chateaubriand,
qu’elle cite excessivement : (…) seule l’écriture peut donner du sens à l’insignifiant ;
& : (Chateaubriand mesure son mal au fait qu’il peut désormais se citer).
& : Cette distance, établie par l’écriture, ne devrait avoir qu’un seul nom (…) : l’ironie.

          disparition progressive d’un syntagme figé sous envahissement de lichens, lettres attaquées

s’en tenir à la première impression

 

 

Il ne sert à rien de creuser le sens.
proverbe, Augusta Lubitsch

 

la contingence me contraignait
j’étais soumise aux contingences
et, de la sorte, je ne pouvais disposer de mon temps
comme je l’aurais voulu
        un jour une femme a dit, parce que j’avais envie de manger
        à l’heure du déjeuner : vous êtes soumise à la contingence, vous !
        c’était une femme de pouvoir, j’étais obligée d’attendre pour manger

 

 

la durée est une notion qui m’obsède
la durée durant laquelle on vit se modifie à vue, &,
considérant que l’oubli prend la place de choses
qu’on voudrait nommer, on n’a pas de solution
        il dit : où ai-je mis ma carte ? nous cherchons sa carte partout
        nous déclarons la carte perdue,
        la carte avait été transformée en marque-pages du livre offert

 

 

les humains ont très peu de consistance,
la consistance provient des rides et des yeux qui se plissent,
du rai de couleur qui trace horizontalement dans l’air
quelque chose d’étincelant, bleu
       son visage me faisait face au crépuscule, je l’écoutais parler,
       et non seulement mais aussi, regardais ce visage dont l’expression
       avait une consistance palpable, il disait : mais oui !

 

 

cet effet de la solution introuvable
peut être mâchonné sur le chemin
mille et mille fois : elle n’existe pas,
même à l’état de chewing-gum
         je me demande où le mot solution a-t-il été employé et à quelle date,
         dans le grand cahier noir ou bien dans l’ordinateur ?
         et pourquoi ce mot ? je dis tout haut : il n’y en a pas