UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 6

jour 6 – Après la robe orange de Carola, il y avait la pensée que c’était nouveau, que le thème était nouveau, qu’avec le jour nouveau le thème serait nouveau, mais immédiatement, tout s’avérait non-nouveau, ancien, vu, revu, re-revu. Et que même les années seraient nouvelles, et toutes les marques conventionnelles du temps. Mais non. La stupéfaction, elle, se renouvelait de découvrir à chaque fois les anciennes préoccupations, les anciens thèmes (enfin oui, VM se retrouvait, comme tout personnage de Cholodenko se retrouvait lui qu’il était et pas un autre, et pas moyen de se dépiauter).

Par exemple l’indistinction, n’importe qui pouvait s’en emparer et en faire quelque chose. Il fallait protéger la pépite : y compris des personnes très peu autorisées y allaient de ce danger de l’indistinction. Or ils la manipulaient mal, or c’est une matière dangereuse, l’indistinction. Il fallait repartir du Bavard, il y avait cette nécessité. Beaucoup l’avaient entrevue, peu étaient aptes à la traiter. En effet, je me suis longtemps persuadé que ce qu’il devait y avoir en moi de plus attirant, c’était la singularité. C’est dans le sentiment de ma différence que j’ai trouvé mes principaux sujets d’exaltation. Mais aujourd’hui où j’ai perdu quelque peu ma suffisance, comment me cacher que je ne me distingue en rien ?

Non, VM n’a aucune ambition, décidément aucune. Il n’en avait pas au départ, n’en a pas à l’arrivée. Son temps est long, il n’est pas devenu malade, mais peut-être les causes sont-elles liées : sans ambition, pas de maladies ni de mort rapide. Enfin, on le retrouve une vingtaine d’années plus tard sur son petit bout de terrasse devant une bouteille d’eau. Ce n’est peut-être pas le même : celui-ci ressemble à Eugène Savitzkaya en plus maigre, plus long, plus inutile, ou bien à Louis-René des Forêts ; l’autre au fond de la salle du restaurant avec tous ses papiers épars ressemblait à lui-même, alors qu’il venait d’écrire son Traité de l’identité, où il est écrit que l’identité n’existe pas, bref, il se rendait à lui-même transparent.

Son temps avait fait des allers-retours sans avertissement, notamment avec l’alcool, la boisson comme on disait dans le temps, il a des problèmes avec la boisson, de sorte que le carafon de vin, devant lui ou l’inverse, son corps devant le carafon, arrivait parfois rempli d’eau – désormais carafe – : il s’agit de VM, oui et non, un peu, mais aussi différent, puisqu’il se ressemble moins qu’avant.

 

 

Auteur/autrice : Édith Msika

Une théorie de l'attachement, P.O.L, 2002 / L'enfant fini, Cardère éditeur, 2016 / pipelette dancing, Editions louise bottu, 2022 / L'homme en bleu, Julien Nègre éditeur, 2022 / Introduction au sommeil de Beckett, Julien Nègre éditeur, 2023 / & textes dans des revues : larevue* 2019, 2020, 2021, 2022, Revue Rue St Ambroise (n° 45, 2020), TXT n°33 (2019), Jungle Juice (#6, 2017), + sur le web : Atelier des auteurs P.O.L, remue.net, libr-critique…

Une réflexion sur « UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 6 »

  1. Oui. L.R. des Forêts et Le bavard..on dort toujours avec le fond de la caraphe…le temps de vivance tient. Tenir toujours avec des morts.

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