et un peu plus : j’ai rencontré des gens, moi, Aalus, en vadrouille aux carrefours et sans temps. au bout, ce pont que je n’emprunterai pas (futur du passé historique de la reconstitution, ce faux truc*), bien trop immense et indéfini, cisaillé de métaux rouges de dimensions grues. j’ai rencontré quatre vigiles en chemises blanches, cravatés de noirs, dont une femme, dans ce hall climatisé, au loin ponctué de fauteuils rouges. point.
un arrêt a toujours lieu sous la forme de cette sempiternelle question : où allez-vous ? moi, Aalus, en vadrouille aux carrefours, je n’ai aucune réponse. sans temps, j’avance et me fixe. je me renseigne sur la suite (dont il n’est pas sûr qu’elle se donne).
au dehors, j’ai avancé et rencontré des gens : la suite serait un tourbillon de robes courtes, de jambes, de bras.
Philippe Rahmy-Wolff 12 janvier 2017 à 23h08 Rép : je n’écris pas À : Édith Msika
Bonjour Édith,
(…) Si j’ai disparu des radars, c’est que je suis lancé sur la route, à la petite semaine, certes, mais lancé quand même façon petit Kerouac, Castaneda sans ses mensonges, Hopper sans sa Harley et hobo sans la misère. Nous roulons, Tanja et moi, passant d’un motel à l’autre, le temps d’essayer de goupiller une rencontre, de trouver une piste sur le chemin sinueux, beaucoup plus sinueux que je ne l’avais imaginé (of course !) avant notre départ, qui devait me mener sur la piste des erreurs judiciaires aux Etats-Désunis, me permettre de rencontrer une ou deux personnes, victimes d’un emprisonnement arbitraire, avant d’être libérées suite à une expertise ADN. Et là, bien évidemment, je ne trouve que portes closes, y compris du côté des associations de défense et d’aide aux victimes, et je galère, je multiplie les mails et les départs, ricochant en surface, sur la croûte de cette société prise de convulsions, en plein délire avant, pendant et surtout depuis l’élection de Trump, une société invisible, innommable, inconcevable, mais qui, en ses silences, absences, béances, révèle toujours le même fond de graisse, avec juste un peu de rose, juste un trait lumineux sous la couenne brune et brunissante, fascisante, juste un discret aveu de vulnérabilité qui me permet de poursuivre mon aventure américaine, sans me décourager face aux jours qui se terminent avant d’avoir commencé, et au monde qui se referme ou qui semble se refermer, selon qu’on se laisse aller à la facilité du pessimisme ou à celui de l’angélisme, oui, voilà l’élan, toutefois, qui me porte malgré mon corps qui accuse le coup et demande du repos, voilà ma dérive à fleur de peau, que je veux transplanter dans le langage, à défaut de trouver, pour l’instant, la moindre accroche sur la terre ferme. J’ai suivi le discours d’adieu d’Obama depuis ma chambre de motel à Florida City, sur la route poussiéreuse et trouée qui mène vers les grands ponts, vers les Keys, des ponts que je me refuse à franchir tant ils promettent l’aventure facile, un semblant d’envol, un bond de sauterelle hors du monde, vers la patrie bleue des merlins, thons et des gros écrivains à barbe blanche. Je me refuse à quitter le plancher des vaches, nombreuses dans ce coin de pays, maigres et hallucinées sous le soleil vertical, ramassis de peau et d’ombre avec des os qui pointent, formes improbables, fantômes matériels, comme de grandes chaises de camping plantées en plein champ. Je me refuse à me décoller de cette mélasse engluant toute direction et tous mes projets de reportage, de découverte, d’écriture, pour n’offrir que l’inconfort standardisé de motels merveilleux par la force des choses, qui rend belle toute proposition de la réalité sous cette lumière sans fond, surtout le soir, quand les néons se mêlent à la fatigue oculaire du voyageur, avachi sur sa banquette en skaï, les doigts soudés au volant, pour produire l’impression de l’éternité. Je ne sais pas comment vous raconter ces choses. Je ne sais pas, vous les écrivant, pourquoi elles m’absorbent avec une telle facilité, et par quel banal prodige cette addition de rien produit une forme désirable qui me relance vers demain. Et puis, je ne trouve pas la suture, au bout de cette phrase qui mime l’errance, la manière de vous exprimer mon sentiment de culpabilité, car c’est de cela qu’il s’agit, culpabilité de ne pas avoir traduit dans les faits mon désir de parler de L’enfant fini sur remue.net, comme je vous l’avais promis lors de notre belle soirée à Paris, alors que tout était si clair et net, que les mots étaient là, disponibles, désireux de s’aligner sur l’écran comme ils s’alignaient devant mes yeux. Les jours, les semaines et les mois ont passé, j’ai pris l’avion, l’année a pris fin, je reviens à vous les mains vides.
Cela ne sera pas toujours le cas, je suis désolé de vous avoir fait faux-bond, je ne dis plus rien. Il faut des actes. Je ferai. Je vous le dois, je le dois à votre texte et, surtout, je le souhaite du fond du cœur, de mon cœur solide, mais chien fou qui tient si mal sa piste.
Pardon pour cette douleur. Je vous embrasse, à bientôt, oui, À vous, toujours, Philippe
il suffit d’enlever le son et voir les rides d’une femme le visage nu d’une femme ses doigts triturant un bout de quelque chose ses mains frottant son visage le défroissant il suffit d’enlever le son et voir le regard d’un homme derrière ses lunettes le visage nu d’un homme soudainement éclairé
la finitude fait qu’on devient flemmard la finitude me rend flemmarde et je repense à quand j’étais enfant qu’il m’était insupportable de traverser le renoncement
je suis dans le beige rosé jaune je le suis, verts carreaux bleus, onomatopées d’alignements bleus je le suis, beige rosé carré, jaune devient jaune devient lumière et rose rouge noyau rideau, je le suis, ce rosé beige et tête penchée, j’écoute beige et jaune
juillet, octobre et les mois les mois l’émoi mais peu les mois un deux trois quatre cinq six sans suite deux saisons et puis s’en va trois saisons pour le prix de deux quatre saisons retour chariot
il est faux de dire quoi que ce soit quoi que ce soit est faux il est faux de dire comme il est vrai de dire le bancal nous sauvera tous le bancal, le chacal, le cheval
un deux trois les voix quatre cinq six la peau sept huit neuf prise de terre ! électricité ! électrique ! pavillon des champs ! pavillon morne ! la plaine au fond, et drus les blés ! immense foutaise des maisons calmes
le corps et le hors corps hors de soi inexplicable tout inexplicable sort de soi monte monte et pète le plafond pauvre explication, minable exégèse
elle demande tu écris toujours ? oui et non tu dis cancer preskun concert c’est fait exprès c’est faux de dire c’est vrai c’est vrai de dire c’est faux
La veille au soir, la patiente avait assisté à une étrange cérémonie : ils étaient quatre autour d’une table en demi-lune, dont la section droite était occupée par une femme habillée de blanc, aux cheveux très noirs, mi-longs avec des échappées d’épis drus. Les trois autres étaient disposés autour de la courbe de la table. Ceci ressemblait à une conférence de presse, mais sans micro directionnel très fin, et il n’y avait pas de presse.
La femme maigre en blanc et cheveux noirs avait alors affirmé d’un ton grave – avec exactement la voix de Brigitte Fontaine version 1973 – :
Il y a des thit (prononcé zit) et des that
autrement dit il y a des choses, celles-ci, et des choses, celles-là.
Cela avait semblé très éclairant sur la marche du monde, c’était d’une importance CAPITALE qu’à ce moment, les participants fussent informés de la bipolarité phénoménologique de l’univers.
Ils s’étaient regardés autour de la table en demi-lune, la patiente et les deux autres de sexe masculin apparent sous leurs caractères sexuels secondaires (pilosité et autres épaules carrées). Ils n’auraient su dire s’il était urgent de saisir la teneur des propos du clone vocal de Brigitte F. dans ses plus petites nuances, mais il leur apparaissait en effet qu’à l’orée d’un risque majeur d’indifférenciation de l’espèce humaine, il fallait tenter le tout pour le tout.
Et considérer qu’il y avait bien des thit et des that.