des apparitions opportunes

il y eut des apparitions
il faudra des apparitions, il en faudrait
il aurait fallu des apparitions
il y aurait des apparitions, et alors ?
ne se choisissent pas, ne sont pas élues
des apparitions surgissent

sans verbes, des apparitions surgissent
malgré tout quand même

des apparitions moelleuses
comme des figues sèches

elles rugissent et s’élèvent
de la brume leur amie proche
en bas elles sifflent près de la plage
marchent et disparaissent
ce que l’on préfère dans les apparitions
n’est-il pas leur disparition probable ?

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brève conversation avec un jardinier

vous vous rendez compte : douze degrés !
ah c’est de la bruyère rose, elle est belle

les bourgeons sont déjà commencés
il a beaucoup plu
il a fini par beaucoup pleuvoir
oui mais la sécheresse a duré longtemps
ce pin-là, il est malade
oui, il est complètement brun
bientôt il poussera des palmiers ici
c’était l’année la plus chaude
il faut s’en aller l’été
oui, même ici il fait chaud l’été
c’est un climat de mars
c’est comme il y a un mois
oui comme fin octobre
c’est un automne-printemps

on ne sait plus
non, on ne sait plus

                                                                                                               Tomás Saraceno, “On air”, Palais de Tokyo

maintenant que tout est effacé

utiliser la règle induite par la chronologie
transvaser le solide dans le liquide
éprouver les mélanges pâteux
reboucher les trous dans les murs
laisser des traces en constellations

il y avait un exemple – à la place de rien, un exemple –
mais il ne sert à rien : on le visualise trop
et il devient le quelque chose
complaisamment mis à la place de rien
il devient trop visible, il est en face,
posté et sûr de son bon droit d’exemple
et soudain il prend toute la place, il efface tout

maintenant que tout est effacé il n’y a plus rien à voir
rien à voir, aucun exemple visible, rien à quoi se raccrocher

(ils se prennent si souvent pour des torchons
à être à leur place sur des murs constellés d’anciennes traces,
oscillant avec ce léger vent venu de la nécessité du jour)

surgissement de la sellette mot perdu

objet connu vu dans une galerie
objet ressemblant à –
pour y poser une plante
objet en bois plein de peinture
supportant une installation

mot ne revenant pas
ni dans la galerie ni après
ne revenant ni dans la rue
ni dans l’impasse aux maisons fleuries
mot en suspension

ne revenant pas dans la voiture
dans la traversée de la banlieue
dans la radiale la transversale
de la proche banlieue

ne revenant pas avec l’amie
mot esclaffé : entre — et — !
se termine par ette comme serpette !
mot à l’arrêt au feu rouge


surgissement de la sellette
quarante-huit heures plus tard
devant une série australienne lente
où un homme adultère
aurait été sur la sellette

définition de sellette, CNRTL

ce petit meuble jaune exposé aux intempéries

il y aurait quelque difficulté à se souvenir des rebuts :
ils ne le réclament pas, ils n’ont aucune conscience de leur état de rebut
le commentaire placé en texte premier suppose d’extraire
abruptement & prestement ce dont on parle, de le jeter, de le laisser
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encre de Michaux avec reflets d’arbre
exposé aux intempéries, ce petit meuble jaune jamais
ne finira : écaillé rouillé divisé pâli, mais encore ici
sa clé fonctionne parfaitement, ses petites portes s’ouvrent
sans grincer, comme si ses gonds étaient à jamais huilés
jaune, le petit meuble date d’avant une guerre, ou d’après
les guerres s’inscrivent dans les rebuts, ainsi que les
intempéries exposent des fractures et des entailles
et qu’il n’est pas besoin de chercher leur comblement
autre et plus mince circule l’idée de la fissure venue
des entrailles : la surface contredit la profondeur
et pourtant jamais l’une sans l’autre, le rebut se saisit
des moindres écailles et perpétue le vivant contraire
à sa peinture nouvellement dessiquée, fantaisie continue
de successions d’intempéries cloquantes

vaudeville et scories plates du présent

à propos du présent : ni répétition, ni surprise
le présent est un présent, il y a des champs traversés
et c’est le présent, c’est au présent

ce n’est ni la première fois ni d’autres fois
il n’y a aucune surprise, aucune répétition
aucune interdiction à l’il y a : les champs s’étendent
sans circonstance aucune, le ciel les couvre
de variations déjà périmées

au présent, dans ce présent, là, traversé
en mouvement traversé d’immobile, l’il y a
s’abstient de répéter, s’abstient de surprendre,
n’effracte pas la pensée : le présent se love
& adoube en grands claquements
les minutes de procès infinis

ce présent non pas autre ni même
capture les aiguisements de contenus,
les arase et les restitue
pourtant en une singulière mixture
l’il y a jadis interdit se vautre où l’énamouré
absorbé disparaît dans sa vacuité

(par enchantement, etc.)
(à perte de vue, etc.)
(le saisissement, le ravissement, etc.)
(jusqu’à plus soif, etc.)