LES 8 DERNIERS JOURS D’ANASTROZOLE.

 

 

MERCREDI.

Des oiseaux chantent, comme tous les matins. Un particulièrement, sur deux notes, répétitivement, en modulant les rythmes. Un autre se superpose, décidé à n’employer qu’une seule note, plus haute que les précédentes.
Comme tous les matins et tout le reste du temps, que les oreilles écoutent ou pas. Les oiseaux ne s’arrêtent pas de chanter si on ne les écoute pas ; ils s’en fichent de l’écoute.
Les phrases qui s’enchaînent forment un petit filet dans lequel s’emprisonnent des pensées maladroites et peu formées, sans qu’on sache qui les a commencées.

Le mercredi de ce début s’approche d’une fin : le mercredi suivant cessera la prise d’anastrozole, qu’une femme prend depuis 1826 jours – année bissextile comptée, une de celles divisibles par 4 – comme un prénom qu’elle ingère chaque matin avec un peu de jus de fruits, très souvent orange-carotte, mais parfois plus compliqué – une combinatoire de fruits improbable, sur laquelle un fabricant a misé pour attirer l’attention, en un jus rouge sombre – ou bien plus simple : clémentines.
Elle gobe le cachet tout petit en ouvrant ses volets. Aujourd’hui elle se demande si elle continuera avec le jus de fruits s’il n’y a plus d’anastrozole. L’un entraîne l’autre, qu’elle boit au large goulot, sans intermédiaire, pour être au plus près du médicament protecteur.

Ce mercredi inaugure la dernière semaine de prise, et plus précisément, les sept derniers jours après ingestion et ouverture des volets. Il n’y aura plus qu’un seul mercredi, et le jeudi suivant, plus d’anastrozole, un matin inconnu, sans jus ni gobage de cachet.
Et que se passera-t-il ? La femme cessera-t-elle d’avoir les mains et les yeux secs ? Retrouvera-t-elle sa libido disparue ? Se remusclera-t-elle ? Se transformera-t-elle en une adorable créature ouverte aux humeurs du monde plutôt qu’aux siennes propres ? Aura-t-elle moins d’insomnies durables ?

JEUDI.

Des oiseaux chantent. Le jus de fruits (clémentine) était un peu acide ; l’origine n’est pas pur fruit, je ne crois pas ; je l’ai acheté au village, pas au rayon frais. J’achète le jus que je peux, pas toujours celui que je veux.
J’ai fait sauter le petit cachet de son alvéole, l’ai avalé et ouvert les volets dans la foulée. Il n’en reste que 6.
6 ! Alors qu’il y en eut tant et tant, enfilage de plaquettes sur plusieurs saisons, dans plusieurs lieux, en Autriche, en Slovénie, en Andalousie, à Paris le plus souvent, à la campagne aussi depuis un an, dans le Sud, à Sète, en Provence, à Manosque, à Bordeaux et Arcachon, dans les Landes, en Bretagne sûrement, dans le Morbihan, dans le Finistère…à Rochefort, Madrid, San Sebastian, Royan, des villes où je ne serais peut-être jamais allée s’il n’y avait pas eu le cancer.
Je ne sais pas s’il y aura encore jus après le petit cachet. J’en ai encore acheté une bouteille, un compliqué, un de la combinatoire de fruits au jus sombre.

Je me souviens : je suis passée devant l’endroit où j’ai fait changer mes pneus avant l’autre jour, avec cette sensation de retrouver ma route. De plus en plus je connais les routes dans la petite ville proche de chez moi à la campagne.
J’ai dit à une petite assemblée (nous étions 6, trois hommes et trois femmes) l’autre soir à Chartres : bientôt c’est fini, bientôt je n’aurais plus ce petit cachet à avaler tous les matins, comme si c’était une information de la première importance.
Parfois je me donne une importance qui n’a pas lieu d’être. Qui se soucie du petit cachet à avaler qui va protéger contre une récidive de cancer surtout que ça ne protège pas à 100%, l’oncologue a bien été obligée de l’admettre.

Je suis en rémission complète, ce qui ne veut pas dire guérie, mais l’oncologue aimerait bien que je me persuade que c’est comme si j’étais guérie, mais ce n’est pas comme si, ou plutôt c’est bien comme si, c’est à dire pas équivalent. La mathématique et le langage n’ont jamais fait bon ménage, comme d’habitude.
Et si on plante les yeux dans les yeux de son interlocuteur, on ne donne pas cher des paroles qui éclosent ensuite dans sa bouche.

VENDREDI.

Des oiseaux ont chanté. Chantent encore mais moins ; il est plus tard que les jours précédents. La température est montée, un peu. J’ai compté : ne m’en reste plus que 5 à avaler.
Je me fais livrer 500 litres de fuel ce matin pour l’ECS (eau chaude sanitaire). Il y a un 5 dedans, pas comme dans la date. J’attends le camion de livraison. Je suis davantage préoccupée par l’attente et le prix du fuel que par les médicaments. J’ai regardé : il a légèrement augmenté. Il a tant baissé ces derniers mois. Il faut saisir l’opportunité : au bout d’une longue baisse, ne pas hésiter à commander. Les professionnels du fuel vous recommandent.
 Je n’ai plus la notion des 5 ans. Pourtant.

Ce matin, j’ai bien vérifié qu’un peu d’aluminium ne restait pas dans le creux de ma main avec le cachet. De temps à autre, je vérifie.
Les oiseaux ont momentanément cessé de chanter. Peut-être n’aiment-ils pas la chaleur qui vient. Ou bien ont-ils suspendu leur chant pour attendre avec moi le camion de livraison.
L’oncologue a bien dit : aller jusqu’au bout du bout des 5 ans. La femme a bien essayé de temporiser, de négocier : et si j’arrête un peu avant, une quinzaine de jours avant ? Impossible de se renseigner là-dessus, internet ne donne pas la clé, sur le fait de vouloir gruger, grapiller quelques jours ; au contraire, il semble y avoir des durées encore plus longues de prise pour l’hormonothérapie (à ne pas confondre avec le traitement pour la ménopause, précisent les sites).

Je ne vois pas vraiment l’intérêt d’écrire un texte à ce sujet, bien que nombre de textes s’écrivent sur des sujets encore moins intéressants. Je ne voudrais pas, naturellement, être prise pour une de ces femmes qui se répandent sur les forums en attribuant à leur médicament la personnalité d’un accompagnateur masculin de leur vie, le dotant d’un prénom ou pire, d’un hypocoristique.

SAMEDI.




Des oiseaux chantent. J’ai grand ouvert la fenêtre de ma chambre. Il a fait chaud cette nuit. Descendue prendre le médicament, ouvert tous les volets du bas, remontée dans mon lit, face à la fenêtre. Ne reste plus que quatre cachets. 4 ! Un chiffre équivalent à des jours, à ceux qui terminent un mois en 31 jours, un joli mois de mai.
Cette nuit, la large nue piquetée d’étoiles m’a hélas fait penser à Elon Musk. C’est un de ceux qui menacent l’humanité avec le développement de machines qui vont définitivement nous asservir, avec leurs puces greffées dans les cerveaux commercialisées sous l’enseigne Neuralink. Un “autiste Asperger”, qui prend soin de préciser : seulement pour ceux qui voudront, sourire carnassier aux lèvres. Les essais réalisés sur des singes vont être étendus à des volontaires humains.

Les oiseaux ne se lassent pas de chanter, le monde n’est pas fini tant qu’ils chantent et qu’il y a de l’eau dans mon puits. J’ai mal au bras et j’aurai mal jusqu’à la fin de mes jours : tendon supra-épineux rompu et arthrose dégénérative, ténosynovite de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. Pas d’opération, je ne veux pas être immobilisée, je ne le pourrais pas, vivant seule. Je n’arrive pas au bout de cinq ans de traitement après tous ces traitements lourds de cancer pour me faire opérer, non.

J’ai signalé au laboratoire qui fabrique les petits cachets d’anastrozole, un “labo générique”, ce qui m’arrive depuis plusieurs mois. Ils m’ont dit que j’avais bien fait, mais ils ne voient pas le rapport avec la prise de leur médicament. Moi non plus, mais je pratique la pharmacovigilance ; je signale systématiquement, parfois à l’ANMS (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), les effets secondaires observés de médicaments ou de vaccins.
Bref, la fin de l’anastrozole se conjugue avec ces douleurs tenaces liées à cette tendinopathie à l’épaule gauche. Je vois une jeune polonaise deux fois par semaine, qui fait ce qu’elle peut, c’est à dire pas grand-chose : on n’est pas des magiciens, dit-elle avec son accent si particulier, ce que je lui concède volontiers. On s’est encore donné deux séances la semaine prochaine, et puis on avisera.
D’ici là, j’aurai terminé l’anastrozole, et alors, que va-t-il se passer ?!

DIMANCHE.

Les oiseaux ont chanté. Je les entendais d’autant mieux que j’avais ouvert la fenêtre de ma chambre. Les cloches ont ensuite longuement retenti, d’abord les cloches de l’église, puis la cloche républicaine de la mairie ; il était huit heures. 
J’ai pris le cachet avec la fin du jus de clémentines. Les 3 restants, je les prendrai avec ce jus pourpre que j’ouvrirai demain : pomme raisin poire grenade. Puis je terminerai le jus sans aucun cachet les jours suivants, ou d’un seul coup le même jour, je ne sais pas.

Hier, j’ai coupé la plaquette de 10 dont 6 cachets ont déjà disparu, pour ne plus voir les alvéoles vides, ne plus voir que le reste de ce qui était à prendre dès ce matin, place nette, pour que la plaquette soit diminuée, amputée de son intégrité de plaquette de médicaments.
Ces plaquettes, je les découpais souvent, pour prévoir la quantité nécessaire, ou la quantité de secours, pour mettre seulement 2 cachets dans mon sac, au cas où, à l’intérieur d’une minuscule pochette de tissu chinois jaune brillant, ou bien les diviser dans ma trousse de toilette lors d’un court séjour.

Mes déplacements et voyages nécessitaient des stratégies de préparation, de prévoyance d’un nombre adéquat de médicaments rapportés au nombre de jours, plus quelques-uns. Il reste quelques-unes de ces plaquettes diminuées, que je rapporterai scrupuleusement à la pharmacie. Elles sont déjà préparées sur mon bureau.
Je m’imagine contente d’aller les rapporter, un peu fière aussi. C’est idiot mais pas tant que ça ; je n’imagine pas polluer la poubelle avec de l’anastrozole, qui irait où ? Où vont toutes ces molécules dans toutes leurs galéniques, négligemment jetées dans les poubelles ordinaires ?
Je pense que je dirais à la pharmacienne : c’est fini ! bon débarras ! Aujourd’hui, ce n’est pas fini. Pas encore.

LUNDI FÉRIÉ.

Le chant des oiseaux, tôt ce matin, une symphonie calme dans le silence ambiant. Je ne suis pas encore descendue prendre mon médicament, l’antepénultième. Je pense aussi qu’il faut que je prenne l’ampoule de vitamine D, on est à la fin du mois ; je dois la prendre tous les deux mois, je ne sais pas jusqu’à quand, jusqu’au prochain contrôle avec l’oncologue au moins, dans six mois. L’anastrozole impacte les os, d’où la vitamine D. Les miens semblaient de bonne densité lors de l’osteodensitométrie du début, il y a cinq ans. L’oncologue a toujours tendance à me féliciter, comme si j’y étais pour quelque chose, pareil pour les cicatrices, au sein et près de l’aisselle. Vous avez de bons os, les cicatrices sont belles. Tant mieux.

Il ne restera plus que 2 cachets dans le moignon de plaquette. C’est fait, j’ai pris le cachet et l’ampoule de vitamine D avec le nouveau jus après avoir ouvert tous les volets sur le ciel bleu. La cloche républicaine sonne sept heures, le son en est plus sec que celle de l’église qui développe des harmoniques après-coup.

J’écoute la radio : Le président turc reste au pouvoir et entame sa troisième décennie à la tête du pouvoir. On entend des turcs craindre ces résultats, des femmes en particulier, craindre pour leurs libertés. Les déchets plastiques font aussi l’actualité, les micro-plastiques plus précisément. On n’y arrivera jamais, comment contraindre, quels compromis, et caetera.

Heureusement, la musique revient sur France-Musique qui me remercie de l’avoir choisie.

MARDI.

Les oiseaux m’offrent un concert matutinal, j’ouvre la fenêtre pour mieux le savourer. À 5h38, un moustique vient me zzzziter à l’oreille, je le chasse de la main, il va voir ailleurs.
Descendue prendre l’avant-dernier cachet, j’ouvre d’abord les volets ; le soleil inonde les pièces à l’Est, mon bureau en particulier. J’éprouve un certain plaisir à voir ce tout petit cachet restant dans l’une des quatre alvéoles pour demain : le dernier, que je prendrai, obéissant à la consigne de l’oncologue. Elle m’a bien dit, les yeux dans les yeux, alors que je tentai une ultime remise de peine : jusqu’au dernier jour du mois. Je fais ce qu’elle m’a dit de faire, je me garderai bien de ne pas le prendre.

Le nom des molécules est un sujet de plaisir de dire : anastrozole ne me déplaît pas. Une autre molécule m’amuse aussi : tocilizumab, bien que la réalité qu’elle recouvre, chez une personne qui m’est chère et ne souvient pas qu’elle la supporte en injection tous les 15 jours pour contrer les effets de la cortisone au long cours, ne soit pas joyeuse du tout.
Nous allons ainsi vers la mort avec des molécules censées nous réparer, aux noms amusants, que nous oublions parce que notre mémoire ne s’encombre plus de noms, ou qu’un nom équivaut à un autre.

Donc aller vers la vie avec la fin d’anastrozole, supposément. Je le pose ici pour m’en souvenir.

MERCREDI.

Oiseaux, fleurs, soleil à foison. Je suis descendue, j’ai pris le dernier anastrozole de la dernière alvéole, jeté le reste de plaquette, un malheureux bout de plastique et d’aluminium, sans rien penser d’autre que : ne pas jeter le cachet avec, dans le sac de tri sélectif.
Non, il est bien resté dans ma paume, et je l’ai avalé avec ce jus pourpre dont il reste un peu. Je ne rachèterai pas de jus ; pas tout de suite, peut-être jamais.
La marque a choisi pour signifiant un motif déculpabilisant : innocent. Mais c’est tout de même sucré…et dans du plastique.

Hier, je n’ai pu m’empêcher de rapporter par avance les 3 bouts de plaquette à la pharmacienne, 9 cachets en tout et pour tout, c’était bien calculé, il n’y en avait pas tant que ça, pas tant de surnuméraires. La patronne, qui me connaît, a levé la tête et souri.
Hier, c’était l’avant-dernière séance de kiné pour mon épaule ; demain la dernière. On a décidé d’essayer de voir comme ça. J’ai un peu moins mal qu’au tout début quand je prenais des anti-inflammatoires et qu’il n’était pas conseillé d’en prendre
longtemps ; dix jours et stop.

Dans la nuit, lors d’une insomnie un peu longue, j’ai écouté ce camarade philosophe s’escrimer sur les IA génératives, leur absolu danger pour l’humanité, le décervelage dont nous ferions l’objet à brève échéance. Mes yeux piquaient et se fermaient, mais je voulais écouter le replay télévisé de l’émission jusqu’au bout, ce n’était pas très long, je me suis ensuite rendormie. Je pensais au dernier cachet.


Mais ce matin, c’est surtout à demain que je pense, un demain sans anastrozole.

                                                                                                                                                     Illiers-Combray

passer une éponge sur la table des sentiments

 

 

on entend les coups de feu
un sanglier blessé
traverse la route

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des fois Zelensky a une voix
de personnage de dessin animé,
je sais, c’est mal

………………………

elle chante Poulailler poulailler poulailler
dans une video de cheveux
très rythmée

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à défaut d’une idée
sur quoi que ce soit
acheter de l’ail et une salade

                           Espace Topographie de l’Art, exposition Contours du Réel / jour de performance, 2023.

 

 

DE L’USAGE DE LA PARANOIA EN TEMPS DE PAIX

 

[2 juin 2002]

(…) la paranoïa se retrouve à son acmé dans le besoin d’un leader qui aurait déterminé avant nous le savoir auquel nous pourrions nous confier.
Et peu importe les dégâts opérés par une telle soumission.

François Roustang, in Comment faire rire un paranoïaque ?

 

Ça ne suffira pas d’envoyer des policiers et des ? dans les banlieues.
Je ne crois pas qu’il faille plus de policiers et plus de ? dans les cités dangereuses.

La perception de l’insécurité / la lutte contre l’insécurité
J’ai bien entendu ce qu’était l’exigence de sécurité
Pas simplement des mots mais des actes
Nous avons acté
La punition la sanction
Oui, il faut une véritable politique d’immigration / d’intégration
Prendre en charge les jeunes qui sont
Il faut aussi responsabiliser les parents
Le bâti, oui, mais beaucoup plus ?

On a beaucoup parlé de l’insécurité, dit celui qui vient de prononcer 10 fois le mot

L’insécurité est le fait d’un certain nombre d’individus
Faut réguler les flux / il faut régler / traiter globalement les questions

Nous nous disons
Ce que nous venons de dire
Deuxièmement
Il est normal qu’il puisse y avoir
Et la troisième proposition que nous faisons…

Et votre stratégie pour les élections législatives ?

Faire vivre les valeurs de la démocratie
Va voir dans les campagnes où mugissent de terribles soldats
qui piétinent nos sillons qu’un sang impur les abreuve
pendant qu’un bout de banquise de 70 kms se détache négligemment du Pôle

On doit faire un travail de pédagogie, de combat politique
Et les 35 heures pour les gens d’en bas / d’en haut ?
Est-ce que ce n’était pas nécessaire ???

Je crois qu’il faut faire une distinction
Les salariés les moins protégés = les ouvriers
Il y a eu progrès collectif (dans l’euphémisation)

Partout en France les candidats
L’immigration de première deuxième génération
C’est une poussée de l’extrême-droite partout en Europe
Nous devons réfléchir à la cause de cette poussée ?

Nous n’avons pas été capables de
La question, c’est quel projet ?
Nous devons poser les questions, et y apporter des réponses

Les flux migratoires ?
Les couches populaires ?…….

La note que Musil inscrit le 2 juin 1902 dans son journal commence par les mots :
« Ein Thema für den Herrn Schriftsteller : […] ».

rognures de notes sur le Dasein et le Gerede

comme ça vient : de l’impossible toujours possible

une note après l’autre : le beau s’est éloigné

crainte de l’abaissement : la catastrophe a déjà eu lieu (Winnicot)

le blabla de l’être-là : est là. est, en ce sens, là.

il ne s’agissait pas de cela : alors de quoi ?

par temps de – – – – – – – remplacer les tirets par un mot

texte à trous : il l’est toujours, puisque la langue l’est, trouée

nous dirions encore : quel est ce nous ? (hein ?)

ce ne sont pas des notes : non, c’est un semblant

voici des notes : qu’auriez-vous pensé de la finitude ?

L’angoisse est une disposition affective qui remplit la fonction de ménager à l’être-là une ouverture vécue et primordiale pour l’être-pour-la-mort.
L’angoisse se distingue des autres dispositions affectives en ce qu’elle met le Dasein en présence du non-étant.
L’angoisse désigne le sentiment de la situation où intervient l’épreuve authentique de la finitude.
(notes extraites de La notion de finitude dans la philosophie de Martin Heidegger,
Henri-Charles Tauxe, L’âge d’Homme, 1971)

le beau s’est éloigné : on regarde le bleu

on regarde en l’air : on lève, on relève ? on révèle ? on rêve ?

comme ça vient : le blabla de l’être-là

[autres rognures de notes]

incertitude sur la bêtise (de soi et du monde)

et donc alors, ils se mirent à parler
ils se mirent à parler, beaucoup trop

quelque chose tombe, sans arrêt

seul, l’être sous le plafonnier (l’être est seul sous le plafonnier)

______ et la littérature a fondu

je prends grande le monde

et puis l’Amérique inexistante, son cinéma

arrêté ce qui a chu, impossible

toute vérité à course folle _______
même pas nue sous le plafonnier froid

11:48 impermanence des natures mortes

clémentines à feuilles, deux, pommes, deux, tomates, deux
flétrissement conjugué, surprise des pourrissements subits


pain, montre, chapeau, placard, CLAC


[ciel loin sur le château, oiseaux décrivant de vastes courbes inutiles]


banlieue de Londres, lit étroit, dispute, CRI


[bruit de l’horloge de pacotille réfléchi par le vide de meubles, mort jouée]


pages tournées, fauteuil, lampe, dé à coudre


[souffle du vent dans les branches, souffle soupçonné, chaleur d’un ICI]


à la même heure, esthétique des lumières


[limites du voir, de l’entendre, mur des sensations échouées, englouties]

 

disposition des meubles, place du compotier, position des fruits
occupation de l’espace, couleurs, vie, petites choses, GLING

                                       dessin de cahier avec jambages, Bordeaux, 17 décembre 1978