pourtant introuvable poursuivre

dans le calme, dans la fureur, dans l’extase, dans les vapes,
dans l’irrésolu –
on est les mêmes à tout jamais, depuis le début et jusqu’à la fin

permanence de l’être : se cherche dans les dédales de la mémoire
se trouve quand ne se cherche pas –
permanence de l’être : petit mystère flottant sur crème du tempspixels

petit, durable, durant un temps sans dates, ne se retrouvant pas
hésitant, répétant, s’adressant à foule immédiate
immédiatement perdue, choses sans arêtes

préparer le pire, le flou, ce qui retombe à plat,
la sempiternelle confusion, la rougeur de ne pas savoir,
et qu’il y a, loin dans le savoir, l’insondable ignorance, aussi –

tout à coup proche du centre, du creuset, du creusement, du trou,
un trou non habité, un calme villageois –
on est les mêmes à tout jamais, depuis le début et jusqu’à la fin

préparation de l’impréparable – et comment s’y prendre –
guettant le moment d’ennui mortel qui déclenchera réellement
le signal du renversement

melodica melancholia

/ est calme, une calme présence, un calme doublé de sa présence,

tout ce qui rend malheureux dans l’accord
tout ce qui rend malheureux dans l’accord vu,
dans l’accord devant les yeux, dans l’accord visible, “voilà”,
tout ce qui rend malheureux de trop d’accord,

melodica melancholia (douce nuit d’une saison nommée) :
quelques notes précieuses excessivement séparées :
un chuchotement de la séparation, comme ceci /

des pas murmurent sur la dalle enfouie du temps perdu,
distinctement et encore plus distinctement,
grâce au brouillard d’échos duquel ils émergent, cristallins,

la forme inachevée de l’absence
/ est calme, et redoublée, et inconnue,

une note après l’autre, cristalline dans la résonance séparée
tout ce qui rend malheureux dans l’accord vu,
tout ce qui est impossible dans l’accord arpégé *
tout ce qui reste intraitable, absolument intraitable,

melodica melancholia : la voix du refus encore plus distinctement


* arpégé n'a pas de synonyme 

en outre : Accord arpégé et arpège ne sont pas synonymes : l'arpège s'exécute en jouant successivement les notes d'un accord (en les répétant éventuellement à plusieurs octaves) dans les 2 sens (ascendant et descendant), tandis que l'accord arpégé s'exécute seulement dans le sens ascendant ; celui-ci est marqué d'une barre perpendiculaire ondulée précédant l'accord, alors que pour l'arpège les notes sont écrites dans leur succession réelle.

en outre : Il y a des instruments sur lesquels on ne peut former un accord plein qu'en arpégeant ; tels sont le violon, le violoncelle, la viole, & tous ceux dont on joue avec l'archet ; car l'archet ne peut appuyer sur toutes les cordes à la fois.

en outre : Emploi métaphorique du verbe arpéger. Faire naître des sensations ou des sentiments.

 

nature morte | jaune

dans le bus n° XX elle a lu le Lenz de Büchner
une idée lui vient : mourir à la station Louis Blanc, un lieu comme temps indiqué
une pensée se formule : je vais chez l’inconnue
ou bien, chuchotée, jaune pâli, évanescente : je vais chez l’insomnie, chez la dame qui pue

la tangente au mouvement : un parfum nommé Charogne
ravissement des moules cuites et mangées

 il est impossible qu’elle ait lu Le Méridien de Celan, elle ne sait pas ce qu’elle dit, elle n’a pas le cerveau suffisant, il faut y rajouter des moules

chaque jour ce réveil avec intention : écrire le récit de Céret, déjà abandonné sans avoir été écrit, ces abandons qui n’en sont pas, qui servent à étayer cette existence,
l’intention soutenant la réalité, en une sorte d’étai (peu de différences entre le rêve et la réalité, constatent-ils, elle et lui, l’enfant remarquable)

l’étai de l’intention : idées inutiles ou inexploitables, ou contrariées par la course du temps, ou par la soumission volontaire à la perte du temps

il y a un boulevard du Temps perdu : le temps indique un lieu, pour y mourir indéfiniment

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UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 11

jour 11 – Puis le temps s’est asséché, l’année 1994 est passée depuis longtemps, elle reste encore un peu, mais un jour elle prend vingt ans d’un coup, personne ne s’en rend compte, seuls les cheveux grisonnent, et VM demeure, alors à une autre place, en devanture cette fois, à la terrasse d’un autre café, avec le verre à pied et le carafon comme armes déchues, ses mains reposant sur ses genoux ou tenant une cigarette. Il boit, mais moins, alterne avec une bouteille d’eau minérale gazeuse, fait traîner le euh de gazeuse en le prononçant, a des airs d’animal traqué.

L’amour, avec l’identité, fut la seconde question de VM, mais il ne la traita pas, n’ayant pas résolu la première. Ainsi, la première et la seconde convergeaient dans l’aveuglement réciproque, tandis que Carola vivait une existence (somme toute) banale, de jeune femme fin de siècle, c’est à dire absolument défalquée de son propre désir. Elle faisait l’objet d’une soustraction (somme toute) ; malgré cela elle aimait danser durant des heures, méthodiquement.

Elle partait danser pour aller danser. Elle partait danser pour danser, danser et rien d’autre, boire de l’eau toute la soirée, et rien d’autre, suer, transpirer et boire de l’eau, danser et évacuer et rien d’autre. Elle ne regardait rien ni personne, elle embrassait la salle en entier dans son regard, et, dansant, se collait à de nombreux corps comme s’ils eussent fait partie de son propre corps. Ces corps avaient aussi des yeux, des jambes, des bras, bref, tout ce qu’un corps compte de membres, de mouvements de membres, IMG_20150221_150401de cheveux aussi, d’odeurs, de sexes, de signes sexuels primaires, secondaires, tertiaires. Et ces corps parlaient parfois, d’où, sous la musique saturée : hurlaient.

VM, impassible, ou encore plus désemparé, difficile à dire, désemparé de lui-même, à côté de ce lui qu’il ne reconnaît plus comme même, représentant malgré lui d’un Occident inactif, attentiste, désoeuvré, désaffecté, vieillissant, observe une femme en robe orange arrivant de la droite. Mais il s’agit d’une illusion, la saison n’est pas la même, l’année non plus.

Carola avait disparu au coin de la rue, comme souvent, dès qu’elle avait dépassé l’hésitation du carrefour (à droite ? à gauche ? tout droit ? derrière?), s’engageait dans une des rues, descendait comme on voit dans les films à San Francisco la longue et unique route au bout de laquelle le héros disparaît, et disparaissait au prochain virage, fluide comme une ondine, et sans âge.

 

 

 

UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 6

jour 6 – Après la robe orange de Carola, il y avait la pensée que c’était nouveau, que le thème était nouveau, qu’avec le jour nouveau le thème serait nouveau, mais immédiatement, tout s’avérait non-nouveau, ancien, vu, revu, re-revu. Et que même les années seraient nouvelles, et toutes les marques conventionnelles du temps. Mais non. La stupéfaction, elle, se renouvelait de découvrir à chaque fois les anciennes préoccupations, les anciens thèmes (enfin oui, VM se retrouvait, comme tout personnage de Cholodenko se retrouvait lui qu’il était et pas un autre, et pas moyen de se dépiauter).

Par exemple l’indistinction, n’importe qui pouvait s’en emparer et en faire quelque chose. Il fallait protéger la pépite : y compris des personnes très peu autorisées y allaient de ce danger de l’indistinction. Or ils la manipulaient mal, or c’est une matière dangereuse, l’indistinction. Il fallait repartir du Bavard, il y avait cette nécessité. Beaucoup l’avaient entrevue, peu étaient aptes à la traiter. En effet, je me suis longtemps persuadé que ce qu’il devait y avoir en moi de plus attirant, c’était la singularité. C’est dans le sentiment de ma différence que j’ai trouvé mes principaux sujets d’exaltation. Mais aujourd’hui où j’ai perdu quelque peu ma suffisance, comment me cacher que je ne me distingue en rien ?

Non, VM n’a aucune ambition, décidément aucune. Il n’en avait pas au départ, n’en a pas à l’arrivée. Son temps est long, il n’est pas devenu malade, mais peut-être les causes sont-elles liées : sans ambition, pas de maladies ni de mort rapide. Enfin, on le retrouve une vingtaine d’années plus tard sur son petit bout de terrasse devant une bouteille d’eau. Ce n’est peut-être pas le même : celui-ci ressemble à Eugène Savitzkaya en plus maigre, plus long, plus inutile, ou bien à Louis-René des Forêts ; l’autre au fond de la salle du restaurant avec tous ses papiers épars ressemblait à lui-même, alors qu’il venait d’écrire son Traité de l’identité, où il est écrit que l’identité n’existe pas, bref, il se rendait à lui-même transparent.

Son temps avait fait des allers-retours sans avertissement, notamment avec l’alcool, la boisson comme on disait dans le temps, il a des problèmes avec la boisson, de sorte que le carafon de vin, devant lui ou l’inverse, son corps devant le carafon, arrivait parfois rempli d’eau – désormais carafe – : il s’agit de VM, oui et non, un peu, mais aussi différent, puisqu’il se ressemble moins qu’avant.

 

 

le temps, qu’est-ce que ça transforme ?

Lundi 2 mars 2009

 

Abandon épousant les accidents du sol, les disjointures capricieuses des ciments poussiéreux, des pavés usés, des terres boueuses des chantiers, du béton jaune pâle de la piste, abandon aux amortisseurs grinçant sous le poids du corps, abandon à la pensée fluide et sans obstacles, abandon des bras et des jambes au rythme efficace des roues, pédales, guidon, spectacle.

L’horizon vert du dernier événement de la dernière décade du dernier siècle, ah, nous y voilà ; il y aurait des choix qui se tiendraient (avec leurs petits noeuds papillon, bien droits), et d’autres qui se déferaient (du verbe se défaire). Le temps transforme même les rugbymen, c’est dit.