incertitude sur la bêtise (de soi et du monde)

et donc alors, ils se mirent à parler
ils se mirent à parler, beaucoup trop

quelque chose tombe, sans arrêt

seul, l’être sous le plafonnier (l’être est seul sous le plafonnier)

______ et la littérature a fondu

je prends grande le monde

et puis l’Amérique inexistante, son cinéma

arrêté ce qui a chu, impossible

toute vérité à course folle _______
même pas nue sous le plafonnier froid

11:48 impermanence des natures mortes

clémentines à feuilles, deux, pommes, deux, tomates, deux
flétrissement conjugué, surprise des pourrissements subits


pain, montre, chapeau, placard, CLAC


[ciel loin sur le château, oiseaux décrivant de vastes courbes inutiles]


banlieue de Londres, lit étroit, dispute, CRI


[bruit de l’horloge de pacotille réfléchi par le vide de meubles, mort jouée]


pages tournées, fauteuil, lampe, dé à coudre


[souffle du vent dans les branches, souffle soupçonné, chaleur d’un ICI]


à la même heure, esthétique des lumières


[limites du voir, de l’entendre, mur des sensations échouées, englouties]

 

disposition des meubles, place du compotier, position des fruits
occupation de l’espace, couleurs, vie, petites choses, GLING

                                       dessin de cahier avec jambages, Bordeaux, 17 décembre 1978

 

récurrence des bancs (trois septains libres)

l’ennui est à relater aux bancs
(si on veut) or
le repos paraît premier dans l’occupation des bancs
un repos temporaire, provisoire, éphémère
j’adopte les bancs, perpétuellement
les bancs d’Europe, les bancs de mer,
plus généralement les bancs de ville

serrer l’ennui est une tâche difficile
à peine assise sur le banc
je regarde autour de moi
(ce je qui s’asseoit sur le banc, ce moi requis par l’autour)
l’ennui aime la fuite, à la folie :
ils n’ont aucun scrupule
soudés par leur impossible description

le banc tente d’empêcher
l’inachèvement et le bord de gouffre
ses lattes accueillantes du rien imprécis
arrêtent la divagation et la transforment
un moment
le banc en soi n’a aucun rapport avec l’ennui :
la fuite les soulage, lui et lui

voyage en ma bibliothèque [digression à propos de Cingria]

Cingria : c’est le point de départ / il en faut un
Cingria chez Alferi au réveil, dans Brefs discours (P.O.L, 2016)
[ici, digression non dévoilée, restera à l’état latent]
Cingria : article du tome 5 de l’Encyclopedia Universalis
que je me félicite de n’avoir pas jetée lors de mon dernier déménagement
émotion : signature ÉTIEMBLE (sans accent sur le E)

grâce à Jean Paulhan, direction NRF
il laissa Cingria écrire dans la rubrique L’air du mois
trois NRF dans ma bibliothèque : 1er mars 1958
[autre digression, négligée, ayant trait à ma naissance un an avant]
je reprends les numéros : février 1975, 1er juin 1984

émotion dans le 1958 : Une curieuse solitude de Sollers
+ Robert Musil par Blanchot
numéro acheté en 1990, que je parcours, Musil annoté, bien sûr

je choisis deux oeufs que je vais faire cuire coque 
[est-ce une digression ? se le demander est déjà une coquetterie,
petite soeur énervée de l’oeuf coque]

un amour quasi névrotique de sa liberté, observe Étiemble
on ne se quitte plus (Cingria et son vélo de course)
Charles-Albert Cingria, C.F. Ramuz, Starobinski, vient de mourir,
a fait beaucoup pour eux deux – la bande des genevois (grand G ?) –

Cingria : dix-sept tomes d’Oeuvres complètes, c’est beaucoup
Charles-Albert Cingria, écrivain suisse, digressif, déambulatoire,
a écrit dans cette fantaxe plusieurs milliers de pages que personne ne lit.
(Pierre Alferi, déjà cité, j’ai oublié l’abréviation latine pour le dire,
je la retrouve immédiatement pourvu que je clique : op. cit.)

satisfaction que Cingria ait existé, satisfaction de l’existence
du sous-chapitre intitulé La fantaxe, avec godille et anacoluthe
[ici, digression auditive sur le vent qui secoue les volets]

et encore, toujours à propos de Cingria, op. cit. :
Il se perd, il digresse à vélo ou à pied, fait ce qu’il dit.
(…) À sa façon, Cingria fait déjà du land-art poétique.

les livres sont rerangés, le voyage, bref, s’achève, j’ai faim.

[puis je me demande si je crée un nouvelle catégorie ici, que je nommerais digressions]

chaque jour son etwas (faire etwas maintenant)

Après mon crime, j’ai disparu. Complètement. Je ne me suis pas exilé, j’ai disparu dans mon propre pays. Il aurait fallu que j’affirme un point de vue, ça m’était insupportable. On m’a poussé à le faire. On peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui sans même le torturer. Je n’ai pas été torturé, je n’ai pas souffert. Je ne suis pas faible. Le monde de la connection permanente m’est insupportable. Personne ne peut savoir ce qu’il y a réellement dans ma tête. Je peux parler pendant des heures pour ne rien dire. Physiquement, on peut me voir, mais j’ai disparu.

des zones de retrait avec contiguïté des éléments furent décidées
leur mise en place ne posa aucun problème
les tracés des passerelles ayant été étudiés (minutieusement)

les obstacles levés, en particulier naturels,
peu évitables à moins de les ordonner,
l’etwas advint et circula sans contraintes

Ma disparition ne m’a pas ôté l’ennui, mais il est le mien. Je regarde longuement un paysage aux couleurs de fumée duquel surgissent des monts peints. J’ai fui au sein du monde banal. Il n’y a pas d’ailleurs. L’ensemble des commodités existe pour que j’en use. J’ai réduit les images au strict minimum. Je continue à parler pour ne rien dire, dans le vide de conférences confuses. Mon visage est devenu plat. Je ne sais pas si j’ai encore une conscience. Je trouve parfois un objet que j’arrive à nommer. Mais le plus souvent, les noms ont disparu, comme j’ai disparu.

c’est maintenant que faire etwas se signale,
maintenant, dans l’insularité d’une position externe,
protégée par des roseaux (qui jamais ne rompent)

chaque jour son etwas ! était-il entendu
et des échos résonnant dans les monts : was ! was ! was !
le parfait découpage d’images mortes et riantes

cachettes et autres stylistiques pressées

et alors que je me dis : faut que je fasse un peu d’écriture à la main, je me dirige inévitablement vers l’ordi, je ne dis plus jamais l’ordi, qu’est-ce que je dis ? me souviens pas, je me dirige vers le truc et je tape sur le clavier
alors que je me dis faut que je trace à la main, comme hier ou avant-hier quand j’ai tracé et que je trace et que je tracerai, c’est pas le moment, c’est pas comme ça que ça se passe, le cahier est recouvert d’un chapeau (?), il n’est peut-être pas assez visible, toujours est-il que je viens taper ici

alors que je me dis / mais je ne me dis plus rien, qu’est-ce que je me dis ? qu’est-ce que je dis pour désigner ce sur quoi je tape ? je ne me souviens pas

pourquoi un mot est caché derrière un autre : ainsi Delaunay cachant de Staël
depuis plusieurs années c’est la même histoire, je pense à Nicolas de Staël et son nom est caché derrière Delaunay, c’est Delaunay qui vient, et je sais que ce n’est pas celui auquel je pense, et j’éprouve de grandes difficultés à retrouver de Staël
peut-être qu’en l’écrivant son nom cessera d’être caché derrière un autre ?

j’ai été écouter Kluge : beaucoup de savoir, d’écho, de rebondissements, oui mais quoi en particulier ? je ne sais pas
Kluge est né en 1932, ceci n’explique pas cela, mais se cacher oui, dans les caves pour échapper aux bombes lâchées par l’aviation ennemie

ou partir sur les routes pour échapper aux tirs ennemis : l’exode en 40

bien sûr, Le nom sur le bout de la langue, Quignard, m’effleure
– et une voix me souffle : mais ne devrait pas –

[une sorte de journal écrit ailleurs que dans le journal, ailleurs que dans tous les journaux en cours dans les cahiers et dans le truc sur lequel je tape]