scotomes scintillants

Vendredi 26 juin 2009

 

Je n’avais qu’à pas déjeuner, ou pas là, ou pas à ce moment, ou pas avec cette femme, ou pas sous cet angle, ou pas japonais, ou pas après avoir autant jeûné.

Soudain, son visage s’est comme replié d’une moitié sur l’autre. J’ai tenté de la regarder latéralement.
Nous avons échangé nos places. C’est alors que la salle entière s’est repliée par sa moitié de l’une sur l’autre, comme un panoramique désajusté.
J’ai repris ma place. Je tentai de la regarder, en tournant la tête, pour arrêter cette érosion du faciès. Je le voyais cubiste, les yeux très près l’un de l’autre, le nez et la bouche désaxés.
La conversation s’est décentrée. Impossible de maintenir ma concentration.

Puis la focale s’est refaite sur son visage, subitement redevenu net.

Et c’est à ce moment que les scotomes scintillants ont commencé à danser de part et d’autre de son visage. C’est rapidement devenu infernal. J’avais quitté la vision en kaleidoscope pour entrer dans une autre vision, encore plus inquiétante, instable aux bordures, trop brillante.

À la première bouchée de sashimi, tout est rentré dans l’ordre. Elle me dit : tu avais peut-être besoin de manger. Ici, le service est très lent.

depuis des bastingages aux débords imprévisibles

Le printemps bizarre saoûle les insectes. La volupté les guette. Ils envoient des messages baroques. Ils sont tout sauf précautionneux. Être aussi maladroits qu’eux.

Rien sur Bach, j’enrage ; j’enrage de ne pouvoir, j’enrage de l’impossibilité dans laquelle je me trouve de ne désormais plus pouvoir le jouer. L’abandon m’a rayée de l’accord de la main, j’ai perdu la main, j’ai jeté la main aux orties, j’ai anéanti mes mains. Tout exercice d’accompagnement serait vain, j’entends des phrasés, j’entends des notes divines, j’entends des pleurs, j’entends jusqu’aux orteils, j’entends des pincements, des sautillements, j’entends des caresses, j’entends des montées en demi-tons, j’entends, je ne fais qu’entendre. C’est horrible. La beauté, c’est horrible.
Et en plus mes mains sentent le Munster.

Tu as deux modes de pousse, la pousse verticale et la pousse horizontale, si tu choisis la pousse verticale tu es plus grand, plus élégant, mais plus étique, tes fruits risquent de ne pas être suffisamment comestibles ; si tu choisis la pousse horizontale, tu es plus petit mais tu crées des branchages auxquels les singes peuvent facilement s’accrocher, et ainsi tu acquiers une fonction sociale incontestable.

Reverse, position reverse, se mettre dans l’autre sens, changement de perspective, travaux pratiques du changement, pousse, revient à la pousse, pousse rapide, pousse inattendue, pousse tendue, attente, carreau immobile, lapidaire.

L’odeur animale du jasmin, musquée, non travaillée, non arrondie, non esthétisée, non mise en forme, non soumise à l’enrobage, non civilisée, est due à l’indol.

Personne n’est gai, chacun veut monter un parti et descendre un escalier.
Il est temps d’en finir, il s’agit de ne pas commencer. Les peuples, y est.

[printemps 2009, collage]

parfois le silence

Vendredi 24 avril 2009

 

On pourrait croire que la petite girafe bleue qui insiste dans la mémoire d’une mémé, qui a voyagé d’un tiroir à une armoire, d’un placard à une commode, on pourrait croire que cette girafonne n’a jamais trouvé sa place,27112009012 on pourrait imaginer qu’elle a traversé des rues et des villes dans une poche de salopette, et, qu’oubliée, elle a perdu sa tête ou bien sa queue au fond d’une poubelle immense, on pourrait aussi se dire qu’elle a servi à recueillir certains secrets, à regarder son ventre ouvert sur le cache d’un tout petit magnétophone. Bien des choses inutiles restent et résistent à la compréhension ordinaire.

quelques peupliers visibles

Dimanche 7 juin 2009

 

——————- des filaments de mots, bleu cime noire ; miss, pourquoi des arbres au bord des routes, à quoi servent-ils ?

ils parlent, de plus en plus fort, droite, gauche, lunettes, col ouvert, crâne chauve, série B, hyperbole, racines noires de la blonde, lunettes, regards affolés, brouhaha, odeurs, haleines, insulaires de France ————————

un homme au bord de la route, jambes écartées, git, dormeur du val, bonjour, eux, casqués brillants, harnachés, autour furtivement lui soufflent dans les bronches, on passe, surveillant la vitesse, ronronne la vitesse ——————————

au niveau national, au caniveau national, régresse, bouleversement, séisme, cherche la tête, cherche qui parle, feuilles frissonnantes, brillantes, bicolores réversibles, caput mortuum ————————-

échec, reconstruire, identité, défi, message, valeur, crise, crise, valeur, centre, ouverture droite, fermeture, gauche ————–

un homme, au bord d’un continent, jambes écartées, bras écartés attend la mort, semblant dormir, semblant dormir ——-

 

 

ce qui (se) répète, ou bien : nouveau truc

Il y a peu de temps, j’ai rencontré Colette, je ne sais pas si je dois le préciser. Je ne sais jamais ce que je dois dire. Est-ce que je dois avouer ceci ou cela ? Que dois-je dire et à qui ? Je travaille à la mairie de mon domicile, je prépare les salles quand il y a des spectacles, enfin, pas moi tout seul. On est un certain nombre à préparer les salles, et d’ailleurs je fais ce qu’on me demande de faire. Je suis un exécutant, ponctuel, organisé, efficace, ne rechignant pas à la tâche. On me dit va là-bas enlève les câbles, je le fais. Ou bien dispose les chaises de telle façon, après, parfois, je reste regarder le spectacle. Je me demande souvent que pensent les acteurs qui jouent quand ils jouent.

Colette n’a pas encore d’enfant. Elle en veut un. Je ne suis pas contre. Ni pour. Elle, elle a l’air un peu pressée par cette histoire. Elle dit que beaucoup de femmes de sa génération ne font pas d’enfants, trop occupées à s’inquiéter de ce qu’elles deviennent. Tout le monde s’inquiète de ce qu’il devient, moi aussi. A force de s’inquiéter, on ne vit pas, tout en vivant, de force.
On y est forcé, on fait ce qu’on peut, c’est pour ça, j’aime bien ranger les salles, aligner les chaises. Quand les chaises sont bien rangées, ça me fait le même effet que le général quand son armée est en ordre de bataille, on n’a plus que ça. On vit une vie sans haut ni bas, une vie même pas distraite de l’être, une vie je ne trouve pas d’adjectifs pour la qualifier.

Je sais ce que je vais faire, je vais faire un enfant à Colette, et on fera une famille, voilà ce qu’on va faire. Et après on prend un chien. C’est pas un programme, j’en conviens, mais qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? Ils ont tous l’air de faire la même chose. J’ai pas d’autre imagination que l’imagination courante.

Quand elle rentre, Colette est IMG_0331fatiguée, elle s’occupe de vieux dans un service de gériatrie, ça la pompe. Elle dit qu’il va y en avoir de plus en plus. Et les embauches, ça suit pas, et même pire. Alors les vieux, elle passe de moins en moins de temps avec. Il y a aussi tous les papiers à remplir, les cachets à préparer, les urgences continuelles, et les familles, ah, les familles. Les familles, elles veulent, elles en veulent toujours plus, elles deviennent agressives, menaçantes, genre vous avez intérêt à bien vous occuper de Reine, Lucie, René, sinon, points de suspension. Les vieux, ils déjantent, pas comme les jeunes, pas de la même façon, eux ils vont mourir plus vite.
J’ai l’intuition d’un monde d’animaux, on va vers l’animal.

Parfois Colette me regarde bizarrement, comme si elle ne comprenait pas ce que je dis. Elle est très humaine. Je l’admire. Il me semble qu’elle a des qualités particulières. Je crois qu’elle écrit en secret des trucs, ça doit la soulager. Elle a des qualités anciennes, qu’on ne trouve plus beaucoup de nos jours, elle est courageuse, souriante, disponible.

 

 

points d’appui

Jeudi 16 avril 2009

 

L’homme parle. C’est un fait. Il parle (la femme parle aussi bien sûr, la femme étant comprise dans l’homme du point de vue de la langue que nous partageons ici, sauf dans quelques débats de grammairiens ou de féministes ou qui on veut on s’en fout c’est pas le sujet). La femme parle. Elle parle. En somme, chacun/e parle. Ce sont des faits. Les hommes et les femmes parlent. Plus que les animaux en tout état de cause.

Si on met des Malabar™ sur les mots, ils collent et ils deviennent roses. Ce sont des faits. Au lieu de faire des phrases, peut-être qu’ils feraient des rubans mous, roses, intercollants. Et le bonheur des vendeurs de Malabar™ au passage.

L’homme/la femme prononcent des mots roses et collants, les échangent, les envoient, les adressent, les pianotent, les tapotent, caractère par caractère, les synthétisent, les additionnent, les crient, les hurlent, les pleurent, les brament, les mailent, les bloggent, les téléphonent, les via voicisent, les génèrent, en font des nuages, des nems, des particules, les associent, les dissocient, les groupent par affinités, les dégroupent, les cachent, les mettent au rebut, sur le balcon, au frais, dans des coffres, leur font prendre l’air, les livrent en catimini derrière leurs mains, les sussurent à leur amant/e, les reçoivent, ne savent pas qu’en faire, ne savent pas qu’en penser, n’en pensent rien, en pensent quelque chose, se ravisent, n’en pensent rien, si tu veux, comme tu veux, peut-être, je ne sais pas quoi te dire, qu’est-ce qui te dit que je ne comprends pas ce que tu dis, qu’est-ce qui te dit que je n’ai pas entendu, ne s’entendent pas, s’écoutent mais ne s’entendent pas.

Pendant ce temps, une femme grecque chante du Moustaki. Ce temps de pendant qu’une femme grecque est un artifice dont personne ne nous sauvera.