regarder l’horizon [prescription]

l’horizon modifié
l’horizon courbe
l’horizon traître

le statut de l’image : elle explique
l’image qui reste, qu’elle laisse reposer

l’image se repose dans l’horizon de ses yeux

il faut savoir ce qu’il faut comprendre : souvent rien

deux horizons n’existent pas
il n’y en a qu’un
et pourtant il n’est pas un : il est l’horizon

regarder l’horizon : prescription
pour le repos de ses yeux

l’image qu’elle a fabriquée de l’horizon
stagne dans des dimensions restreintes

l’horizon n’attend rien :
l’horizon et le familier
(mais pour ne pas statuer, pour ne pas dire :
le proche et le lointain, pour ne pas s’asseoir
—> rester debout dans la parenthèse)

familièrement l’horizon ! à lui faire des nattes
pour le rapprocher, le tenir, le coiffer
dans l’indolence se tenir assis, & le coiffer

l’image reste dans le repos de ses yeux
à l’horizon, séparé d’elle

situations, monuments & personnages

pas la facilité des camarades,
universelle petite fille,
pas la facilité des jours

à propos de la mort, conversation
très douce, microfibre & même mieux
pour poussière accumulée +++

situation 3 : fleurs organisées,
par couleurs nuancées, sur fond de
blonde architecture en vache gardienne

situation stable, scène de crime figée,
amples mouvements tectoniques,
rien ne se voit ou tout catastrophe

rouge & ses dégradés, fleurs, crimes
violon répétitif, minimaliste, voix
explosions en sourdine, choeurs

pas la facilité des jours : rejet
gestes manqués, jurons, dérobade
pas la facilité des camarades

………………………………………………………

bref état des jours : instant t
avec leurs (petits) ramiers perchés
et le glouglou des sources (innées)

ingestion des ordonnances
piqué des ordonnés
sauvegarde système.

Hippodrome d’Auteuil, Entrée, 2020

mise en abyme [de vieux]

se tiennent tous trois dans la lumière grise reflétée par l’eau
– de l’autre côté de la rive, une récente élue,
attroupement, caméras, discours –
leurs regards reviennent à leurs livres

elle raconte le contexte de sa trouvaille
– un livre inconnu soudain lui fait signe
dans un rayon de sa bibliothèque –
le plus vieux des deux hommes enchaîne
il y avait un Balzac mais j’en ai déjà quinze !
alors j’ai pris Aurélien, c’est son prénom
ajoute-t-il en se tournant vers l’autre en souriant,
jamais lu, souligne-t-elle
tandis qu’il manipule le volume, sa tranche orange
à l’épaisseur briochée de gros poche

on ne lit plus d’aussi gros, si ?
on n’y arrive plus, on est émietté, dispersé
on regarde dix trucs en même temps !
on a eu le temps, oh, trop de temps,
trop de temps devant les écrans, confinés
quoique, dit le plus jeune : des films, le replay,
ah le replay ! reprend le plus vieux,
et des concerts ! s’émerveille-t-elle

je préfère en chair, dit le plus vieux, sentencieux,
comme là le fait de se rencontrer sans se connaître…
mais le public ! vieux ! tous ces vieux, au théâtre aussi,
je ne peux pas les supporter ! se désespère-t-elle

c’est une mise en abyme, sourit finement le plus vieux.

perles d’ignorance

seule en suspens me saisit
la première note de piano

l’odeur de l’andouille de campagne
me saisit à l’ouverture du frigo

je vois les cerises dans le grès
la laitance de béton dure tant d’années

lorsque je pose un pied sur ce sol
et que la question me saisit

 

 

 

 

:: protectorat de la langue ::

moi aussi j’attends qu’elle me livre son texte ;
elle doit me présenter :

Gjon Mili, Femme debout, réalisée au crayon lumineux par Pablo Picasso à la Galloise, Vallauris, en août 1949

protectorat de la langue
il y est question de poids des mots, de mots recherchés
(elle explique de manière fastidieuse qu’il ne s’agit pas
de la recherche des mots, qu’elle n’a pas de problème
avec une quelconque recherche de mots,
il y en a suffisamment à disposition, non, il s’agit d’autre chose)

et

longer un mur (ce point me paraît plus obscur)
elle longe le bord de mer, mais aussi une bibliothèque ;
un mur, c’est moins sûr, mais elle tient
à cette action de longer (quelque chose de solide,
de plus solide que la mer ou qu’une bibliothèque ?)

………………

le protectorat de la langue prend appui sur
ce que pèseraient des mots non pesants :
des mots avec poids mais pas lourds

qui seraient recherchés
sans avoir à les rechercher

d’un côté, le mur : mais il n’y a qu’un côté,
il n’y a pas de balancement dialectique

elle n’est pas entre deux formes, entre deux objets

elle n’est pas en retard à proprement parler

si elle est en avance, elle doit reculer

le film est passé à l’envers : on la voit reculer 
le long de la bibliothèque, de la mer, du mur

sa sihouette s’estompe sans qu’on sache
si elle est au loin : les couleurs et les formes pèsent
autrement qu’en une aquarelle (en mots)

………………

elle a attendu douze jours puis m’a livré son texte,
il n’est jamais revenu.

urgence du dépassement [tac-tac]

dans de mauvaises directions regarder ;
il y aurait suffisance et l’étalement du regard
insuffisant à en embrasser l’étendue :
la mer lorsqu’elle est là, la mer et son bord

n’est jamais là, pourtant se précisent
formes et couleurs, même si
rien ne fatigue plus, dans un intérieur,
qu’une vue panoramique*

la proposition infinitive “regarder le ciel”
vient fréquemment
interrompre sa jumelle “regarder la mer”
regards se coagulant à l’horizon

de difficiles plaisirs déréglés
laisser filer la série froide
& deviner prudemment l’issue rétractile
sous le dessin d’isthmes subtils.

* Formes et Couleurs, N°4 (La demeure), Auguste Perret et la demeure, p. 17, 1944