“le trouble envahit le monde”

vivre longtemps sans bouger sans projets
vivre comme ceci est vivre

sans savoir le lendemain est vivre
rien ne se sait jamais

se déprendre du statut de dominant s’apprend,
disent-ils

depuis longtemps vivre sans lendemain

apprendre à ne plus tout contrôler,
disent-ils

démunis, dépouillés, se dit Habenichtse
se dit j’ai, il a, elle a, le néant

âme élastique, âme tribulée,
riche du néant vivre tous les lendemains

Guillaume Le Pape, compagnie Hippocampe, septembre 2020

 

peindre la faiblesse

moment rouge
moment où je tâtonne
moment rouge en haut
moment rouge en bas
équilibration des moments rouges

rouge terreur
rouge coquelicot
rouge aux joues
rouge sang

moments rouges drapeau
rouge dans le vent
rouge sinuant
rouge traces d’avant
rouge écoulant le temps

moment rouge lent

 

et tout effacer.

à partir d’un paysage
partir dans un paysage
processus de la mémoire

leurs dessins tracés
cette musique rythmée, appuyée
de paysages très loin

paysage : éléments trouvés
dans les pages des années
ne rien dire des paysages, chut

et j’oublie les paysages que j’aurais voulu voir de ma fenêtre,
immédiatement, la beauté qui n’est pas ici

hier, superbes paysages en repartant de Sils Maria vers le lac de Constance,
et je ne suis pas sûre d’en trouver de tels par la suite

ce genre d’ambiance estivale, les forêts, les paysages, la moyenne-montagne…

très beau paysage, mais certainement pas le genre d’endroit
où j’aurais aimé m’exiler pour l’été

ne plus voir de mots se superposer au paysage, ou très peu

la plaine sur le plateau, téléphoner avec C., parler de F.
dans ce paysage vidé mais plein (de ciel, de conversation)

processus de la mémoire
de paysages traversés
la présence incertaine

et tout effacer.

 

 

de nombreux bains eurent lieu

un bain puis un autre puis encore un autre
et de nombreux bains avec des jambes au bord de l’eau
des jambes traînant dans l’eau, des jambes flirtant avec l’eau
des jambes dévêtues, des jambes nues,
des morceaux de jambes, les assis secouant leurs
morceaux de jambes avant de prendre ou de ne pas prendre
un bain

de nombreux bains eurent lieu, un bain puis un autre,
sous le ciel, au bord de l’eau, de la terre et de la pierre,
et ces jambes remuant dans l’eau, ces morceaux de jambes
des assis

les assis au bord de l’eau remuent leurs jambes à partir des genoux,
leurs jambes remuent dans le même sens, et parfois les cheveux
avec les jambes remuent dans des sens opposés

il y eut de nombreux bains, l’été, au bord des retenues d’eau
des marches en pierre, des accès dans des mélèzes
et à terre des pignes tombées, et des odeurs de pins
et des chiens errant dans les odeurs,
des chiens sachant plus que d’autres les odeurs
grâce à leur truffe et pissant contre certains arbres
soigneusement choisis

les bains au bord de l’eau, les demi-jambes
à partir des genoux dans un seul sens, les mélèzes
un peu malades, les chiens pistant les odeurs

et enfin les rires très forts des cheveux dans l’autre sens
grâce aux bains qui eurent lieu, et encore, sans jamais
s’arrêter.

vie des petits animaux grillés

une mouche crame sur la lampe et ça sent
ça sent la mouche grillée

poème plat
vie des mots, vie des petits animaux grillés

je suis dans l’autre sens des mots, je fais le tour de la maison
pour faire des images du ciel la nuit

la nuit est claire, ce ne sont plus des mots, c’est la nuit
– claire –
et la lune, que je vois si je la regarde, entourée de nuages nonchalants

ce sont des mots, ce sont les mots qui ne sont pas tous dans la nuit
nonchalants n’est pas dans la nuit, nuages figure dans la nuit
claire est-elle ? ô nuit

mes mots ne sont pas dans mes pieds
quand je fais le tour de la maison
mon corps abstrait, il n’y a plus personne
que les nuages, la clarté, une ou deux étoiles
– que je vois si je les regarde –

de là-bas viennent des musiques, de la nuit sans mots
sur mes pieds nus

je fais des images
le jour la nuit avec mes pieds

je fais des images, les mots se sont absentés

relire et adapter aux circonstances

comme lire est évidemment lié à relire
les circonstances se sont plouf
relire et adapter aux circonstances : plouf

relire comme retrouver

laisser le temps faire

le paysage, aujourd’hui lointain,
se confine dans un jardin

laisser le temps faire

relire un seul livre, un seul,
y repérer les coquilles
les pieds en l’air au soleil

un avion fait le bruit d’un avion
un petit avion de complaisance
un petit plaisir de vol
comme le cataclop du cheval
remonte la grand’rue

mais rien n’a existé
l’enfance est loin
elle fut racontée
semant quelques souvenirs
de langue verte et bleue
de soleil et de vent

comme une fourmi passante
préoccupée de la suite
sans raison, rapide.