points d’appui

Jeudi 16 avril 2009

 

L’homme parle. C’est un fait. Il parle (la femme parle aussi bien sûr, la femme étant comprise dans l’homme du point de vue de la langue que nous partageons ici, sauf dans quelques débats de grammairiens ou de féministes ou qui on veut on s’en fout c’est pas le sujet). La femme parle. Elle parle. En somme, chacun/e parle. Ce sont des faits. Les hommes et les femmes parlent. Plus que les animaux en tout état de cause.

Si on met des Malabar™ sur les mots, ils collent et ils deviennent roses. Ce sont des faits. Au lieu de faire des phrases, peut-être qu’ils feraient des rubans mous, roses, intercollants. Et le bonheur des vendeurs de Malabar™ au passage.

L’homme/la femme prononcent des mots roses et collants, les échangent, les envoient, les adressent, les pianotent, les tapotent, caractère par caractère, les synthétisent, les additionnent, les crient, les hurlent, les pleurent, les brament, les mailent, les bloggent, les téléphonent, les via voicisent, les génèrent, en font des nuages, des nems, des particules, les associent, les dissocient, les groupent par affinités, les dégroupent, les cachent, les mettent au rebut, sur le balcon, au frais, dans des coffres, leur font prendre l’air, les livrent en catimini derrière leurs mains, les sussurent à leur amant/e, les reçoivent, ne savent pas qu’en faire, ne savent pas qu’en penser, n’en pensent rien, en pensent quelque chose, se ravisent, n’en pensent rien, si tu veux, comme tu veux, peut-être, je ne sais pas quoi te dire, qu’est-ce qui te dit que je ne comprends pas ce que tu dis, qu’est-ce qui te dit que je n’ai pas entendu, ne s’entendent pas, s’écoutent mais ne s’entendent pas.

Pendant ce temps, une femme grecque chante du Moustaki. Ce temps de pendant qu’une femme grecque est un artifice dont personne ne nous sauvera.

 

comment un libraire et de quoi

Lundi 6 avril 2009

 

Le regard que le libraire portait sur son livre d’art instruisait la cliente sur la disponibilité qu’il avait pour elle : faible sauf cas de question brûlante. Mais la cliente ne voulait pas tant savoir réellement quelque chose que feindre de poser des questions sur l’écrivain norvégien, si le libraire le connaissait, alors-même qu’il était évident, visible, manifeste, que le libraire ne s’intéressait en aucune manière aux écrivains norvégiens non plus qu’à celui-ci en particulier.

La cliente tenait ce livre entre ses mains et s’entendait poser ses propres questions, qu’elle aurait trouvées stupides pour peu qu’elles eussent été posées par un autre. C’est qu’un détail de la couverture de ce livre l’intriguait, la couleur, le nom de l’auteur, sa date de naissance peut-être. La veille ou l’avant-veille, la cliente, cette fois supposément en position de lectrice dans sa propre maison, autant dire la femme, devant l’amoncellement de livres près de son lit, un peu abandonnés à la pousssière, s’était fait la remarque qu’elle ne lisait plus, et s’était même demandé ce qu’était un livre. Mais alors que faisait-elle chez un libraire deux jours plus tard ??

La cliente, enfin la femme mûre, voire blette, s’était souvenue qu’elle avait un jour découvert un auteur norvégien au hasard, auteur qui avait ensuite eu grande fortune auprès des milieux autorisés de la lecture. Ce qu’elle faisait ce jour-là chez un libraire, nul n’aurait pu le dire, mais ce qui est sûr c’est qu’elle en ressortait avec trois livres : un roman, un essai littéraire et une étude historique. Le hasard d’un deuxième auteur norvégien ne lui était pas apparu avec une aussi grande nécessité. Elle avait reposé le petit livre à couverture jaune sur la pile des autres.

Puis le libraire lui avait communiqué un tuyau sur le tuteurage des tomates; et là son regard s’était allumé.

des nouvelles de M. Xan

Samedi 28 mars 2009

 

M. Xan n’avait pas disparu, du tout. On ne savait pas nécessairement où il était, mais il ne se cachait pas. Comme de nombreuses personnes vivant dans de nombreux endroits au milieu de nombreux autres, M. Xan menait sa vie ; tentait de la mener ; la menait. Ainsi, il mangeait puisqu’il faut manger ; dormait puisqu’il faut dormir, travaillait puisqu’il faut travailler, prenait l’ascenseur puisqu’il faut prendre l’ascenseur, et d’autres moyens de transport plus horizontaux. Parfois il se demandait ce qu’il ne faut pas, enfin, quand il n’était pas épuisé par ce qu’il faut pour vivre. Alors il lui arrivait de scruter intensément une feuille sur une pierre, ou le bâtiment au loin, blanchi par la survenue d’un orage violent, ou plus banalement quelques-uns de ses ongles jugés pour l’occasion les plus intéressants. Et tandis que nombre de ses contemporains se livraient au commerce de denrées alimentaires, à l’analyse de données sensibles, à la communication de nouvelles qu’ils jugeaient de la plus haute importance, à la création d’oeuvres immédiatement visibles sur les réseaux mondiaux, M. Xan tentait courageusement de vivre avec ses yeux et ses phanères.

le temps, qu’est-ce que ça transforme ?

Lundi 2 mars 2009

 

Abandon épousant les accidents du sol, les disjointures capricieuses des ciments poussiéreux, des pavés usés, des terres boueuses des chantiers, du béton jaune pâle de la piste, abandon aux amortisseurs grinçant sous le poids du corps, abandon à la pensée fluide et sans obstacles, abandon des bras et des jambes au rythme efficace des roues, pédales, guidon, spectacle.

L’horizon vert du dernier événement de la dernière décade du dernier siècle, ah, nous y voilà ; il y aurait des choix qui se tiendraient (avec leurs petits noeuds papillon, bien droits), et d’autres qui se déferaient (du verbe se défaire). Le temps transforme même les rugbymen, c’est dit.

un arrêt du temps, un peu de vent

Samedi 14 février 2009

 

Emma Larme se jeta sur son canapé peu de temps avant seize heures. Elle s’endormit instantanément, recroquevillée en chien de fusil. Une heure après, le téléphone la tira de son sommeil. Elle répondit mécaniquement, mais ce n’était pas pour elle. Comme elle avait bondi hors du canapé, elle n’était plus recroquevillée ni endormie, et mit quelques instants avant de reconnaître ce qu’elle était : elle nomma cet état « fripée », en son for intérieur. Quelques instants plus tard, elle décida d’aller se défriper dehors ; le froid vif remplit parfaitement cette mission. Elle ne regretta rien.

c’est comme serrer

Vendredi 9 janvier 2009

c’est comme serrer
comme serrer quelque chose, une main, immédiatement le coeur vient, serré, on voudrait l’élargir mais il oppresse
(il faut être raisonnable avec le mais, même si on ne l’aime pas, le mais, toujours trop de mais entrave le cours paisible du dire ce que vous voulez dire sans raison le mais raisonne terriblement).

J’habite ici, dit-elle avec un petit mouvement du menton lancé vers le haut, j’habite ici, c’est ici que je m’arrête, voilà.

Certaines difficultés sont à contourner, contournables, avec contours, crénelées, certaines difficultés ne peuvent pourtant pas se coller comme des timbres, quoiqu’on en veuille.