DE L’USAGE DE LA PARANOIA EN TEMPS DE PAIX

 

[2 juin 2002]

(…) la paranoïa se retrouve à son acmé dans le besoin d’un leader qui aurait déterminé avant nous le savoir auquel nous pourrions nous confier.
Et peu importe les dégâts opérés par une telle soumission.

François Roustang, in Comment faire rire un paranoïaque ?

 

Ça ne suffira pas d’envoyer des policiers et des ? dans les banlieues.
Je ne crois pas qu’il faille plus de policiers et plus de ? dans les cités dangereuses.

La perception de l’insécurité / la lutte contre l’insécurité
J’ai bien entendu ce qu’était l’exigence de sécurité
Pas simplement des mots mais des actes
Nous avons acté
La punition la sanction
Oui, il faut une véritable politique d’immigration / d’intégration
Prendre en charge les jeunes qui sont
Il faut aussi responsabiliser les parents
Le bâti, oui, mais beaucoup plus ?

On a beaucoup parlé de l’insécurité, dit celui qui vient de prononcer 10 fois le mot

L’insécurité est le fait d’un certain nombre d’individus
Faut réguler les flux / il faut régler / traiter globalement les questions

Nous nous disons
Ce que nous venons de dire
Deuxièmement
Il est normal qu’il puisse y avoir
Et la troisième proposition que nous faisons…

Et votre stratégie pour les élections législatives ?

Faire vivre les valeurs de la démocratie
Va voir dans les campagnes où mugissent de terribles soldats
qui piétinent nos sillons qu’un sang impur les abreuve
pendant qu’un bout de banquise de 70 kms se détache négligemment du Pôle

On doit faire un travail de pédagogie, de combat politique
Et les 35 heures pour les gens d’en bas / d’en haut ?
Est-ce que ce n’était pas nécessaire ???

Je crois qu’il faut faire une distinction
Les salariés les moins protégés = les ouvriers
Il y a eu progrès collectif (dans l’euphémisation)

Partout en France les candidats
L’immigration de première deuxième génération
C’est une poussée de l’extrême-droite partout en Europe
Nous devons réfléchir à la cause de cette poussée ?

Nous n’avons pas été capables de
La question, c’est quel projet ?
Nous devons poser les questions, et y apporter des réponses

Les flux migratoires ?
Les couches populaires ?…….

La note que Musil inscrit le 2 juin 1902 dans son journal commence par les mots :
« Ein Thema für den Herrn Schriftsteller : […] ».

rognures de notes sur le Dasein et le Gerede

comme ça vient : de l’impossible toujours possible

une note après l’autre : le beau s’est éloigné

crainte de l’abaissement : la catastrophe a déjà eu lieu (Winnicot)

le blabla de l’être-là : est là. est, en ce sens, là.

il ne s’agissait pas de cela : alors de quoi ?

par temps de – – – – – – – remplacer les tirets par un mot

texte à trous : il l’est toujours, puisque la langue l’est, trouée

nous dirions encore : quel est ce nous ? (hein ?)

ce ne sont pas des notes : non, c’est un semblant

voici des notes : qu’auriez-vous pensé de la finitude ?

L’angoisse est une disposition affective qui remplit la fonction de ménager à l’être-là une ouverture vécue et primordiale pour l’être-pour-la-mort.
L’angoisse se distingue des autres dispositions affectives en ce qu’elle met le Dasein en présence du non-étant.
L’angoisse désigne le sentiment de la situation où intervient l’épreuve authentique de la finitude.
(notes extraites de La notion de finitude dans la philosophie de Martin Heidegger,
Henri-Charles Tauxe, L’âge d’Homme, 1971)

le beau s’est éloigné : on regarde le bleu

on regarde en l’air : on lève, on relève ? on révèle ? on rêve ?

comme ça vient : le blabla de l’être-là

[autres rognures de notes]

incertitude sur la bêtise (de soi et du monde)

et donc alors, ils se mirent à parler
ils se mirent à parler, beaucoup trop

quelque chose tombe, sans arrêt

seul, l’être sous le plafonnier (l’être est seul sous le plafonnier)

______ et la littérature a fondu

je prends grande le monde

et puis l’Amérique inexistante, son cinéma

arrêté ce qui a chu, impossible

toute vérité à course folle _______
même pas nue sous le plafonnier froid

11:48 impermanence des natures mortes

clémentines à feuilles, deux, pommes, deux, tomates, deux
flétrissement conjugué, surprise des pourrissements subits


pain, montre, chapeau, placard, CLAC


[ciel loin sur le château, oiseaux décrivant de vastes courbes inutiles]


banlieue de Londres, lit étroit, dispute, CRI


[bruit de l’horloge de pacotille réfléchi par le vide de meubles, mort jouée]


pages tournées, fauteuil, lampe, dé à coudre


[souffle du vent dans les branches, souffle soupçonné, chaleur d’un ICI]


à la même heure, esthétique des lumières


[limites du voir, de l’entendre, mur des sensations échouées, englouties]

 

disposition des meubles, place du compotier, position des fruits
occupation de l’espace, couleurs, vie, petites choses, GLING

                                       dessin de cahier avec jambages, Bordeaux, 17 décembre 1978

 

récurrence des bancs (trois septains libres)

l’ennui est à relater aux bancs
(si on veut) or
le repos paraît premier dans l’occupation des bancs
un repos temporaire, provisoire, éphémère
j’adopte les bancs, perpétuellement
les bancs d’Europe, les bancs de mer,
plus généralement les bancs de ville

serrer l’ennui est une tâche difficile
à peine assise sur le banc
je regarde autour de moi
(ce je qui s’asseoit sur le banc, ce moi requis par l’autour)
l’ennui aime la fuite, à la folie :
ils n’ont aucun scrupule
soudés par leur impossible description

le banc tente d’empêcher
l’inachèvement et le bord de gouffre
ses lattes accueillantes du rien imprécis
arrêtent la divagation et la transforment
un moment
le banc en soi n’a aucun rapport avec l’ennui :
la fuite les soulage, lui et lui

voyage en ma bibliothèque [digression à propos de Cingria]

Cingria : c’est le point de départ / il en faut un
Cingria chez Alferi au réveil, dans Brefs discours (P.O.L, 2016)
[ici, digression non dévoilée, restera à l’état latent]
Cingria : article du tome 5 de l’Encyclopedia Universalis
que je me félicite de n’avoir pas jetée lors de mon dernier déménagement
émotion : signature ÉTIEMBLE (sans accent sur le E)

grâce à Jean Paulhan, direction NRF
il laissa Cingria écrire dans la rubrique L’air du mois
trois NRF dans ma bibliothèque : 1er mars 1958
[autre digression, négligée, ayant trait à ma naissance un an avant]
je reprends les numéros : février 1975, 1er juin 1984

émotion dans le 1958 : Une curieuse solitude de Sollers
+ Robert Musil par Blanchot
numéro acheté en 1990, que je parcours, Musil annoté, bien sûr

je choisis deux oeufs que je vais faire cuire coque 
[est-ce une digression ? se le demander est déjà une coquetterie,
petite soeur énervée de l’oeuf coque]

un amour quasi névrotique de sa liberté, observe Étiemble
on ne se quitte plus (Cingria et son vélo de course)
Charles-Albert Cingria, C.F. Ramuz, Starobinski, vient de mourir,
a fait beaucoup pour eux deux – la bande des genevois (grand G ?) –

Cingria : dix-sept tomes d’Oeuvres complètes, c’est beaucoup
Charles-Albert Cingria, écrivain suisse, digressif, déambulatoire,
a écrit dans cette fantaxe plusieurs milliers de pages que personne ne lit.
(Pierre Alferi, déjà cité, j’ai oublié l’abréviation latine pour le dire,
je la retrouve immédiatement pourvu que je clique : op. cit.)

satisfaction que Cingria ait existé, satisfaction de l’existence
du sous-chapitre intitulé La fantaxe, avec godille et anacoluthe
[ici, digression auditive sur le vent qui secoue les volets]

et encore, toujours à propos de Cingria, op. cit. :
Il se perd, il digresse à vélo ou à pied, fait ce qu’il dit.
(…) À sa façon, Cingria fait déjà du land-art poétique.

les livres sont rerangés, le voyage, bref, s’achève, j’ai faim.

[puis je me demande si je crée un nouvelle catégorie ici, que je nommerais digressions]