\… ville nue ville sue …/

au volant de la ville nue
de la ville sue

venaient par secousses
les mots, les mots comme décharges
de piles presque mortes

à porter au rebut, à porter au départ du port

les mots

de la ville si sue qu’elle pleura dans le noir

au volant de la ville nue
dévitalisée qu’elle fut

d’électricité qu’elle aura été
de frottements qu’elle serait

au volant de si nue qu’elle est,
la ville sue…

perspective venteuse :::::

1.
ils ont fini par ralentir les choses
tout allait trop vite
ils ne savaient pas comment faire
ils ont ralenti par coercition.

2.
la méthode employée
n’était pas la bonne
ils n’avaient pas tellement de méthode
on a de la méthode ou on n’en a pas.

3.
l’usage des adverbes de modalisation
est une facilité
à laquelle vous devrez renoncer
regardez plutôt devant vous.

4.
la coercition des foules
est très facile à réaliser
prenez un papier
cochez les cases.

5.
devant il n’y a pas de demain
demain n’est que du vent
ça dépend de vous
ça dépend des jours.

6.
ils ne savaient pas comment faire
c’était très vague
les choses devant eux
devaient être tranchées.

7.
demain n’est pas que du vent
si la méthode suit
si la méthode précède
si la méthode est établie.

8.
hum.
pas tellement.
plutôt.
si.

souvent Nathalie s’échange.

 

des fois ils ont le même prénom, des fois il y a de la lumière
la lumière se déplace le long des livres où les prénoms se mélangent, se superposent

un que j’ai dû jeter, ce prénom

celui qui parle d’une femme et d’un homme avec un je : terrible
terrible d’y reconnaître toujours une femme
elle se débat dans le noir, dans la mer, elle s’enfonce

en revanche : celui qui parle, ah oui, de quoi ?
par exemple de phrases et de calepin, ou de recopier
ah recopier ! nous aimons !
celui qui parle de recopier, ça frétille énormément !
et les noms propres…

il est très facile de faire une liste et de prétendre monter des images,
très facile
ah ?
oui oui (ça répète, ça vieillit, ça se transforme, ça se ride, 
le visage est une caricature de ce qu’il a été, on cherche les traits, etc.)

on reprend là où on en était ; on constate une certaine maîtrise

le point commun, c’est la maîtrise ?
oui - et aussi la complaisance -

surtout : la compréhension est plus compliquée
comprendre n’est pas le but, c’est pas comme si :
"les sapins sont bleus" -
(c’était en altitude les sapins sont bleus
et toutes sortes de petites émotions dues à un caillou,
à un âne dans son champ, à une brise qui se lève comme sa jupe)

il fallait inscrire la pensée dans des courants
et pas trop pagayer en sens contraire
alors abonde en son sens !

ensuite il y avait beaucoup de sang pour valider les topoï :
des agressions, des coups de couteau mou de branleurs textuels
sinon ça ne fonctionnait pas -

ils se mélangent, se superposent, les prénoms,
je remarque : souvent Nathalie s’échange.

– courir en restant sur place –

(…) vivre encore jusqu’à la prochaine deadline, s’inventer la deadline,
courir, se chronométrer, façon de parler,
Vogel n’avait jamais couru de sa vie.

La question du résultat obsédait Vogel, qui brusquement déplaça la masse de son corps, la mit debout et se fit un café. Son corps ressemblait à un élastique, très poilu et flexible,
comme si sous la peau les os eussent été mous.
Il se dégageait pourtant une grande force solide de ce corps dont les formes généreuses tendaient à le féminiser. Enfin, pour le résultat, peu importait la forme du corps (il n’aimait pas se regarder dans les glaces) : le résultat dépendrait de ce qu’il cherchait.

Revenu au point de départ de son raisonnement dont il observait qu’il devenait de plus en plus court, comme s’il avait été raccourci par une bactérie conceptuelle,
il se souvint de la voix, relativement agréable, qui lui avait parlé au moment de son réveil, non par l’intonation ou le timbre, mais par la joie qui la teintait.
Il lui semblait qu’il n’avait plus entendu parler la joie depuis longtemps.

Brisant les obstacles, vous serez à nouveau l’homme de la situation, comme un maréchal-ferrant, comme un postier, comme un marin. Aussi précis. Vous serez l’homme de toutes les situations à risques. Vous écouterez les avis, vous émettrez des opinions, vous serez écouté, vous serez défini, vous auriez dû le faire depuis longtemps, il vous reste un peu de temps pour vous y mettre, il le faut maintenant, il vous faut écouter, il vous faut parler,
il vous faut pointer du doigt les choses qui ne vous plaisent pas, il vous faut récriminer, reconnaître, réparer, saccager vos tranquillités installées.

C’est le moment choisi, absolument pour ne plus vous asseoir. Vous méditerez une autre fois, dans un autre temps, après ces jours qui se trouvent devant vous : saisissez votre chance ! C’est une chance inouïe que de pouvoir une fois dans votre vie saisir un morceau du sens qu’elle n’a ordinairement pas !
Vous pourrez mettre vos pieds dans un liquide tiède après la longue marche, empruntez le bon chemin, il est facile, il est balisé au départ, ensuite vous aurez les instructions. Sans elles, vous ne pourrez pas y arriver, il faut écouter. Le point de départ et le point d’arrivée sont donnés,
vous n’aurez pas à inventer le parcours, sauf à certains endroits,
il y aura des bifurcations malaisées, des doutes entretenus par des bosquets identiques, des similitudes troublantes, des trompe-l’œil.

Vogel tentait de rassembler ce qui lui tenait lieu d’esprit, guetté à tout instant par la chute et l’inanité :
la joie lui avait parlé, c’était concret, agréable, cohérent, bienvenu et bienfaisant.

Cognant sa masse contre un coin de commode comme s’il ne la connaissait pas, comme si elle n’avait pas toujours été là, lui enfonçant le rappel de sa dure matière de bois dans son flanc de chair graisseuse, Vogel marchait un peu comme un bébé juste avant qu’il marche vraiment, quand la graisse qui enveloppe le corps n’a pas encore fondu avec la station debout, et qu’il oscille,
paraissant hésiter latéralement avant que quelque chose dont il a vraiment envie ne le décide à avancer, à mettre un pied devant l’autre. (…)

[extrait du début abandonné de Caminando,
(11 mai-19 juillet 2012)]

 

—> suite de variables para bellum <—

ils veulent vivre : ils partent
vivre ou exister : ils font des différences
leurs oreilles ne sont pas encore agrandies
comme elles le seront beaucoup plus tard
(les oreilles tombent négligemment : elles
présentent un tombé : d’une robe)

vivre n’est pas exister : exister est plus que
vivre, ou l’inverse
la détermination de l’inverse : occupe
une partie de leur temps
(plus tard, l’inversion deviendra un régime
de croisière : la réversibilité)

j’ai été de ceux qui : exister plus fort
que vivre, au plus fort : partir vivre
uniquement deux wagons : partir & vivre
un seul train, plusieurs gares : vers le levant
(vers l’Est, toujours plus vers l’Est :
se situe l’Everest)

de ceux qui ce je : un autre, désigné avec l’index
tendu : toi !
marchant dans ma cuisine : je lèche une glace
sur un banc : je suis entièrement dans ma glace
(cherchée longtemps, elle a fini par me surprendre
dans ma bouche : réfugiée voire blottie)

                            Giorgio Morandi, Nature morte, 1918 (mauvaise photo prise au Musée de l’Orangerie)

les formes se pavanent dans l’espace : nombreuses
et accessibles : choper le jour
pas tous les jours qu’on chope le jour
mais quand on le chope : proverbe pour rire
(dans la parenthèse se réfugier : comme
la glace dans la bouche)

[pour Alexandre B., ce 22 octobre 2020]

‘écriture’ se prête peu à l’apocope

on verrait des choses orange
on ne sait pas comment on les distinguerait
elles seraient chaudes, angora, éphémères,
elles ralentiraient le cours du temps
& permettraient des systèmes multiples :
des échafaudages comme le mouvement
de celle qui disparaît au coin d’une rue

à la nuit figée patience repenser
aux rires entre lui et elle :
dans sa veste émeraude il dirait
qu’il n’aime pas le vent à Paris,
comme au cinématographe les feuilles
volantes, leurs rides, vivantes
une paix de meringue étendue

à l’arrière d’un bus traversant éternel
les bruits des années bleues,
une figure au nez aquilin soudainement
se propose au souvenir aqueux :
des berges de la source observer
le bouillonnement de la chute
autour de ce grand silencieux

                                                                       Boris Rybak, Anachroniques, Gallimard, Les Essais CIV, 1962