(de la tanière, titre précédent)

 

 

les bâtisseurs détiennent une partie de la vérité
parce qu’ils savent où poser les pierres

 

j’ai tué l’écriture
de temps à autre je la tue

l’empreinte durable du temps
quand elle disparaît
quelque chose défile : ”le paysage”

théoriser l’à peine écrit
comme expression possiblement plus juste de
”écrire & ne pas écrire”

comme sa différence, sa soustraction :

écrire

ne pas écrire
________________

= l’à peine écrit

l’à peine écrit :
régime de possibilité de l’écriture
ne rien en savoir pendant
ne rien y comprendre après

la chair du monde est dans le monde
pas la peine de l’écrire

[exemple d’à peine écrit : intitulé huître, palimpseste ]

                                                                                                                        quinzaine de poules en quête d’ombre

corps sans pesanteur ni lieu

 

 

 

enveloppe peau flottement
comme vêtu sans vêture
corps spatialisé
besoin de le vouloir
besoin de corps le vouloir
besoin de vouloir être
& si être

ce silence de l’enveloppe
ténue l’enveloppe
à peine un voile
à peine une minimale caresse
de l’air

l’air enveloppe corps
corps n’est plus allongé
corps flotte
n’a plus de pesanteur
aucune

Gabriele Münter, Échafaudage, 1930

juxtaposition à l’ordinaire (esquisse)

 

pluriels chants d’oiseaux
lézards, boutons d’or,
fleurs orange, virgules, saules ployant
rosiers, rosier 1 rosier 2 rosier 3

singulier olivier
lilas, laurier arbre, cyprès immense
jasmin en reprise, iris jouxtant une porte
chapeau rouge brique à terre

fanées : jonquilles, narcisses, jacinthes
en fleurs : violettes, primevères, tulipes, fraises, thym
en feuilles : artichaut, rhubarbe, hortensia, arum

troncs coupés, lierre montant,
buis dévasté par la pyrale insatiable
cassissier en développement

est-ce qu’il compte, mon avis ?

Dorian Rigal Minuit, Cyber-architecture, 2025

s’en tenir à la première impression

 

 

Il ne sert à rien de creuser le sens.
proverbe, Augusta Lubitsch

 

la contingence me contraignait
j’étais soumise aux contingences
et, de la sorte, je ne pouvais disposer de mon temps
comme je l’aurais voulu
        un jour une femme a dit, parce que j’avais envie de manger
        à l’heure du déjeuner : vous êtes soumise à la contingence, vous !
        c’était une femme de pouvoir, j’étais obligée d’attendre pour manger

 

 

la durée est une notion qui m’obsède
la durée durant laquelle on vit se modifie à vue, &,
considérant que l’oubli prend la place de choses
qu’on voudrait nommer, on n’a pas de solution
        il dit : où ai-je mis ma carte ? nous cherchons sa carte partout
        nous déclarons la carte perdue,
        la carte avait été transformée en marque-pages du livre offert

 

 

les humains ont très peu de consistance,
la consistance provient des rides et des yeux qui se plissent,
du rai de couleur qui trace horizontalement dans l’air
quelque chose d’étincelant, bleu
       son visage me faisait face au crépuscule, je l’écoutais parler,
       et non seulement mais aussi, regardais ce visage dont l’expression
       avait une consistance palpable, il disait : mais oui !

 

 

cet effet de la solution introuvable
peut être mâchonné sur le chemin
mille et mille fois : elle n’existe pas,
même à l’état de chewing-gum
         je me demande où le mot solution a-t-il été employé et à quelle date,
         dans le grand cahier noir ou bien dans l’ordinateur ?
         et pourquoi ce mot ? je dis tout haut : il n’y en a pas

< l’invention de la barre d’état >

 

 

il était une fois le regard obnubilé,
vers 1986 ou peut-être 1987
la barre d’état durait plusieurs heures
souvent une nuit, une nuit où elle avançait
une nuit à fumer des cigarettes
et à contempler l’écran, lui,

le mieux était de ne pas dormir
mais le mieux, le mieux :
était surtout de ne pas dormir
de ne pas quitter cette page
avant la fin de l’opération
et, au fil des mois, des années
de constater, émerveillé, à quel point
la barre d’état allait de plus en plus vite
de constater, émerveillé, à quel point
tout allait plus vite, tellement plus vite,
à quel point c’était merveilleux
de regarder la barre d’état filer vers le néant,
de plus en plus vite

et de rester, de ne pas dormir,
de ne plus jamais dormir,
de rester à fumer des cigarettes
le regard obnubilé par l’écran
la barre d’état ayant filé dans le néant
depuis longtemps, elle.

ne manque rien

 

 

 

le silence

Pessoa (re)

face au vide plein

théorie du gâchis, de l’en-dessous

& peu d’atermoiements

à se dire quelque chose

si tant est que

 

assise sur le bord de son lit
l’actrice se remémore les scènes
sur lesquelles elle parut il y a si longtemps
– dans sa bibliothèque un rayon Mélancolie

 

du bout de son pied nu elle déplace
quelques grains de poussière
s’émeut d’un rayon transperçant le gris
et d’un gros oiseau parcourant le pré

 

il y a toujours une fenêtre
depuis laquelle observer
la fusion de l’air et de l’esprit.