dans le tiroir des chaussettes choisir

elle trie les chaussettes, les noires, les beiges, les vertes,
les orange, les imprimées fleurettes,
elle les place, les replace,
elle prend et repose,
elle se dit des choses,
rien n’est arrêté tout est possible
elle défait une paire, regarde une couture
………………………………………………………………………
elle finit par parler : les chaussettes ne répondent pas,
elle regarde des petites fines qui glissent sur le talon
elle aperçoit les rouge au fond,
les grises sont déjà vieilles,
d’autres à jeter qu’elle ne jette jamais,
elle voit les chinoises chinées : idéogramme chaussette
la folie la guette, les chaussettes se taisent
………………………………………………………………………
elle manipule dans le tiroir,
la folie la guette, les chaussettes se taisent,
elle choisit des chaussettes, idéogramme chaussette
elle se dit des choses,
elle prend et repose,
rien n’est arrêté tout est possible,
les chaussettes ne répondent pas.IMG_20160513_212836

à ce moment les mots manquent

trop d’accès, trop d’accès !
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)
c’est la seule possible quand vous étouffez
je me noie, je me meurs !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

à ce moment les mots manquent
aucun sur le ciment, aucun sur le béton,
aucun dans les fleurs, aucun dans les buissons
roses de leurs promesses récurrentes,
jaunes de leur paralysie languissantebrique femme

de leurs vies ils vous entretiennent,
leurs orifices ils vous détaillent,
leurs organes ils vous jettent à la vue,
leurs sexualités ils dissèquent à tout va,
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)

je vous suis, je suis vous, non ! oui !
il n’y a qu’une seule bataille possible,
elle est cachée au fond du terrier, venez !
la terreur n’est pas dans le terrier, venez !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

©Picasso, fragment de brique décoré d'un visage de femme, 1962

la colonisation des paratextes

c’est un sentiment diffus, entre l’insecte et l’asservissement, le ploiement d’une troupe harassée mais gavée, grosse d’une raison-derviche, dont les fuites du corps commun s’épandent, liquides, sur les surfaces désormais lisses, glissantes, dangereusement banales, d’une langue déchue

Il faudrait avoir une règle ; la raison s’offre ; mais elle est ployable à tous sens ;
et ainsi il n’y en a point
(Pascal, Pensées VII, 4)

et qu’un relai s’imagine possible, notifie, par le pouce levé, l’ironie de l’appauvrissement consenti, bouffi de sa complaisance à résumer, ou bien, dans cette obscurité supposément nécessaire, ramone la suie des enflures déhiscentes, convoquant le ban et l’arrière-ban des poètes disparus au syntagme figé de la plus pure espèce

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je n’aime pas votre texte, il n’est pas clair, il ne veut rien dire, il ne veut rien, il ne dit rien, il se tait, il est colonisé par son paratexte.
je dirais que c’est un pluriel, je dirais, colonisé par ses paratextes.
vous pouvez insister partout, mettre des accents d’insistance partout comme le chien marque son territoire, vous n’arriverez à rien.
je dirais que je ne sais pas comment organiser le génitif et le complément d’agent dans la phrase, comment les déplier.
vous ne choisissez pas : vous avez les deux pour le même prix ; en outre vous repasserez avant de déplier, puis vous irez voir madame pour vos honoraires.
bien monsieur.

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durant la guerre, ils ont faim, la faim est le fait le plus tangible de la guerre, la pomme de terre devient la star, il n’y a aucune ambigüité à cet égard, la pomme de terre est elle-même, on la voit, on l’épluche, il y a des corvées de pluches, des corvées collectives, il faut s’y mettre, arrêter de rêver, on la fait cuire en groupe : on ne fait pas cuire une seule pomme de terre, mais un groupe de pommes de terre, une troupe, un collectif de pommes de terre.

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Ensuite vous ferez des vraies phrases avec des capitales au début et des points à la fin. Vous ferez des phrases courtes avec des mots compréhensibles par tout le monde. Même si vous ne savez pas ce qu’est tout le monde, vous vous mettrez à la portée.
Nous sommes loin du postulat de départ. Nous nous sommes éloignés.
L’éloignement est notre force et notre faiblesse. Nous contestons la contradiction ; nous sommes dans le pur éther de la langue possible, celle qui nous plaît, plaît, plaît.

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juin 1940 : Lamentable troupeau que le nôtre. Sous le beau soleil, la horde se traîne, affamée, assoiffée, couverte de poussière et de sueur. Nous devons faire plus peur que nous n’inspirons pitié.
Jean Arnould, Le narrateur de l’inutile : Journal de guerre et de captivité 1939-1945 (inédit)

– Année 1940, conditions météo remarquables
– Réchauffement climatique : les premiers signes
dateraient des années 1940

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l’avancée de la troupe et du troupeau dans la difficulté de la langue, de la guerre et des pommes de terre groupées sous l’éplucheur inefficace, gêne absolument les intentions secrètes de l’organisation économique mondiale (au moins)

nous ne sommes nés que pour en rendre compte,
mais pas du tout, après vous je vous prie,
la réalité n’a rien à faire dans le texte,
ni les constructions des hommes, ni leurs dialogues époustouflants et encore moins leurs mythes recuits,

il y a un lieu encore plus grand (emphase, enthousiasme, cris de joie)

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il ne pleut plus
ils sont dix, oui

adopter un point de vue

l’adoption d’un point de vue obéit à des règles nombreuses –
avant de l’adopter, le point de vue est couvé dans une couveuse de points de vue, tous plus ou moins équivalents –
ou qui se présentent comme tels –
aucun petit bonnet de couleur pour les distinguer –
le point de vue est indispensable pour circuler dans la vie courante –
même si on ne court pas on en a besoin –
on peut vivre sans, mais plus difficilement –

le point de vue se caractérise par une complexité de structure :
un, le point –
deux, de vue –
le point de vue suppose la hauteur, bien que la hauteur de vue, elle, ne soit pas directement corrélée au point –
de nombreux points de vue sont dépourvus de hauteur de vue –
le point de vue avec hauteur de vue est en option –

l’adoption d’un point de vue est un long processus –
tellement long qu’on n’en voit jamais le bout –
adopter un point de vue c’est forcément se dérouter –
voire perdre le fil –
quand le point de vue est adopté, un rien peut le faire chanceler –

l’adoption d’un point de vue requiert une infinie patience :
faire antichambre, attendre que le chambellan ouvre la porte –
s’il l’ouvre –
s’il ne l’ouvre pas, risque de demeurer à vie dans l’antichambre, sans adopter aucun point de vue –
ou bien, la porte s’ouvrant, bousculade de points de vue désireux de se faire adopter : submersion, asphyxie, décès –

la nuit, c’est parfois plus visible, la nuit, le point de vue peut scintiller –
mais inquiéter (surtout s’il se déplace en canard)–
un point de vue menaçant 29092011364est un point de vue qui déborde l’adoption –
ce point de vue n’est pas le tien –
tu le congédies, tu te détournes, tu fais semblant de ne pas être
l’adoptant –

grammaire | jaune

subitement : les relatives adviennent – aucune principale, aucune
ne vient –, les relatives abondent, la phrase se tue, c’est depuis longtemps, la phrase se tue, trop de subordonnées débordent l’architecture, la phrase s’affaisse, atteinte, tchoum tchac

la phrase s’emmanche mal, ne s’emmanche pas ; le mode actif ne convient pas, il y faut de la lassitude, de la langueur, de la méridienne alanguie, de la Récamier, la phrase a besoin de glander sous les pales du ventilateur, passive

c’est que le sujet n’est pas bon, il n’est pas bon, il est une im-passe, il est imbu, il est intraçable, la méthode est Coué ou rien, elle est Coué, ok, faire rewind, remonter le courant, et, malgré l’empêchement, malgré l’obstacle, sauter, remonter le courant, sauter, Don DeLillo, L’homme qui tombe – à pic

alors : Henry Miller sur son lit de mort ; rien d’autre ; ou bien ça tient, ou bien ça tient pas, ou bien ça recule, ou bien ça avance, ou bien ça va se faire, comme si ça allait se faire, encore un effort à l’envers

tout s’est évanoui dans une torpeur par avance absoute ; Sarraute et sa littérature au microscope, elle explique comment elle construit quelque chose autour d’une phrase, par exemple :

“Ah ! ne me parlez pas de ça !”

musée parole et geste

 

 

 

 

nature morte | jaune

dans le bus n° XX elle a lu le Lenz de Büchner
une idée lui vient : mourir à la station Louis Blanc, un lieu comme temps indiqué
une pensée se formule : je vais chez l’inconnue
ou bien, chuchotée, jaune pâli, évanescente : je vais chez l’insomnie, chez la dame qui pue

la tangente au mouvement : un parfum nommé Charogne
ravissement des moules cuites et mangées

 il est impossible qu’elle ait lu Le Méridien de Celan, elle ne sait pas ce qu’elle dit, elle n’a pas le cerveau suffisant, il faut y rajouter des moules

chaque jour ce réveil avec intention : écrire le récit de Céret, déjà abandonné sans avoir été écrit, ces abandons qui n’en sont pas, qui servent à étayer cette existence,
l’intention soutenant la réalité, en une sorte d’étai (peu de différences entre le rêve et la réalité, constatent-ils, elle et lui, l’enfant remarquable)

l’étai de l’intention : idées inutiles ou inexploitables, ou contrariées par la course du temps, ou par la soumission volontaire à la perte du temps

il y a un boulevard du Temps perdu : le temps indique un lieu, pour y mourir indéfiniment

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