ode à ceux qui jubilent en désordre

se retirer
avec le jazz
avec le piano
avec le syncopé
se retirer
avec la trompette
se retirer
avec le trombone
avec le saxophone
se retirer
avec la batterie
avec la certitude
se retirer
avec le rythme
se retirer
avec la voix
avec la voix
avec ce qui perce
avec ce qui pousse
avec les notes
qui montent
qui montent
avec le mode mineur
se retirer
avec les quintes diminuées
avec les septièmes
avec ce qui est connu
avec les débandades
se retirer
avec les descentes
les glissades à genoux
se retirer
avec le brio
avec le syncopé
avec ce qui brille en sourdine
avec les applaudissements
se retirer
avec le contrepoint
avec les figures hardies
se retirer
avec la certitude
avec la grosse caisse
se retirer
avec taper dessus
avec roulements
avec ce qui coince
avec ce qui cherche
avec ce qui sent
se retirer
avec le souffle
avec la sueur
se retirer
avec le chuintement
avec le frétillement
avec ce qui couine
se retirer
avec l’attention
avec l’attente
avec le retiré
avec le ahanement
se retirer
avec la persistance
avec le cri
avec le râle
avec le soupir effréné
se retirer
avec la joie
avec le répété
avec l’accident
avec l’ornement
avec le silence
se retirer
avec scander
avec n’en pas finir
avec rebondir
avec ralentir
avec obstination
avec résolution
avec tourner rond

se retirer
avec panache
avec harmonie
avec grandiose
avec charme
avec tranquillité

se retirer.

persister sourdre


la vie petite chose

dans le lieu c’est un répit
dans ce lieu écrit
dans ce lieu avec lettres
dont certaines se doublent
quand d’autres, pressées,

s’enfuient,

trébuchent,

tombent,




ce dansant de lettres vives
ne se redouble pas.

ouverture de « cadre »

le soleil se leva à l’Est
ce fut non un embarras / mais
non une découverte / mais
ce fut un usage ce fut un appel
ce fut une orientation

France cadre devint une épopée
une traversée une rivière vigoureuse
tous les reliefs tous les chemins
ce furent des rochers des montagnes
des courants d’air, trop peu

cadre France inclut des châteaux
pentes raides à gravir &
places d’armes glaces à lécher
des formes de variations
quant à l’occupation des sols

eux continuèrent : ils chantèrent
avant que le soleil se lève
cachés, la précision de leur chant
eut pour but la réalisation parfaite
de « cadre » qui s’ouvrit alors.

                                                                                                                    Nymphée (détail) ,  Eva Jospin,  2018

sur la route, récit d’été

 

Elle n’a rien d’autre à faire que d’entourer le bocal avec ses bras. À cet instant, c’est ce qu’elle doit faire.
Mais qu’est ce que vous faites, Roberta ?
Un panorama, je fais un panorama. Et de s’accrocher au bocal plein de bonbons multicolores dans son tablier rose.
Dehors, les voitures passent, s’arrêtent, grosse activité sur l’aire. Essence, diesel, vapeurs, paroles. Bruits secs, les portières, les démarrages, les moteurs si rassurants, la fumée.
Des familles s’étirent. Il fait un peu gris pour un été.
La boutique se remplit de pisseurs et d’acheteurs de nourritures sous cellophane, de cacahuètes. Autour des machines à café, des insectes cherchent de la monnaie. Des enfants ineptes posent trop de questions. Des mères fardées croient qu’elles vont à Las Vegas.

Roberta s’accroche au bocal, il est trop tard pour changer d’avis, c’est son rayon après tout, on le lui fait assez remarquer, c’est ton rayon.
Elle a une idée, c’est son idée, il suffit de ne pas paniquer, elle ne panique plus, il ne peut rien lui arriver.
Son panorama elle n’y avait pas pensé avant mais maintenant qu’elle le fait, ça lui plaît, c’est complet : un geste, un sentiment, une réponse calme.
C’est l’autre qui est surpris, c’est l’autre qui lui pose la question. Pas méchante sa question, juste un peu étonnée, éberluée. Mais pas autant que la réponse que Roberta fournit pratiquement. Comme si c’était la vraie réponse, la seule réponse.
Entourant son bocal, le verre devenu chaud confit contre ses seins, Roberta ressent sa propre température.
Oui elle nettoiera les bocaux, oui elle les époussètera, oui. Mais elle aura son panorama à elle ; un geste ; un sentiment ; une réponse.

[4 avril 2012]

                                                                                     James Coleman, Still Life, 2013-2016 © James Coleman

::: un texte sans qualités

suidre, verbe absent, advint en même temps
qu’un visage aux traits visibles selon un angle précis

dans cette lettre, suidre se détache, admirable
autant qu’inexistant, comme le visage de cette femme

le texte de la lettre existe moins que le regard porté sur lui
son visage existe moins que le regard porté sur elle

la lettre, destinée à une lectrice particulière
contient des phrases toutes compréhensibles, sauf ce mot

le personnage auquel appartient le visage photographié
légendé par son nom, se trouve dans un magazine

comme un verbe emprunté à Huysmans, suidre
se rapporterait à soi, à son absence, à sa disparition

le seul mot inexistant de la lettre montrerait le chemin à suivre
(un visage de femme effacé que seul un regard pourrait révéler)

[en présence des pages décollées, volantes, annotées, d’un livre vert
à la couverture illustrée par trois énormes dés (photographisme H. Cohen) :

Maurice Blanchot, Le livre à venir, article Joubert et l’espace –
1. Auteur sans livre, écrivain sans écrit –
, Gallimard, collection Idées NrF, 1959,
achevé d’imprimer le 28 juin 1971 … il y a exactement cinquante ans ce jour d’hui]

 

 

quant à l’onglet politique…

 

il peut y avoir des blancs indépendants de la signification
il peut y avoir des impostures dans le texte
il est possible de passer outre
un avertissement attire toujours l’oeil cependant.

*

je parle franc
je viens de la zone franche

je viens de là où le papier doré se tord et flanche
où les larmes s’éteignent dès que nées, tuées par à-coups
et fourchettes volantes

pépiements d’oiseaux méprisants
roucoulant pour mieux masquer leur dédain

il n’y a jamais d’anthropomorphisme qui tienne
répète l’indifférent, zozotant de profil

le fait de tenir debout est une fable judicieuse
à la portée du premier venu sur la planète

l’ensemble des discours suture les justes distances
& probablement, par retour, signe l’effondrement sans suites

rien, rien ne peut nourrir le comportement récent
de l’hominidé ;
une poule shoote dans son oeuf, c’est un peu la fin

personne n’écoute comme déploiement et conditions
personne n’engage l’énervement des silences

les poussières surgissent de l’enfer ci-devant

cinétique des angles, combien de limites à la chute ?
de triangles négligents ? de coupures tièdes au sang absent ?

éborgnée, la nuit se pare d’envies inachevées
quand leurs pieds, gonflés, rabotent le numerus clausus

… des dérives, il aurait fallu dire, des dérives mortes
et des écartements, il aurait fallu dire, des écartements
la source infinie des défaites.