snow pillow shadow

le beau est un moment
mais le beau n’est pas intéressant

pas tout le temps le beau
le beau lève le beau soulève le beau élève

le beau c’est si haut que jamais
l’échelle ne l’atteint

le beau remplit le thorax
parce qu’il est respiration amplifiante

creuse dans le noir le beau surgit
craque l’étincelle des courbures suaves

snow pillow shadow
mon esprit est en morceaux

petit poème du brocoli [dit ppb]

j’vais tricoter un brocoli
j’vais l’bricoler l’tripoter
un brocoli frisé tout vert

j’vais l’plonger dans l’eau
j’vais l’voir verdir et verdir
pis j’vais l’bouffer

si bricolé l’brocoli
tout arrangé assaisonné
tout croquant l’brocoli

le brocoli et l’travail (et v’là l’travail)
j’me dépêche de faire le brocoli
c’est la chose la plus importante

tout remettre à zéro
c’est l’affaire du brocoli
le brocoli c’est mon frère

en tempura l’brocoli
et j’pense à Barthes comme
je n’y avais plus pensé d’puis longtemps

j’pense que mes pensées
n’sont pas arrêtées par quiconque
seule avec le brocoli

que personne ne vient m’interrompre
d’un à quoi tu penses
puisque l’brocoli est tout vert

[Paris-Madrid et autres cuissons]

comment revenu le sérieux

juste un mot c’est le mot pas celui-ci
lequel est le juste

j’ai un doute
concernant les mots

sous la couverture du sérieux
qui n’est plus

s’épanouissent futilités
s’évanouissent pensées

du sérieux disparu la tectonique
des plaques à côté

comme le geste du dj
bégaierait encore sur sa platine

les mots volent en meute molle
lesquels seraient les justes

sucrerie pianistique & halieutique

La java se danse avec des petits pas à trois temps,
non pas tournés comme dans la valse, mais dandinés.

1. agitations matinales, fonction journal


sam. 8 févr. à 10:33, fonction recherche, 
fonction que puis-je faire pour vous ?
température maximale, température minimale
belles éclaircies, nuages prédominants ce soir


sur le bureau du grand-père de mon grand-père
c’est la java bleue, la java la plus belle
dans la cuisine, le bruit spartiate de la machine à café
la java la plus belle, celle qui ensorcelle,
c’est la java bleue, celle qui ensorcelle,
qu’on danse les yeux dans les yeux

fonction aujourd’hui, qu’est l’aujourd’hui ?
2. dilemme de la petite ville


l’écrire ou y aller, lun. 10 févr. à 10:37

bord de mer, fin du bord de mer
iode, odeurs d’iode, poissons frais, odeurs
respirer le port, l’odeur du port, 
le port comme Pessoa tout entier rôdant vers le port
ses effluves disparus

bord de port autant que bord de mer
différencier les bords, s’attarder aux bords
chapeau, canne à pêche, réécrits quinze mille fois
taquiner le poisson ! canne triomphale soulevée !

fonction auparavant, qu’est l’auparavant ?
3. je parle à ma salle de bains

je lui parle intérieurement, lun. 10 févr. à 15:36
je lui demande où sont mes pastilles pour la gorge
il n’y en a plus alors va te faire un thé, me répond-elle,
j’obéis, c’est tell. prat. d’obéir à la voix

l’odeur de Paul et Virginie c’est le nom du thé
est absol. délic. ensuite du chiffon de mes lunettes
je fais mésusage, j’essuie autre chose
ma distraction vient de la voix qui m’intime

le temps du sablier est écoulé, il y a trois temps
j’en ai choisi un, il a fait le thé c’est écrit quelque part

[fonction rappels, vous n’avez rien de prévu demain]

 

Adel Abidin, Three Love songs, 2010

personne ne m’a sauvée

1
j’ai un fichier intitulé personne
personne comme personne ?
oui –
personne qui sonne ?
je n’ai pas personnellement entendu sonner
personne, elle ment ? mais ça ne veut rien dire
ça pourrait vouloir dire, en cherchant un peu
oui mais aujourd’hui je ne cherche rien

2
personne ne m’a sauvée
et alors ?
alors le fichier personne contient cette phrase
et alors ?
alors c’est très différent
en quoi ?
c’est pire, il y a une intention dramatique
qui fait frissonner ?

3
une nouvelle fois une promesse
née de personne ?
oui, de personne née, de poussière sur la table
l’avez-vous repoussée ?
la promesse ou la poussière ?
la table avait disparu, aspirée…
et la promesse ?
personne ne m’a sauvée

4
vous ne cherchez rien, vous non plus ?
ça dépend –
de quoi ?
de si j’entends sonner personne
mais si c’est personne, comment savoir ?
je me baisse pour ramasser la poussière
quel est le rapport ?
j’ai un fichier intitulé personne

                                                                       Robert Filliou, La Galerie Légitime – Place de la Concorde, 1968

d’un poirier ::: désamour

Elle a acheté un poirier, il a déposé un pot de designer sur sa grande terrasse, et ce matin, il a planté son poirier dans le pot. Ils ont marié l’un avec l’autre. En peignoir éponge blanc et mules de mouton, dans le froid, il a planté le poirier puis l’a longuement arrosé avec le tuyau bleu.
Le poirier a été disposé de sorte à cacher de la vue une cheminée en face, un peu vieille, jaunie, marronnée par le feu. Le pot a été placé exactement à la place qu’elle voulait.

*

L’amie a dit, en le voyant, oh, le poirier va faire de très belles fleurs. C’est à la fois un arbre très structuré, bien formé, et qui devrait les ravir à la floraison. Un arbre fait pour le ravissement, un arbre qu’il a choisi attentivement, il sait choisir les arbres. 
A-t-elle dit blanches, pour les fleurs ? elle ne se souvient plus. D’autres arbres produisent en abondance des fleurs blanches.
Elle a encore oublié de lui donner des nouvelles du poirier. Elle ne pense pas qu’il va fleurir tout de suite. Se demande si la floraison attendra son retour.

*

Il pleut sans discontinuer sur le poirier et les autres arbres.

*

Un rayon de soleil éclaire les arbres et crée des ombres sur les façades. Soudain, les choses s’éclaircissent. Les fleurs blanches pullulent et quêtent l’assentiment du ciel, tendant les branches sur lesquelles elles sont accrochées. La fin de journée redevient bleue.
Les arbres autres que le poirier ploient sous les fleurs blanches exaspérées d’épanouissement sous la pluie de mars.
Elle se demande si l’une d’entre elles ne va pas toucher le sol de la terrasse à force de ployer sous la multiplication des fleurs. C’est très beau, presque insupportablement beau.

*

Plus tard, alors que l’après-midi est déjà très avancée, l’heure d’été ralentit la course des ombres ; le poirier dresse ses ergots, on dirait un chandelier à sept branches démultipliées.
Ce matin, la fleur de poirier est déjà très épanouie ; chez le poirier, lorsque la fleur s’ouvre, les étamines rouges sont toutes repliées au centre de la fleur. (…) Le pistil, lui est au centre de la fleur et émerge légèrement. La fleur du poirier est dite hermaphrodite car elle rassemble les organes mâles et femelles. 
Elle vérifie de visu, non pas l’hermaphrodisme de la fleur, incapable de telles observations scientifiques, mais l’épanouissement de la fleur.

*

Plusieurs fleurs du poirier se décident. Un autre arbre à fleurs blanches, qui n’avait pas encore fleuri, s’est lancé aujourd’hui, lui aussi. Qu’est-ce qui décide les arbres à faire leurs fleurs ? Comment ça se décide, d’un jour à l’autre ?

*

Elle ne voyait que le poirier bourgeonnant, la pluie sur les vitres, les autres arbres, le ciel bas, gris.

*

Peu après elle a été voir les petites feuilles encore recroquevillées du poirier, les a caressées. L’unique fleur grande ouverte ne sentait rien. Un gros bourdon lutinait les fleurs blanches des autres arbres, alors que le soleil voilé éclairait de plus en plus les façades au loin, très lentement, dans un ciel strié de larges rayures pâles.

*

Le poirier a eu un problème durant leur absence. Ses feuilles ont viré au marron. Ensuite, il s’est déplumé. On se demande s’il va ressusciter. Ceux qui connaissent intimement l’espèce poirier ont regardé ses bourgeons en hochant la tête. Elle a regardé, par acquit de conscience, mais ne traduit pas le bourgeon. Le verdict est sensiblement le même que partout ailleurs : on verra, il faut attendre.
L’existence est un concentré d’attente, il faut en prendre son parti.

*

Elle ne pense absolument plus au poirier, à ses feuilles marron, elle suppose à peine que la pluie tombe sur lui, là-bas, sur la terrasse de l’appartement déserté.

*

Le poirier a toutes ses feuilles marrons et sèches. Il pleut dessus mais elle se demande ce que ça va changer, une fois que les feuilles ont marronné, comment ça va pouvoir rebourgeonner, et qu’en est-il d’un poirier dont l’état stagne au lieu de s’augmenter. 
D’un poirier il est surtout plaisant d’admirer qu’il a pris vingt centimètres en peu de temps, comme d’un enfant au moment de sa pousse brutale, quand il a mal aux genoux.

*

Les ouvriers ont repeint la cheminée, celle que le poirier devait cacher, la marron jaunie. De la cheminée, ils ont fait quelque chose de propret, ainsi que des autres murs visibles.
 C’est presque l’automne, c’est l’automne.
Quand c’est l’automne, les feuilles marron deviennent normales ; le poirier, les siennes ont cramé, qui d’autre le sait, qui peut le deviner ? S’agit-il d’un désastre ? Va-t-il repartir ?
À côté de lui, petit, le basilic jaunit tranquillement, juché sur des coquilles pour éviter la montée des limaces.

*

Le poirier et son copain le basilic restent droits dans leurs pots respectifs malgré le vent fort qui souffle en bourrasques. Au pied du poirier a poussé une petite pelouse drue, vert cru, comme s’il avait besoin de poils, lui aussi.

*

Après avoir cramé durant l’été et dormi durant l’hiver, inerte, le poirier rebourgeonne. C’est le printemps. Le poirier en fleurs très dessinées, fines, délicates, ça ne durera pas : après les fleurs, on aperçoit déjà les toutes petites feuilles blotties, recroquevillées, duveteuses.

*

Le poirier, lui, se fout de la prochaine minute, il ne s’occupe pas du temps, c’est bientôt l’été, il a épanoui toutes ses feuilles, comme embelli par leur désamour.

[version longue initiale avec personnages : août 2008]

                                                                                Parc du Domaine de Chamarande, octobre 2008 (artiste ?)