le climat est-il un enfant à surveiller ?

ce que je vois. les petites choses. les objets foutus. les pas de travers. l’impossibilité d’avancer.
le climat est-il un enfant à surveiller ? d’ici quinze ans la fin du monde : deviendra un adolescent tumultueux, fatigant, qui va nous donner un coup d’tatane dans l’derche.
un peu de sérieux sous la métaphore, un peu d’eau dans notre jardin, pas une tornade, pas un cyclone, pas un Ernesto – ni un Nestor l’année prochaine -.
on a les yeux écarquillés, on glose les uns en face des autres, on brasse l’hypothèse ; on se défait du sens, on le pose là, sur le perroquet dans l’entrée, on prend un verre. installez-vous. détendez-vous. on va discuter.
dehors il a plu, neigé, tempêté, cycloné. il a déraciné. il a horrifié. on lui dit d’se taire, il répond. il fait des vagues, hautes comme des immeubles. il balaie, il submerge, il nous emmerde.
on a les solutions pour que ça se calme, mais faut les mettre en oeuvre. les bras se tordent d’impuissance muette.
combien de centrales à charbon ? les énergies fossiles obnubilent. combien de réserves ? qui creuse ? combien ça coûte ? combien ça rapporte ? et les vaches aussi, qui pètent.
comment en sortir ? d’où sortir ? Melissa va débouler. Lorenzo aussi. Et Pablo, et Tanya.
ils sont toute une bande, ils ciblent les zones côtières, ils se castagnent avec les nuages et les monts coiffés. ils fondent sur les minorités inadaptées, les balayent, les lamentent, les enterrent.

ce que je vois. les petites choses. les objets foutus. les pas de travers. l’impossibilité d’avancer.
on est déréglé. on est obligé de s’occuper de choses inintéressantes : le destin du plastique, le c’est politique.
les boss déjeunent au sommet. nous déjeunons. nous ne sommes plus jeunes. nous décrépitons. il y a aussi les jeunes. ça cuit tout doux, le sens se délite dans la marmite.
que font les enfants ? que leur laisse-t-on ? cessons de manger des pieuvres, des reines-claudes, des brioches, de la bidoche : une mine de bonnes idées se culbutent au sommet, dans les alambics des banques. combien ça coûte. combien ça rapporte.
tant qu’il y a de l’oxygène il n’y a pas de gêne. il y a des choses à changer dans le changement.
le dérèglement peut être d’origine naturelle ou d’origine humaine. s’il est d’origine naturelle, c’est pas un dérèglement. s’il est d’origine humaine, c’est pas un dérèglement.
le climat se négocie à la table des négociations : un peu d’air, moins d’Alberto. entre deux civets de chevreuil.
le climat est-il un enfant à surveiller ?

certains sont aimables et le restent

dans la politique précise, les humains sont confinés
au début ils sont seuls, ils se relèvent la nuit sans marcher
ils rampent au-dehors dans la nuit noire et sans pissenlits
ils lèvent les sourcils mais n’ont pas d’yeux

il lui avait
il n’y a rien
avec trois
parce que
ressemble
veut pas
et à ses
tout aurait
ordre.

Mais oui
l’existence
à la fonte
Ah mais
Et puis vous
mort saisit
et des pots
Et si elle
chat n’est
Rien ne
vous n’êtes

il lui avait demandé, elle aussi avait demandé
ils questionnaient, ils écoutaient la réponse
puis ils se sont mis debout et ont ouvert les yeux
après la nuit est venu le jour : ils marchent encore, ensemble

d’un béton interrompu

ils se sont éloignés leurs sacs au bout des mains
dans la poussière soulevée par une berline passant à vive allure

ils attendaient comme nous attendions dans le vent
sur le chemin au poteau oscillant nous attendions et regardions

ils ont eu l’autorisation de monter dans le pousse-pousse
le chauffeur est descendu ils ont fait des selfies ils riaient

personne n’attendait plus rien ils riaient dans la poussière
le chauffeur se reposait légèrement étonné les regardait

leurs sacs emplis d’achats sur la plus belle avenue du monde
ils faisaient des selfies en prenant des poses au volant

il n’avait pas plu depuis des jours et le chemin poussiéreux
imitait leur désert ils étaient des enfants le père la mère la fille

du bout du monde ils venaient sur la plus belle avenue du monde
acheter des objets et faire des selfies dans un pousse-pousse

maintenant que tout est effacé

utiliser la règle induite par la chronologie
transvaser le solide dans le liquide
éprouver les mélanges pâteux
reboucher les trous dans les murs
laisser des traces en constellations

il y avait un exemple – à la place de rien, un exemple –
mais il ne sert à rien : on le visualise trop
et il devient le quelque chose
complaisamment mis à la place de rien
il devient trop visible, il est en face,
posté et sûr de son bon droit d’exemple
et soudain il prend toute la place, il efface tout

maintenant que tout est effacé il n’y a plus rien à voir
rien à voir, aucun exemple visible, rien à quoi se raccrocher

(ils se prennent si souvent pour des torchons
à être à leur place sur des murs constellés d’anciennes traces,
oscillant avec ce léger vent venu de la nécessité du jour)

petite maison de cinéma

c’était le cinéma,
canapé Chesterfield cuir vert bouteille antichambre boudoir tendu de soie jaune,
c’était le cinéma comme le cinéma, mais un autre,
ce n’était plus le même cinéma
obscurément la réalité l’avait remplacé
la réalité avait déjà remplacé le cinéma :
c’est une question de point de vue
mais le cinéma restait à ce moment-là dépositaire de lui-même :
cinéma en tant que cinéma, et puis plus jamais

sans que la frontière ait été énoncée,
à un moment : plus de cinéma, ou un autre cinéma, ou on ne sait pas
et à ce moment-là, on peut dire : c’était le cinéma,
confortablement étonné dans le canapé Chesterfield cuir vert bouteille de l’antichambre boudoir tendu de soie jaune

                                                                                         Gordon Matta-Clark, Day’s End, Pier 52, 1975 (détail)

cachettes et autres stylistiques pressées

et alors que je me dis : faut que je fasse un peu d’écriture à la main, je me dirige inévitablement vers l’ordi, je ne dis plus jamais l’ordi, qu’est-ce que je dis ? me souviens pas, je me dirige vers le truc et je tape sur le clavier
alors que je me dis faut que je trace à la main, comme hier ou avant-hier quand j’ai tracé et que je trace et que je tracerai, c’est pas le moment, c’est pas comme ça que ça se passe, le cahier est recouvert d’un chapeau (?), il n’est peut-être pas assez visible, toujours est-il que je viens taper ici

alors que je me dis / mais je ne me dis plus rien, qu’est-ce que je me dis ? qu’est-ce que je dis pour désigner ce sur quoi je tape ? je ne me souviens pas

pourquoi un mot est caché derrière un autre : ainsi Delaunay cachant de Staël
depuis plusieurs années c’est la même histoire, je pense à Nicolas de Staël et son nom est caché derrière Delaunay, c’est Delaunay qui vient, et je sais que ce n’est pas celui auquel je pense, et j’éprouve de grandes difficultés à retrouver de Staël
peut-être qu’en l’écrivant son nom cessera d’être caché derrière un autre ?

j’ai été écouter Kluge : beaucoup de savoir, d’écho, de rebondissements, oui mais quoi en particulier ? je ne sais pas
Kluge est né en 1932, ceci n’explique pas cela, mais se cacher oui, dans les caves pour échapper aux bombes lâchées par l’aviation ennemie

ou partir sur les routes pour échapper aux tirs ennemis : l’exode en 40

bien sûr, Le nom sur le bout de la langue, Quignard, m’effleure
– et une voix me souffle : mais ne devrait pas –

[une sorte de journal écrit ailleurs que dans le journal, ailleurs que dans tous les journaux en cours dans les cahiers et dans le truc sur lequel je tape]