une question d’heure + la pluie

À chaque fois il était une heure de plus.
Elle dormait. Une heure de plus. Et se rendormait.

Ils avaient fait cheese à sa demande et la photo avait été réussie.
Quatre dont trois femmes sur une petite place, la pluie les mouillant un peu.
Ils ne parlaient pas français.
Elle avait occupé une place au bord de la façade, imaginant éviter la pluie.
Et mangé deux entrées chaudes, alternativement, avant qu’elles refroidissent.

La légère pluie n’était pas suffisante, chacun lui résistait avec grâce.
Leurs sourires après la photo, puis redevenus des inconnus.
Elle avait quitté la petite place et dormi dans sa voiture.

C’est longtemps après, une fois la tempête essuyée au volant,
qu’il était une heure de plus à chaque fois.
Et qu’elle se rendormait.

(la page est blanche, éclipse de page)

posés au pinceau — — — — en montagnes légères

au bord leurs brumes superposées

noircissant leurs contours ———— appuyés au doigt

la flèche des urgences pointe les idiomes cachés

au creux des paysages se dérobe la grammaire

de l’infini défaisant les épatantes visées

— — — — en accéléré

surgirait la perte infinie de ce qu’il reste encore à dire

le steak haché est décongelé

je remets le micro-ondes sur jet 900 pour la prochaine fois
sinon ça ne marchera pas pour réchauffer

un avocat sur la table présente une traînée verte dans le brun
en fond, un peu de piano dont j’ai baissé le son pour téléphoner
ou pour sembler téléphoner, ou pour envoyer un sms
que finalement je n’ai pas envoyé : je me suis ravisée

ravisée : le nombre de fois où je me ravise, je fais puis ne fais pas
le son de la radio reste baissé, le piano ralentit, encore un peu

ma voisine veut apprendre à jouer du piano, voudrait en acheter un,
électronique, le mien ne sert pas, il sert à ce que je le regarde,
alors que les fonctions du micro-ondes, je les utilise
sans me raviser, je tourne les boutons, c’est tout

pour écrire, je ne décongèle rien ni utilise la fonction jet 900
je n’écris pas un steak haché congelé, encore que je pourrais

Pierre Soulages, peinture 162-114 cm, 27 août 1958 (détail)

(comment) j’ai oublié d’écrire

j’ai eu de nombreuses idées : je les ai oubliées
je conduisais, pas très vite : mes idées s’enfuyaient par la vitre ouverte
mon être ne s’est pas réveillé suffisamment tôt : ses idées ont stagné
la vérité : je n’ai pas assez étudié, et elle, je l’ai trop négligée
il y eut des manques, mais aussi des excès : aucune règle n’est absolue
je manquais d’adjectifs : ma pauvreté se voyait trop
le livre est resté au fond du panier : je ne pouvais plus le lire
au lieu de lire, je scrutais l’horizon : la mer avançait
lorsque la mer est arrivée c’était : presque un train

les émissions boursières ont cessé vers les années ** : les indices se sont surpassés
les permissions de tuer devenues plus accessibles : plus besoin d’agrément
les organes de la sécurité intérieure dispensent des conseils corrects : s’y tenir
malgré l’urgence de la situation, la stagnation reste intéressante : dixit Oblomov
une certaine linéarité a été conservée : les idées dépendent-elles de la morale ?
et les courbes brisées ? : c’est structurel, dès lors qu’un point est atteint

les idées se sont évanouies : en faisant pfuit, ce genre de son

les indices ont baissé : la croyance a alors crû

ce sont vos idées, elles ne sont pas articulées : les religions et les récits sont là pour ça

méthode : lecture de tomates

hier j’ai vu des tomates dans un jardin
des tomates grosses et rouges, d’autres vertes
je manquais de tomates, je voulais quelques tomates.
la dame dans le jardin du bord du pont en réparation,
la dame habite là, le monsieur aussi,
il sortait de sa maison, gros, un gros monsieur,
mais pas plus gros que n’importe quel gros monsieur comme il y en a plein,
la dame je ne l’ai pas vue je l’ai entendue, derrière le buisson de tomates derrière le grillage qui les protégeait.
j’ai fait quelques pas, je suis revenue, repartie,
l’ombre difficile à trouver me faisait hésiter, je ne pouvais pas demander à la dame les tomates : elle restait cachée,
et le gros monsieur qui sortait là-bas de la maison était trop loin
j’ai encore regardé le pont en chantier, un très grand pont particulier comme il n’en existe plus, un monument à regarder
et puis je suis repartie, cette fois pour de bon, sans tomates.

dans ma tête, il y avait à la fois des tomates et de la confusion de pont,
je ne voulais ni pont rouge ni pont vert : le pont était recouvert d’un linge blanc brillant
je devais chercher l’ombre, je constatais que rien ne remplace l’ombre.
ce constat, je l’ai ensuite réitéré plus loin,
j’ai traversé un paysage très plat, jaune sec, sans ombre.

les tomates n’étaient pas obligatoires, mais ç’aurait été mieux,
ç’aurait été mieux que j’aie quelques tomates,
si je n’en avais pas ce n’était pas grave, oui mais,
certaines sont vertes, elles sont peut-être dures
je suis repartie avec l’idée que peut-être ces tomates n’étaient pas bonnes,
alors que je pensais aussi le contraire.

marbre le lisse

il n’y a pas de sortes de choses
oiseaux, voix, piano
marbre le lisse
heure de rien

au matin sans petit matin
après les rêves
la tête de cette enfant noire prise dans des électrodes
ses parents blancs titubant d’alcool et de drogues

marbre le lisse
s’ajouteront des noms gravés
tu veux jouer du piano ? oui
le jour a fini, le jour s’est levé

                                        André Derain, Jeune femme pelant une pomme, 1938-1939

et descendues comme gammes
les noires et les blanches
fontaine actionnée
démarrage des mécaniques

cloches encore
sons d’airain
glisseront leurs verbigérations
marbre le lisse