“C’est une maladie”, dit-elle.

 

il y eut une réponse, deux, plusieurs, plein,
comme il y avait des livres, des livres par centaines
dans des cartons,
et puis les mots n’eurent plus aucune résonance
puisqu’ils se perdirent dans la poussière des pages
tournées par des doigts avides

Un homme va sur ses trente ans, on n’en continue pas moins à le trouver jeune.
Ingeborg Bachmann, La trentième année, 1961.

j’en ai marre ! c’est pour ça qu’il y a tous ces cartons
faut que je m’en débarrasse, de tous ces livres,
c’est aussi ce que je me dis, pourquoi continuer à en acheter ?!
c’est une maladie,
mais que ces mots sont beaux !
or, dès qu’un nuage passe, ils s’ombrent de rien…

L’habitude se reconnaît dans un circuit mental rapide et paresseux.
Georges Lambrichs, Une confidence, in Pente douce, 1972.

j’en prends deux c’est déjà ça !
trois, quatre, tout ce que vous voulez,
c’est pourquoi je les mets à un euro, il faut que je m’en débarrasse
oui, mais il faut… oui, je vous ce que voulez dire, il faut…
de la place ! de la place !
il y a beaucoup de L.H., non ? oui c’était sa bibliothèque…

Bien ! Je voulais écrire mon livre et je disposai ma vie pour ce faire.
Eduard von Keyserling, Une expérience amoureuse, 3 août 1900
(Trad. de l’allemand par J. Chambon).

[réponse à la notion de contexte]

trois écrivains sur 7 étages dans un immeuble qui en compte 12,
2 habitants par étage,
au 6e, 2 écrivains, une femme, un homme
au 12e, une femme écrivain ou : une écrivaine

à son arrivée, l’écrivaine du 6e rencontre celle du 12e
au 6e, les deux écrivains du palier finissent par se parler
un jour que les voisins du 7e font du tapage,
enfin, c’est pas exactement ça :
l’homme tape sur la femme et les enfants hurlent

l’écrivaine du 6e frappe à la porte de l’écrivain de son étage
il a écrit des choses horribles sur les meurtres en direct sur internet,
nonobstant, elle frappe quand même,
il lui ouvre et vient même écouter les cris du 7e,
ils se demandent quoi faire, ils appellent le 17

l’écrivaine du 12e a une vue remarquable sur Montmartre
les deux écrivains du 6e un peu moins mais quand même,
les livres de l’écrivaine du 12e ont été publiés il y a longtemps,
ceux des écrivains du 6e bien plus récemment :
ils ont le même âge, ils sont un peu plus jeunes

quelques années plus tard, l’écrivaine du 6e a déménagé,
fatiguée par le bruit de la famille du 7e et du fait d’appeler le 17,
elle apprendra que l’homme a été sommé de quitter
le domicile conjugal, bien fait pour lui le méchant tapeur
dont la femme disait toujours “oh non c’est rien”

                                                                                                             Robert Walser, Mikrogramme, années 1920

l’écrivaine du 6e et celle du 12e se voient toujours, elles sont amies
l’écrivain du 6e est content de vivre là où il vit,
l’écrivaine du 6e est contente de vivre là où elle vit,
l’écrivaine du 12e en a marre de vivre là où elle vit,
fin.

du côté du sentiment. avec certains.

tu l’as lu ?

non je ne l’ai pas lu

les récits de l’année passée sont passés

l’année est passée

certaines choses reviennent.

tu écris souvent ?

il n’écrit plus beaucoup

il est déçu, son livre ne s’est pas vendu

on dirait du Marguerite Duras, non ?

c’est fini.

c’est désopilant

quoi ?

le marsupilami.

elle écrit comme dans les années, là

ah oui, les années, là.

il est bien, son éditeur ?

ça dépend ce qu’on entend par bien

qu’est-ce que tu voulais dire ?

avec certains : le sentiment.

je ne le vois plus depuis un moment

bah, ce sont de vieilles histoires

t’as peur de la mort, toi ?IMG_20160417_175953

il y a beaucoup de choses, je n’ai pas tout lu

j’ai lu mais ça n’avance pas, alors

j’ai feuilleté, bof

je ne suis pas rentré dedans

j’ai eu du mal à finir

il a pris un tournevis pour ça ?

ça marchait mieux avec une pince, il a pris une pince

je crois que je préfère encore ne pas y aller

finalement tu as fait quoi ?

ils s’entendent moyen

on s’en va ?

oui.

comment un libraire et de quoi

Lundi 6 avril 2009

 

Le regard que le libraire portait sur son livre d’art instruisait la cliente sur la disponibilité qu’il avait pour elle : faible sauf cas de question brûlante. Mais la cliente ne voulait pas tant savoir réellement quelque chose que feindre de poser des questions sur l’écrivain norvégien, si le libraire le connaissait, alors-même qu’il était évident, visible, manifeste, que le libraire ne s’intéressait en aucune manière aux écrivains norvégiens non plus qu’à celui-ci en particulier.

La cliente tenait ce livre entre ses mains et s’entendait poser ses propres questions, qu’elle aurait trouvées stupides pour peu qu’elles eussent été posées par un autre. C’est qu’un détail de la couverture de ce livre l’intriguait, la couleur, le nom de l’auteur, sa date de naissance peut-être. La veille ou l’avant-veille, la cliente, cette fois supposément en position de lectrice dans sa propre maison, autant dire la femme, devant l’amoncellement de livres près de son lit, un peu abandonnés à la pousssière, s’était fait la remarque qu’elle ne lisait plus, et s’était même demandé ce qu’était un livre. Mais alors que faisait-elle chez un libraire deux jours plus tard ??

La cliente, enfin la femme mûre, voire blette, s’était souvenue qu’elle avait un jour découvert un auteur norvégien au hasard, auteur qui avait ensuite eu grande fortune auprès des milieux autorisés de la lecture. Ce qu’elle faisait ce jour-là chez un libraire, nul n’aurait pu le dire, mais ce qui est sûr c’est qu’elle en ressortait avec trois livres : un roman, un essai littéraire et une étude historique. Le hasard d’un deuxième auteur norvégien ne lui était pas apparu avec une aussi grande nécessité. Elle avait reposé le petit livre à couverture jaune sur la pile des autres.

Puis le libraire lui avait communiqué un tuyau sur le tuteurage des tomates; et là son regard s’était allumé.