Un visible de langage

Voir absolument. Ce serait exactement ce qui serait. Voir dans l’après. Voir après-coup. Décidément voir. Ils fourmillent : les points de départ du visible de langage. Voir dans un petit espace, tout petit. Laisser voir (mais nous n’en sommes pas là). Peut-être cela qui a changé : face à la profondeur des idées non-nées (face au fait accompli), la surface du visible (une sidération possible). Avant tout et peut-être sans changement du tout, voir. Voir venir, laisser voir (aussi).

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Avant ce voir, il y a des dates, forcément. Voire une date. Des gongs, des indices, des notations, un amas d’inscriptions. Chercher leur ordination correcte dans le sens de voir : le voir, acculé aux abords de la voix, aux fortunes des pensées, aux embruns des soupçons. Curseurs et réglages.

 

points d’appui

Jeudi 16 avril 2009

 

L’homme parle. C’est un fait. Il parle (la femme parle aussi bien sûr, la femme étant comprise dans l’homme du point de vue de la langue que nous partageons ici, sauf dans quelques débats de grammairiens ou de féministes ou qui on veut on s’en fout c’est pas le sujet). La femme parle. Elle parle. En somme, chacun/e parle. Ce sont des faits. Les hommes et les femmes parlent. Plus que les animaux en tout état de cause.

Si on met des Malabar™ sur les mots, ils collent et ils deviennent roses. Ce sont des faits. Au lieu de faire des phrases, peut-être qu’ils feraient des rubans mous, roses, intercollants. Et le bonheur des vendeurs de Malabar™ au passage.

L’homme/la femme prononcent des mots roses et collants, les échangent, les envoient, les adressent, les pianotent, les tapotent, caractère par caractère, les synthétisent, les additionnent, les crient, les hurlent, les pleurent, les brament, les mailent, les bloggent, les téléphonent, les via voicisent, les génèrent, en font des nuages, des nems, des particules, les associent, les dissocient, les groupent par affinités, les dégroupent, les cachent, les mettent au rebut, sur le balcon, au frais, dans des coffres, leur font prendre l’air, les livrent en catimini derrière leurs mains, les sussurent à leur amant/e, les reçoivent, ne savent pas qu’en faire, ne savent pas qu’en penser, n’en pensent rien, en pensent quelque chose, se ravisent, n’en pensent rien, si tu veux, comme tu veux, peut-être, je ne sais pas quoi te dire, qu’est-ce qui te dit que je ne comprends pas ce que tu dis, qu’est-ce qui te dit que je n’ai pas entendu, ne s’entendent pas, s’écoutent mais ne s’entendent pas.

Pendant ce temps, une femme grecque chante du Moustaki. Ce temps de pendant qu’une femme grecque est un artifice dont personne ne nous sauvera.

 

UN ROMAN DES JOURS RAPIDES : devoir de sincérité à l’égard d’une pieuvre mentale

jour 17 – Pour assassiner le paysage, VM le regarde longtemps. Assis comme debout, il est un sphinx qui a cessé de poser des questions, ou n’en a jamais posé ; il a volontairement choisi un périmètre très petit. Ou le périmètre l’aurait choisi, incité se poser là, dans cette encoignure, sur ce morceau de terrasse d’environ quatre mètres carrés, d’où personne ne peut l’attaquer de dos.

Mais ce n’est pas la question : personne ne songerait désormais à l’attaquer de dos. L’ennemi s’est dilué. La conception de l’ennemi dilué exclut le face et le contre, le devant, le dos, exclut le corps, les contraires, exclut pratiquement la pensée.

De onze heure à midi et dans quatre mètres carrés, VM oublie la pieuvre, oublie son devoir de sincérité à l’égard d’une pieuvre mentale. Plus rien n’est assez grand pour les œuvres : le repli de VM dans un espace-temps aussi mesuré qu’une heure et quelques mètres carrés, serait mû par une assignation à résidence ; c’est incompatible, et pourtant.

La fulgurance de son esprit, d’avant, à laquelle il croyait, tout en imaginant la fin de l’identité, s’est réfugiée dans son visage, qui a changé au point qu’il est méconnaissable. Mais intéressant.

FIN

 

 

UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 16

jour 16 – VM se tient debout, sur un trottoir, non loin de son bout de terrasse. Il s’est déplacé, de quelques mètres. Il est bronzé ; ses cheveux sont extraordinairement propres, coiffés, peut-être ; ses ongles, visibles lorsqu’il tire sur sa cigarette, ont été passés au blanc. Il est long et élégant. Lorsqu’il soulève sa semelle, cependant, les picots des mocassins ont disparu, elle est lisse. Tout indique un renouveau du VM. Il porte des lunettes fumées et des mocassins, des bracelets de pacotille à ses poignets frêles, son profil de cliché (taillé dans un silex) dénote une attention aigüe à l’environnement, attention impossible à lui supposer lorsqu’il est assis sur son lopin de terrasse et qu’il regarde droit devant lui. Il se tient devant une boutique, comme s’il en était propriétaire, ou qu’il surveillât le magasin, les entrées et les sorties.

Sa chemise à motifs indiens discrets frappe moins que la chemise hawaïenne mais confirme un changement. Et puis il est bronzé, comme s’il avait fait un héritage qu’il aurait claqué en une seule fois aux Bahamas.

VM n’est plus le même, non seulement depuis 1994, mais depuis quelques jours, VM s’est transformé, il ne résiste pas aux saisons, il est devenu italien, ou grec. Pour le plus grand plaisir des amateurs de héros transformés. Une grande femme noire habillée en noir juchée sur des sandales noires sort de la boutique pour lui demander son avis. Le monde s’est inversé à cette seconde-même.

VM ne se souvient pas de Fernando, ne se souvient de personne. Droit comme s’il était devenu son propre réverbère, il ne paye plus rien ; entrant avec la femme noire dans la boutique, il se perd en quelque sorte dans un fleuve de longévité.

 

UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 15

jour 15 – De cet abandon aux circonstances, de ce qu’il serait possible de considérer comme abandon aux circonstances, à première vue, reste des miettes et des lamentos, des largos, des ralentis, des violons : ce faisant, VM a-t-il un for intérieur dans sa chemise hawaïenne ?

Fernando s’est absenté. Il a longtemps répété le bleu des lumières et du ciel : bleu des interférences, des ondes, là-bas sur le pont métallique ; bleu évident du ciel bleu qui n’est bleu que parce qu’on le dit bleu : il y a de la chimie dans le ciel. Il l’a répété au matin et durant les soirs, de sa fenêtre ou depuis les rues, en marchant ou en restant assis à son bureau. Il s’est absenté, il a quitté son bureau et dévalé les rues jusqu’au port. Là, il a regardé les bateaux, s’est imprégné des couleurs et des noms, il est demeuré devant, sans beaucoup d’initiative : l’univers était devant et sans lui alors que lui était là. Il n’y avait pas beaucoup plus à dire, mais Fernando persistait, en portugais et devant les chantiers, les grues sur lesquelles les gros oiseaux lourds se postaient, à l’affût des poissons.

Il était triste, continuellement triste, et puis parfois subitement non triste. Il était ce qu’il était, avant de s’absenter. Il ne parlait plus, il ne marchait plus ; il s’est assis sans voir exactement sur quoi, à quoi bon le savoir ?

La curiosité de Carola à l’égard de Fernando n’a pas de limites : la voix de Fernando lui parvint très faiblement, voilée par une petite moustache fine. Pourquoi ajouter une voix à une autre voix ? la question avait déjà été posée, elle ne la balayait pas. Au bord de l’eau, de ce même quai, les pêcheurs, les promeneurs, les objets, les pierres : une délimitation sans finalité, durant des siècles.

Carola et Fernando dévalèrent la rue en riant, ils sont des enfants et personne ne peut les arrêter. Au contraire, de nombreuses caméras les suivent et des hourras saluent leur passage.

 

 

 

 

UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 14

jour 14 – Depuis que VM a mis une chemise hawaïenne, quelque chose a changé. Vraiment. En profondeur. La coiffure est toujours la même (cette dissymétrie capillaire et grise parfois flamboyante à cause de la masse d’un seul côté). Devant lui, de l’eau. Quelque chose ne va pas. Mais pourtant c’est exactement cela qui se présente : une curiosité faite VM en chemise hawaïenne.

Le drame du paysage, c’est qu’il est sous les yeux et que trop souvent il induit une description, puis, plus ou moins rapidement, avec plus ou moins de constance, des personnages. Un homme marche très lentement ; il porte des sandales marron, dans une teinte qui n’est pas sans rappeler le visage de VM l’été, olivâtre. VM avant qu’il cesse de se mettre au soleil, après qu’il a cessé d’écrire. C’est bien triste. L’été continue de passer, plusieurs fois de suite. Deux jeunes femmes dans des robes très colorées et courtes, aux mollets très formés, partent ensemble après qu’elles se sont retrouvées puisqu’elles avaient rendez-vous, probablement pour déjeuner. Le monde se réduit souvent au déjeuner.

Le déjeuner serait infini, il n’y aurait plus qu’un seul déjeuner, d’un point A à un point B. De même que la joie serait durable, donc infinie, il n’y aurait qu’un seul sentiment. Un seul estomac.

Pendant ce temps, le temps de l’amour, le temps de la blanquette, le temps des considérations, les événements ne s’arrêtaient pas, et même survenaient, comme il est dans la logique des choses. Il y a lieu de préciser le déchet, car la déchetterie de tout ce plein est à ras-bord : il y a urgence.