une critique par La Cause littéraire

 

une critique de L’enfant fini par Sandrine Ferron-Veillard, de La Cause littéraire

 

exercice comptable en été

deux femmes attendent une troisième,
elles n’attendent pas très longtemps : la troisième arrive,
elles se lèvent pour l’accueillir avec des manifestations de grande joie causée par leurs retrouvailles,
se concertent rapidement pour aller chercher une boisson,
puis reviennent s’asseoir : leurs gobelets ne sont pas de la même taille,
dans l’un, plus grand, de la bière blonde,
dans les deux autres, plus petits, deux spritz

les trois femmes s’échangent des nouvelles, mais plus particulièrement la nouvelle arrivée et la plus âgée des deux qui attendaient,
celle-ci étant la mère de celle-là,
la troisième sort des photographies anciennes de l’année 1994,
il apparaît que la mère a photographié la troisième femme lorsqu’elle était en maternelle

la troisième femme est allemande mais parle parfaitement le français
et pour cause : elle est interprète,
elle vient de travailler pour Volker Schlöndorff,
elle a été engagée au cas où et le cas n’est presque pas advenu
sauf une fois où comme par hasard elle venait de s’éloigner,
il fallait traduire un mot, elle est revenue, elle a traduit le mot, elle est repartie comme ça, non, elle n’a pas été beaucoup payée,
mais très peu utilisée aussi, il faut bien le dire,
et comme elle a aussi été figurante sur le film, elle a joué un soldat et une infirmière, du coup elle a connu Volker Schlöndorff

la conversation des trois femmes roule ensuite sur le prix des appartements, le prix comparé Berlin-Paris, à quel point c’est cher ici,
et moins là-bas, franchement beaucoup moins,
pour le même prix deux fois plus grand, voire presque trois fois
et Londres aussi, très cher,
à Paris, la femme allemande va chez des amis,
mais si le séjour devait durer un mois, il faudrait qu’elle loue quelque chose quand même

aucune des deux plus jeunes femmes ne refuse du travail,
la fille de la mère et l’allemande,
surtout pas en ce moment, c’est vraiment pas le moment de refuser, non,
et la fille secoue la tête,
l’allemande et la fille sont absolument d’accord sur ce point de ne pas refuser (la mère se tient à distance de cette partie de la conversation)img_20161005_161236

 

 

 

 

 

 

les acteurs de l’exercice :

momentanément caché par un nuage, puis définitivement par sa course naturelle derrière une cheminée, comme chaque soir : le soleil

l’allemande : blonde et souriante, cheveux raides, dynamique, volubile
la fille de la mère : robe jaune ceinturée, bras bronzés couleur caramel
la mère : brune avec un nez assez long, des bijoux, dans le cinéma aussi

explications & pensées

ce que c’est : de l’oseille

un homme s’approche de la verrière
il explique la lumière, le soleil, l’ouverture, l’exposition
l’homme aime expliquer on a le soleil, là, ici, comme ça,
à grands gestes il explique le rapport des ouvertures et du soleil,
il explique leur fenêtre à une femme, il explique l’orientation à sa femme,
il explique par la verrière leur fenêtre, sa taille et sa mesure,
il explique leur salon, leur vie, leur soleil, comment il rentre,
comment rentre le soleil chez eux

plus loin, sur un banc, un homme est assis,
devant la serre sa femme s’exclame, mais regarde toutes ces coccinelles,
il y en a tant, oui, ce sont des coccinelles,
ils ont le dos contre un mur ensoleillé où d’incessantes coccinelles dessinent
des mouvements désordonnés,
il se tourne vers le mur et regarde l’ivre ballet des coccinelles,
certaines tombent sur lui, et sur elle,
et tout en les regardant, l’homme explique ce qu’elles mangent, les coccinelles

plus loin, dans un carré jardiné, un homme explique l’oseille,
ce qu’est l’oseille, comment l’oseille, pourquoi l’oseille,
à quel moment l’oseille,
bras derrière le dos, l’homme revient vers sa femme
et explique surtout ce que c’est : de l’oseille

des pensées dans le bruit

dans tout ce bruit, il y  a des choses qu’on pense très fort,
à la mesure du bruit,
dès qu’on enlève le bruit, pas sûr qu’on pense, pas sûr
qu’on pense la même chose

à la mesure du bruit : urbain, de voix, de moteurs, de sirènes,
de la ville qui bruisse
de bruit comme mer, immédiat,
de bruit à regarder des images bruitées

pas sûr qu’on pense encore, mais la pensée semble
plus forte, des pensées saillantes, des pensées
diluées dans l’espace du monde,
en ses carrefours bruyants

des pensées comme des rochers, arrêtées, solides,
dans l’espace du bruit,
en sont-ce encore ?

 

ou une formule dans le genre

Les moments sont transformés. Ou une formule dans le genre. Mais plus piquante. Sans l’être non plus très.

S’en vont sur la pointe des pieds, les mots. Ou comme les plantes sur lesquelles on souffle. S’évaporent en souffle.

Plus là. Comme en rêve sans rêve. Le corps cherche quelque chose qui n’est plus là.

truc
Fréquemment cherche. Ce n’est pas le corps. Ce n’est pas l’esprit. On ne sait pas ce que c’est.

Cherchant la lumière parmi l’obscurité. Allumant quelques lampes. N’ouvrant aucun volet.

Sans conséquences outrancières. Apprécier la maladresse. Les approches malheureuses, les gestes maladroits.

Multipliant les sources sonores. N’écartant aucune vibration. Caressant le mot distraitement.

À changer de registre. Ou une formule dans le genre. Mais moins f., moins. Simple, épurée, ouverte.

Ensuite on ne sait plus, c’est vrai. Et dommage. Mais c’est accompli. C’est formalisé, c’est fait. C’est regardable. On écoute. Sans y toucher.

une critique de L’enfant fini

 

sur le Club de Mediapart, une critique de L’enfant fini, par René Fiori