« L’enfant fini », par Philippe Rahmy (sept. 2015)

 

[Un “en cours de lecture” retrouvé : lumineux, inspiré, érudit,
qui me fut adressé
avant la parution du livre, par Philippe Rahmy]

 

Trois phrases par lesquelles j’ai fusionné avec l’écriture, après y être entré (touchant au projet d’écrire après avoir été touché par l’écriture) :

1.« Jasper est cet enfant se regardant être un enfant. »

2. « Jasper aimerait bien reparler avec Clemence Valenti, en savoir davantage sur elle, pour cela il doit faire l’effort de l’inventer, comment pourrait-il réellement, et serait-elle là, à l’attendre, c’est absurde, comment ? »

3. « Le va-et-vient naturel de Jasper avec le monde […] »

= = = = = = = = = =

Notes en cours de lecture :

Hoboken. Sur l’autre rive, Hoboken. Wikipedia dit qu’il existe un mémorial en projet à Hoboken, mémorial du 11 septembre 2001, une trace du/au futur ? et la ville de naissance de Frank Sinatra ?

Magnifique description du temps élastique des joueurs d’échecs.

Il suffit de montrer la possibilité de Jasper, pour que Jasper existe. Mais tout est effacé avant d’avoir débuté. Cet anéantissement comme naissance. La durée de cette naissance, comme une enfance. Comme Jasper. New York, l’Amérique, le monde stupéfié qui balbutie des pistes, des possibles, sachant qu’elles peuvent être effacées, et, pire, oubliées, car désormais, après la catastrophe, tous les trajets sont hypothèses, même le chemin le plus court entre Ground Zero et le musée, tout est et sera perpétuellement remis en cause par l’effet incessant des causes imprévisibles. Chaque parole peut être déparlée. Ces causes, on perçoit leur action, leur présence : dans le bruit, la vitesse.

Une catastrophe inédite. Formuler le sans-nom, ne pas le formuler, lui donner corps, naître de ça.

Il suffirait pourtant de montrer, comme la liseuse à la fenêtre, comme le tableau de Fromentin, de montrer la catastrophe. Impossible. Alors montrer l’impossible. L’aporie-Jasper.

Le jeu récurrent entre les interstices, les écarts, les isotopies disant la séparation, et l’isotopie contraire/complémentaire de la fusion : l’eau, les ponts, le désir d’Europe, la croissance, l’âge adulte, etc. (questionnement du temps qui hésite entre temps du devenir et temps éternel). Le liant (« ce qui manque ») est décrit comme « éclair », il peut être perçu par Jasper dans les yeux liquides de Clemence, de Clemence comme son autre, ou dans l’image de la « farine pulvérisée » (cendres–> « Der Tod ist ein Meister aus Deutschland »–> « tes cheveux de cendre
Sulamith »–>Celan–> la catastrophe inédite, naître de/après la Shoah).

En Europe, matrice de la catastrophe, première et indépassable catastrophe. Regarder l’Europe, regarder le carnage de la Shoah. Le voir se refléter dans le miroir des tours de NY. Comment ? Impossible superposition. Pourtant écho. Naître « après ça »…

Le dessin de l’autiste survolant Manhattan réaliserait le prodige du monde réunifié ? La réparation « cicatricielle » du pêcheur sur le ponton, cet instant, soudain, donné comme épiphanie (cf. C. Simon, temps suspendu, éternité du monde fracturé, pourtant expérience d’une complétude).

Les automates, le mouvement saccadé, entre vitesse et immobilité ; projet héraclitéen d’appariement des contraires : le geste saccadé réalise, à sa manière, la fusion/suture/appariement entre le délié, le monde a-problématique, l’idylle d’avant la catastrophe, l’impensable « avant » et l’anéanti, le présent informulable.

Du pouvoir de la fiction. Le remède dans le mal ? Starobinski/Rousseau : Jasper, ou la fiction au chevet de l’Histoire. Du pouvoir de l’image… il suffirait de montrer (pourtant, sur le ponton, à côté du pêcheur, contemplant la perfection de cette image, Jasper se sait à côté de l’image, séparé). Le monde recousu demeure fracturé par son extérieur, par le regard.

La passion des visages chez Jasper. « Il n’en a jamais fini avec les visages » -> Levinas et les visages : le visage, antidote à la destruction, humanité.
De « l’abîme des profondeurs aquatiques » à la lumière des visages, au visage des victimes, au visage de « Clemence ».

Vieille Europe et jeune Amérique autour du jeu d’échecs. Rapport crypté au monde, un langage de survivants (Perec), distinguant Clemence et Jasper : ils se parlent et ce sont des possibles qui se répondent, d’infinies listes de situations, de noms, de visages pétrifiés, d’innombrables vivants et d’innombrables victimes qui se regardent en silence, quand ces deux-là se parlent et s’inventent ; on serait alors avec « L’enfant fini », on ne le quitterait plus jamais, prolongeant la partie, la plainte et la joie, l’enfant infini multipliant les fugues et les spirales, comme un enfant fractal accordant encore une chance à la vie au moyen du langage.

[Le livre est toujours commandable chez l’éditeur]

“une figue accompagnée d’Abondance saigne”

(…) Nous boycottons l’Espagne de Franco. Franco est un super-grand méchant. Nous n’allons jamais en vacances en Espagne. Le peuple va en Espagne, nous non. Nous en concluons que nous ne sommes pas le peuple. Et puis en Espagne il fait beaucoup trop chaud. Nous, nous montons vers le Nord, dans des montagnes fraîches et abruptes, tellement abruptes que nous devons descendre de voiture pour la pousser. Elle ne veut plus avancer, avec la roulotte qui la leste. Le chien ne descend pas, nous regarde pousser de la lunette arrière. Sans rire. Le chien ne rit pas, mais nous aide mentalement. Nous le sentons. Nous aimons beaucoup notre chien. Nous nous battons pour partager le coffre du break avec lui.

Nous lisons des albums des Pieds Nickelés, eux aussi trois, idem les neveux de Donald, trois. Donc nous considérons que trois est le chiffre normal des êtres humains miniatures : ils marchent par trois. Comme les Trois Petits Cochons que nous écoutons en boucle sur le tourne-disque à couvercle gris. Maison de paille, maison de bois, maison de pierre.
Autour de nous, les autres marchaient comme ils voulaient, nous c’était par trois. Il y avait des familles catholiques qui marchaient par sept, mais eux, ils faisaient des gosses. Nous, nous n’étions pas d’une famille qui fait des gosses. Nous étions autre chose. Il valait mieux faire moins de gosses et mieux les élever qu’en faire plein et mal les élever. Nous avions conscience d’être élevés. Nous étions des enfants d’élevage. Nous ne savions pas à vrai dire que nous étions des enfants. Les autres étaient des enfants.
Nous ? Nous étions une espèce d’êtres à part, ni enfants ni animaux. (…)

                                                                  l’eau et les murs x 3 (capture Instagram septembre-octobre 2023)

LES 8 DERNIERS JOURS D’ANASTROZOLE.

 

 

MERCREDI.

Des oiseaux chantent, comme tous les matins. Un particulièrement, sur deux notes, répétitivement, en modulant les rythmes. Un autre se superpose, décidé à n’employer qu’une seule note, plus haute que les précédentes.
Comme tous les matins et tout le reste du temps, que les oreilles écoutent ou pas. Les oiseaux ne s’arrêtent pas de chanter si on ne les écoute pas ; ils s’en fichent de l’écoute.
Les phrases qui s’enchaînent forment un petit filet dans lequel s’emprisonnent des pensées maladroites et peu formées, sans qu’on sache qui les a commencées.

Le mercredi de ce début s’approche d’une fin : le mercredi suivant cessera la prise d’anastrozole, qu’une femme prend depuis 1826 jours – année bissextile comptée, une de celles divisibles par 4 – comme un prénom qu’elle ingère chaque matin avec un peu de jus de fruits, très souvent orange-carotte, mais parfois plus compliqué – une combinatoire de fruits improbable, sur laquelle un fabricant a misé pour attirer l’attention, en un jus rouge sombre – ou bien plus simple : clémentines.
Elle gobe le cachet tout petit en ouvrant ses volets. Aujourd’hui elle se demande si elle continuera avec le jus de fruits s’il n’y a plus d’anastrozole. L’un entraîne l’autre, qu’elle boit au large goulot, sans intermédiaire, pour être au plus près du médicament protecteur.

Ce mercredi inaugure la dernière semaine de prise, et plus précisément, les sept derniers jours après ingestion et ouverture des volets. Il n’y aura plus qu’un seul mercredi, et le jeudi suivant, plus d’anastrozole, un matin inconnu, sans jus ni gobage de cachet.
Et que se passera-t-il ? La femme cessera-t-elle d’avoir les mains et les yeux secs ? Retrouvera-t-elle sa libido disparue ? Se remusclera-t-elle ? Se transformera-t-elle en une adorable créature ouverte aux humeurs du monde plutôt qu’aux siennes propres ? Aura-t-elle moins d’insomnies durables ?

JEUDI.

Des oiseaux chantent. Le jus de fruits (clémentine) était un peu acide ; l’origine n’est pas pur fruit, je ne crois pas ; je l’ai acheté au village, pas au rayon frais. J’achète le jus que je peux, pas toujours celui que je veux.
J’ai fait sauter le petit cachet de son alvéole, l’ai avalé et ouvert les volets dans la foulée. Il n’en reste que 6.
6 ! Alors qu’il y en eut tant et tant, enfilage de plaquettes sur plusieurs saisons, dans plusieurs lieux, en Autriche, en Slovénie, en Andalousie, à Paris le plus souvent, à la campagne aussi depuis un an, dans le Sud, à Sète, en Provence, à Manosque, à Bordeaux et Arcachon, dans les Landes, en Bretagne sûrement, dans le Morbihan, dans le Finistère…à Rochefort, Madrid, San Sebastian, Royan, des villes où je ne serais peut-être jamais allée s’il n’y avait pas eu le cancer.
Je ne sais pas s’il y aura encore jus après le petit cachet. J’en ai encore acheté une bouteille, un compliqué, un de la combinatoire de fruits au jus sombre.

Je me souviens : je suis passée devant l’endroit où j’ai fait changer mes pneus avant l’autre jour, avec cette sensation de retrouver ma route. De plus en plus je connais les routes dans la petite ville proche de chez moi à la campagne.
J’ai dit à une petite assemblée (nous étions 6, trois hommes et trois femmes) l’autre soir à Chartres : bientôt c’est fini, bientôt je n’aurais plus ce petit cachet à avaler tous les matins, comme si c’était une information de la première importance.
Parfois je me donne une importance qui n’a pas lieu d’être. Qui se soucie du petit cachet à avaler qui va protéger contre une récidive de cancer surtout que ça ne protège pas à 100%, l’oncologue a bien été obligée de l’admettre.

Je suis en rémission complète, ce qui ne veut pas dire guérie, mais l’oncologue aimerait bien que je me persuade que c’est comme si j’étais guérie, mais ce n’est pas comme si, ou plutôt c’est bien comme si, c’est à dire pas équivalent. La mathématique et le langage n’ont jamais fait bon ménage, comme d’habitude.
Et si on plante les yeux dans les yeux de son interlocuteur, on ne donne pas cher des paroles qui éclosent ensuite dans sa bouche.

VENDREDI.

Des oiseaux ont chanté. Chantent encore mais moins ; il est plus tard que les jours précédents. La température est montée, un peu. J’ai compté : ne m’en reste plus que 5 à avaler.
Je me fais livrer 500 litres de fuel ce matin pour l’ECS (eau chaude sanitaire). Il y a un 5 dedans, pas comme dans la date. J’attends le camion de livraison. Je suis davantage préoccupée par l’attente et le prix du fuel que par les médicaments. J’ai regardé : il a légèrement augmenté. Il a tant baissé ces derniers mois. Il faut saisir l’opportunité : au bout d’une longue baisse, ne pas hésiter à commander. Les professionnels du fuel vous recommandent.
 Je n’ai plus la notion des 5 ans. Pourtant.

Ce matin, j’ai bien vérifié qu’un peu d’aluminium ne restait pas dans le creux de ma main avec le cachet. De temps à autre, je vérifie.
Les oiseaux ont momentanément cessé de chanter. Peut-être n’aiment-ils pas la chaleur qui vient. Ou bien ont-ils suspendu leur chant pour attendre avec moi le camion de livraison.
L’oncologue a bien dit : aller jusqu’au bout du bout des 5 ans. La femme a bien essayé de temporiser, de négocier : et si j’arrête un peu avant, une quinzaine de jours avant ? Impossible de se renseigner là-dessus, internet ne donne pas la clé, sur le fait de vouloir gruger, grapiller quelques jours ; au contraire, il semble y avoir des durées encore plus longues de prise pour l’hormonothérapie (à ne pas confondre avec le traitement pour la ménopause, précisent les sites).

Je ne vois pas vraiment l’intérêt d’écrire un texte à ce sujet, bien que nombre de textes s’écrivent sur des sujets encore moins intéressants. Je ne voudrais pas, naturellement, être prise pour une de ces femmes qui se répandent sur les forums en attribuant à leur médicament la personnalité d’un accompagnateur masculin de leur vie, le dotant d’un prénom ou pire, d’un hypocoristique.

SAMEDI.




Des oiseaux chantent. J’ai grand ouvert la fenêtre de ma chambre. Il a fait chaud cette nuit. Descendue prendre le médicament, ouvert tous les volets du bas, remontée dans mon lit, face à la fenêtre. Ne reste plus que quatre cachets. 4 ! Un chiffre équivalent à des jours, à ceux qui terminent un mois en 31 jours, un joli mois de mai.
Cette nuit, la large nue piquetée d’étoiles m’a hélas fait penser à Elon Musk. C’est un de ceux qui menacent l’humanité avec le développement de machines qui vont définitivement nous asservir, avec leurs puces greffées dans les cerveaux commercialisées sous l’enseigne Neuralink. Un “autiste Asperger”, qui prend soin de préciser : seulement pour ceux qui voudront, sourire carnassier aux lèvres. Les essais réalisés sur des singes vont être étendus à des volontaires humains.

Les oiseaux ne se lassent pas de chanter, le monde n’est pas fini tant qu’ils chantent et qu’il y a de l’eau dans mon puits. J’ai mal au bras et j’aurai mal jusqu’à la fin de mes jours : tendon supra-épineux rompu et arthrose dégénérative, ténosynovite de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. Pas d’opération, je ne veux pas être immobilisée, je ne le pourrais pas, vivant seule. Je n’arrive pas au bout de cinq ans de traitement après tous ces traitements lourds de cancer pour me faire opérer, non.

J’ai signalé au laboratoire qui fabrique les petits cachets d’anastrozole, un “labo générique”, ce qui m’arrive depuis plusieurs mois. Ils m’ont dit que j’avais bien fait, mais ils ne voient pas le rapport avec la prise de leur médicament. Moi non plus, mais je pratique la pharmacovigilance ; je signale systématiquement, parfois à l’ANMS (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), les effets secondaires observés de médicaments ou de vaccins.
Bref, la fin de l’anastrozole se conjugue avec ces douleurs tenaces liées à cette tendinopathie à l’épaule gauche. Je vois une jeune polonaise deux fois par semaine, qui fait ce qu’elle peut, c’est à dire pas grand-chose : on n’est pas des magiciens, dit-elle avec son accent si particulier, ce que je lui concède volontiers. On s’est encore donné deux séances la semaine prochaine, et puis on avisera.
D’ici là, j’aurai terminé l’anastrozole, et alors, que va-t-il se passer ?!

DIMANCHE.

Les oiseaux ont chanté. Je les entendais d’autant mieux que j’avais ouvert la fenêtre de ma chambre. Les cloches ont ensuite longuement retenti, d’abord les cloches de l’église, puis la cloche républicaine de la mairie ; il était huit heures. 
J’ai pris le cachet avec la fin du jus de clémentines. Les 3 restants, je les prendrai avec ce jus pourpre que j’ouvrirai demain : pomme raisin poire grenade. Puis je terminerai le jus sans aucun cachet les jours suivants, ou d’un seul coup le même jour, je ne sais pas.

Hier, j’ai coupé la plaquette de 10 dont 6 cachets ont déjà disparu, pour ne plus voir les alvéoles vides, ne plus voir que le reste de ce qui était à prendre dès ce matin, place nette, pour que la plaquette soit diminuée, amputée de son intégrité de plaquette de médicaments.
Ces plaquettes, je les découpais souvent, pour prévoir la quantité nécessaire, ou la quantité de secours, pour mettre seulement 2 cachets dans mon sac, au cas où, à l’intérieur d’une minuscule pochette de tissu chinois jaune brillant, ou bien les diviser dans ma trousse de toilette lors d’un court séjour.

Mes déplacements et voyages nécessitaient des stratégies de préparation, de prévoyance d’un nombre adéquat de médicaments rapportés au nombre de jours, plus quelques-uns. Il reste quelques-unes de ces plaquettes diminuées, que je rapporterai scrupuleusement à la pharmacie. Elles sont déjà préparées sur mon bureau.
Je m’imagine contente d’aller les rapporter, un peu fière aussi. C’est idiot mais pas tant que ça ; je n’imagine pas polluer la poubelle avec de l’anastrozole, qui irait où ? Où vont toutes ces molécules dans toutes leurs galéniques, négligemment jetées dans les poubelles ordinaires ?
Je pense que je dirais à la pharmacienne : c’est fini ! bon débarras ! Aujourd’hui, ce n’est pas fini. Pas encore.

LUNDI FÉRIÉ.

Le chant des oiseaux, tôt ce matin, une symphonie calme dans le silence ambiant. Je ne suis pas encore descendue prendre mon médicament, l’antepénultième. Je pense aussi qu’il faut que je prenne l’ampoule de vitamine D, on est à la fin du mois ; je dois la prendre tous les deux mois, je ne sais pas jusqu’à quand, jusqu’au prochain contrôle avec l’oncologue au moins, dans six mois. L’anastrozole impacte les os, d’où la vitamine D. Les miens semblaient de bonne densité lors de l’osteodensitométrie du début, il y a cinq ans. L’oncologue a toujours tendance à me féliciter, comme si j’y étais pour quelque chose, pareil pour les cicatrices, au sein et près de l’aisselle. Vous avez de bons os, les cicatrices sont belles. Tant mieux.

Il ne restera plus que 2 cachets dans le moignon de plaquette. C’est fait, j’ai pris le cachet et l’ampoule de vitamine D avec le nouveau jus après avoir ouvert tous les volets sur le ciel bleu. La cloche républicaine sonne sept heures, le son en est plus sec que celle de l’église qui développe des harmoniques après-coup.

J’écoute la radio : Le président turc reste au pouvoir et entame sa troisième décennie à la tête du pouvoir. On entend des turcs craindre ces résultats, des femmes en particulier, craindre pour leurs libertés. Les déchets plastiques font aussi l’actualité, les micro-plastiques plus précisément. On n’y arrivera jamais, comment contraindre, quels compromis, et caetera.

Heureusement, la musique revient sur France-Musique qui me remercie de l’avoir choisie.

MARDI.

Les oiseaux m’offrent un concert matutinal, j’ouvre la fenêtre pour mieux le savourer. À 5h38, un moustique vient me zzzziter à l’oreille, je le chasse de la main, il va voir ailleurs.
Descendue prendre l’avant-dernier cachet, j’ouvre d’abord les volets ; le soleil inonde les pièces à l’Est, mon bureau en particulier. J’éprouve un certain plaisir à voir ce tout petit cachet restant dans l’une des quatre alvéoles pour demain : le dernier, que je prendrai, obéissant à la consigne de l’oncologue. Elle m’a bien dit, les yeux dans les yeux, alors que je tentai une ultime remise de peine : jusqu’au dernier jour du mois. Je fais ce qu’elle m’a dit de faire, je me garderai bien de ne pas le prendre.

Le nom des molécules est un sujet de plaisir de dire : anastrozole ne me déplaît pas. Une autre molécule m’amuse aussi : tocilizumab, bien que la réalité qu’elle recouvre, chez une personne qui m’est chère et ne souvient pas qu’elle la supporte en injection tous les 15 jours pour contrer les effets de la cortisone au long cours, ne soit pas joyeuse du tout.
Nous allons ainsi vers la mort avec des molécules censées nous réparer, aux noms amusants, que nous oublions parce que notre mémoire ne s’encombre plus de noms, ou qu’un nom équivaut à un autre.

Donc aller vers la vie avec la fin d’anastrozole, supposément. Je le pose ici pour m’en souvenir.

MERCREDI.

Oiseaux, fleurs, soleil à foison. Je suis descendue, j’ai pris le dernier anastrozole de la dernière alvéole, jeté le reste de plaquette, un malheureux bout de plastique et d’aluminium, sans rien penser d’autre que : ne pas jeter le cachet avec, dans le sac de tri sélectif.
Non, il est bien resté dans ma paume, et je l’ai avalé avec ce jus pourpre dont il reste un peu. Je ne rachèterai pas de jus ; pas tout de suite, peut-être jamais.
La marque a choisi pour signifiant un motif déculpabilisant : innocent. Mais c’est tout de même sucré…et dans du plastique.

Hier, je n’ai pu m’empêcher de rapporter par avance les 3 bouts de plaquette à la pharmacienne, 9 cachets en tout et pour tout, c’était bien calculé, il n’y en avait pas tant que ça, pas tant de surnuméraires. La patronne, qui me connaît, a levé la tête et souri.
Hier, c’était l’avant-dernière séance de kiné pour mon épaule ; demain la dernière. On a décidé d’essayer de voir comme ça. J’ai un peu moins mal qu’au tout début quand je prenais des anti-inflammatoires et qu’il n’était pas conseillé d’en prendre
longtemps ; dix jours et stop.

Dans la nuit, lors d’une insomnie un peu longue, j’ai écouté ce camarade philosophe s’escrimer sur les IA génératives, leur absolu danger pour l’humanité, le décervelage dont nous ferions l’objet à brève échéance. Mes yeux piquaient et se fermaient, mais je voulais écouter le replay télévisé de l’émission jusqu’au bout, ce n’était pas très long, je me suis ensuite rendormie. Je pensais au dernier cachet.


Mais ce matin, c’est surtout à demain que je pense, un demain sans anastrozole.

                                                                                                                                                     Illiers-Combray

passer une éponge sur la table des sentiments

 

 

on entend les coups de feu
un sanglier blessé
traverse la route

………………………………………………………………………

des fois Zelensky a une voix
de personnage de dessin animé,
je sais, c’est mal

………………………

elle chante Poulailler poulailler poulailler
dans une video de cheveux
très rythmée

…………………………………………………

à défaut d’une idée
sur quoi que ce soit
acheter de l’ail et une salade

                           Espace Topographie de l’Art, exposition Contours du Réel / jour de performance, 2023.

 

 

DE L’USAGE DE LA PARANOIA EN TEMPS DE PAIX

 

[2 juin 2002]

(…) la paranoïa se retrouve à son acmé dans le besoin d’un leader qui aurait déterminé avant nous le savoir auquel nous pourrions nous confier.
Et peu importe les dégâts opérés par une telle soumission.

François Roustang, in Comment faire rire un paranoïaque ?

 

Ça ne suffira pas d’envoyer des policiers et des ? dans les banlieues.
Je ne crois pas qu’il faille plus de policiers et plus de ? dans les cités dangereuses.

La perception de l’insécurité / la lutte contre l’insécurité
J’ai bien entendu ce qu’était l’exigence de sécurité
Pas simplement des mots mais des actes
Nous avons acté
La punition la sanction
Oui, il faut une véritable politique d’immigration / d’intégration
Prendre en charge les jeunes qui sont
Il faut aussi responsabiliser les parents
Le bâti, oui, mais beaucoup plus ?

On a beaucoup parlé de l’insécurité, dit celui qui vient de prononcer 10 fois le mot

L’insécurité est le fait d’un certain nombre d’individus
Faut réguler les flux / il faut régler / traiter globalement les questions

Nous nous disons
Ce que nous venons de dire
Deuxièmement
Il est normal qu’il puisse y avoir
Et la troisième proposition que nous faisons…

Et votre stratégie pour les élections législatives ?

Faire vivre les valeurs de la démocratie
Va voir dans les campagnes où mugissent de terribles soldats
qui piétinent nos sillons qu’un sang impur les abreuve
pendant qu’un bout de banquise de 70 kms se détache négligemment du Pôle

On doit faire un travail de pédagogie, de combat politique
Et les 35 heures pour les gens d’en bas / d’en haut ?
Est-ce que ce n’était pas nécessaire ???

Je crois qu’il faut faire une distinction
Les salariés les moins protégés = les ouvriers
Il y a eu progrès collectif (dans l’euphémisation)

Partout en France les candidats
L’immigration de première deuxième génération
C’est une poussée de l’extrême-droite partout en Europe
Nous devons réfléchir à la cause de cette poussée ?

Nous n’avons pas été capables de
La question, c’est quel projet ?
Nous devons poser les questions, et y apporter des réponses

Les flux migratoires ?
Les couches populaires ?…….

La note que Musil inscrit le 2 juin 1902 dans son journal commence par les mots :
« Ein Thema für den Herrn Schriftsteller : […] ».

rognures de notes sur le Dasein et le Gerede

comme ça vient : de l’impossible toujours possible

une note après l’autre : le beau s’est éloigné

crainte de l’abaissement : la catastrophe a déjà eu lieu (Winnicot)

le blabla de l’être-là : est là. est, en ce sens, là.

il ne s’agissait pas de cela : alors de quoi ?

par temps de – – – – – – – remplacer les tirets par un mot

texte à trous : il l’est toujours, puisque la langue l’est, trouée

nous dirions encore : quel est ce nous ? (hein ?)

ce ne sont pas des notes : non, c’est un semblant

voici des notes : qu’auriez-vous pensé de la finitude ?

L’angoisse est une disposition affective qui remplit la fonction de ménager à l’être-là une ouverture vécue et primordiale pour l’être-pour-la-mort.
L’angoisse se distingue des autres dispositions affectives en ce qu’elle met le Dasein en présence du non-étant.
L’angoisse désigne le sentiment de la situation où intervient l’épreuve authentique de la finitude.
(notes extraites de La notion de finitude dans la philosophie de Martin Heidegger,
Henri-Charles Tauxe, L’âge d’Homme, 1971)

le beau s’est éloigné : on regarde le bleu

on regarde en l’air : on lève, on relève ? on révèle ? on rêve ?

comme ça vient : le blabla de l’être-là

[autres rognures de notes]