à sortir de l’herbe et de ses courants

le vide est arrivé, vite arrivé il était déjà là
retrouvé sans faillir, et ses frivoles insectes
au bruit dont les sens repèrent l’ineffable
répétition à croire l’été, du vide séparés
sans aucun jamais, sans aucune obscurité

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alors que dans les courants d’herbe
bruissent cinglantes des cigales soucieuses,
l’ineffable vide répété, ce vide soucieux
pleutrement réparé organise l’idée
que les corps épuisés épousent l’été (…)

pour que je te voie, le mot

ils viennent pour qu’il y en ait un et un seul –
rudes et se bousculent, depuis le port vétuste

leur ennui brouillon viennent étouffer –
se séparent au seuil des maisons colorées

Robert Berény , 1928


une volute occupe seule l’espace là-bas

sinon une canne et un chapeau : un homme marche

 

il n’est de forme que haute : son haut-de-forme
et ces rues pentues que l’ombre découpe, brute


©Robert Bereny, 1928

 

ils viennent, encore, pour qu’il n’y en ait qu’un,
drus serrés comme semés avec irraison

des engins de levage aux pattes fines, bleus,
jaunes ensemble, pour que je te voie, le mot

scotomes scintillants

Vendredi 26 juin 2009

 

Je n’avais qu’à pas déjeuner, ou pas là, ou pas à ce moment, ou pas avec cette femme, ou pas sous cet angle, ou pas japonais, ou pas après avoir autant jeûné.

Soudain, son visage s’est comme replié d’une moitié sur l’autre. J’ai tenté de la regarder latéralement.
Nous avons échangé nos places. C’est alors que la salle entière s’est repliée par sa moitié de l’une sur l’autre, comme un panoramique désajusté.
J’ai repris ma place. Je tentai de la regarder, en tournant la tête, pour arrêter cette érosion du faciès. Je le voyais cubiste, les yeux très près l’un de l’autre, le nez et la bouche désaxés.
La conversation s’est décentrée. Impossible de maintenir ma concentration.

Puis la focale s’est refaite sur son visage, subitement redevenu net.

Et c’est à ce moment que les scotomes scintillants ont commencé à danser de part et d’autre de son visage. C’est rapidement devenu infernal. J’avais quitté la vision en kaleidoscope pour entrer dans une autre vision, encore plus inquiétante, instable aux bordures, trop brillante.

À la première bouchée de sashimi, tout est rentré dans l’ordre. Elle me dit : tu avais peut-être besoin de manger. Ici, le service est très lent.

:-: redevenir revenir :-:

le chien a été au musée

et pendant ce temps

langue pendante

Tchécoslovaquie envahiecapture végétale

par ce violoncelle

et des fumées sombres

des traces diffusées

le chien est au musée

dans le tiroir des chaussettes choisir

elle trie les chaussettes, les noires, les beiges, les vertes,
les orange, les imprimées fleurettes,
elle les place, les replace,
elle prend et repose,
elle se dit des choses,
rien n’est arrêté tout est possible
elle défait une paire, regarde une couture
………………………………………………………………………
elle finit par parler : les chaussettes ne répondent pas,
elle regarde des petites fines qui glissent sur le talon
elle aperçoit les rouge au fond,
les grises sont déjà vieilles,
d’autres à jeter qu’elle ne jette jamais,
elle voit les chinoises chinées : idéogramme chaussette
la folie la guette, les chaussettes se taisent
………………………………………………………………………
elle manipule dans le tiroir,
la folie la guette, les chaussettes se taisent,
elle choisit des chaussettes, idéogramme chaussette
elle se dit des choses,
elle prend et repose,
rien n’est arrêté tout est possible,
les chaussettes ne répondent pas.IMG_20160513_212836

et la rue s’est vidée : dans ce vide, M. passe

[reprise couturée de Rue, un texte, sans photo]

Dans une province villageoise, non loin de la mer. Un bras de mer arrive dans le village, qui suffit à la distraction coutumière des villageois. La mer dans laquelle on se roule n’est pas de mise ; c’est un village de travailleurs. On se lève le samedi matin pour faire ses civilités au marché. Et le dimanche, on chasse de très bonne heure, dans les brumes humides quand la campagne sent l’humus.

M. ne travaille pas ; elle est amoureuse de l’homme. Assis à son bureau, avec des lunettes à monture épaisse, écaille, l’homme la regarde. L’homme travaille. M. pose son pull sur le dos d’une chaise et ne sait quelle contenance se donner. L’homme corrige des copies tandis que le feu crépite dans la cheminée. Il lève le nez de ses copies et la regarde fixement. Ses yeux sont bleus, c’est une fente de bleu. M. parle, parle.
Après avoir déposé son pull, elle parle, elle est allée au marché, elle y a trouvé des bottes, regarde mes bottes elle s’extasie. Les bottes sont couleur caramel en skaï avec des talons carrés et hauts. Elle ne fait rien, elle s’ennuie, elle achète des bottes, elle achète en skaï et tente de faire croire, avec l’intonation idoine, que c’est comme si c’était du cuir, ça n’en est pas mais presque, c’en est à force de n’en n’être pas.
Elle-même, elle ne sait pas si elle est en cuir ou en skaï.

M. a marché dans le village pour essayer ses bottes. Le nez dessus, elle a regardé son reflet dans chaque vitrine. Elle ne se lasse pas de contempler ses bottes dans les vitrines éteintes. Le reflet est bien meilleur quand les lumières sont éteintes. C’est l’heure de la sieste, les magasins sont éteints. M.  croit que c’est l’heure de la sieste, mais c’est l’heure du travail, toute la journée c’est le travail. Elle erre dans le village, elle décide de trajectoires compliquées, il s’agit de ne pas se faire voir plusieurs fois des mêmes personnes. Et prépare des raisonnements pour si on l’interroge. Elle lève le menton, ferme sa bouche, se rend dure, marche fermement avec ses bottes qui la rassurent. Elle prend des angles droits après des façades aveugles et grises, s’approche de l’établissement où enseigne l’homme qu’elle aime, puis s’en éloigne. L’homme fait étudier des poèmes qu’elle a écrit, plus jeune, à des élèves qui ont son âge.

M. fume énormément, puis jette ses clopes dans la cheminée. Elle voudrait garder l’homme pour elle toute seule. Tous les hommes, M. veut les garder pour elle, pour les observer, savoir ce qu’ils ont dans le crâne, percer leurs cerveaux. Parfois le matin, la voiture ne démarre pas dans le froid humide. M. dit à l’homme viens te recoucher, n’y va pas, c’est trop tard, mets-toi en maladie. Viens me rejoindre dans le lit. L’homme essaie de démarrer le moteur, il veut y aller, c’est important, il doit rendre des copies, faire un cours. M. a voulu l’homme, terriblement, il l’a d’abord trouvée pressée, alors elle l’a rendu jaloux avec d’autres pour qu’il s’attache, et maintenant, dans ce désert provincial, elle se rend compte que même une colonie d’hommes à observer ne suffirait pas.