brouillon petite forme

21 mai 2007 (soi-disant)

De cette sorte de rien qui fait que années 60 sonne très connu, banal, archi-vu, testé et approuvé, rock’n roll, soubresauts de l’histoire occidentale, bas nylon et Kennedy. Très pauvre instruction de l’histoire ; bilan maigrelet,
vous repasserez.

Je me lamente et me tords dans ce vestiaire prolifique, à manipuler à l’arraché des cintres empilés, étouffant et froissant les vêtements, dans cette odeur de vieille poudre de Madame. Labyrinthique, pire qu’un entrepôt d’archives souterrain, l’endroit n’est pas brillant question éclairage, moi non plus question pas brillant, donc, j’ai les bras épuisés à tirer comme un forcené chaque manche pour examiner des vestes incongrues, mais les ordres sont les ordres. Trouvez-vous un écossais en base bleue pour faire figure. De quoi j’aurais l’air ? C’est la consigne de la production, c’est très années 60, l’écossais. Oui mais en base bleue ? Vague suspicion d’un truc qui n’existe pas ; je chercherais quelque chose qui n’existe pas, je passerais tout le reste de ma vie dans ce vestiaire poussiéreux à la recherche d’un écossais inexistant, tandis qu’au-dehors le monde se modifierait à vue, et moi je serais toujours là à chercher
la veste indispose.

La haute verrière dispense sur ces vieilles fringues soi-disant rangées par genres, styles, types, fonctions, et tailles mais je n’en suis pas sûr, un surplomb de saleté, une aura grise surajoutant à la lumière insuffisante le souvenir des années fanées.
Quand je pense que certains les aiment tant.

transcrire la puissance (notes)

. de notes il est question, de notes et de notes, de mots et de notes, de notes sans mots, de paquets de mots sous les notes –
mais pas du tout de notes, aussi bien.

  1. sous la musique, sous les notes, sous les gestes, sous la nef et le transept
  2. dans tout –
  3. visibles : les vitraux, les piliers, les escaliers, les gestes, le bois, les couleurs sur les murs, des mots armoriés autour des personnages peints
  4. sous les notes fermant les yeux : des grappes de mots attachés par la langue apprise
  5. des soixante bouches sortent des sons-mots étirés méconnaissables répétés latins
  6. du hautbois, du violoncelle, des violons, des cuivres à clapet, des bouches, sortent le tout des sons dans le tout de l’espace froid
  7. les paquets de mots se bousculent sous les notes et les voix : musique, Ca 1150 «art de combiner les sons musicaux»
  8. mélologue, du gr. μ ε ́ λ ο ς « chant accompagné de musique »
  9. arrêter le sens, conserver le paquet de mots occupant la zone immatérielle des sens
  10. ah ! lisible ? compatible ? attirant ? énervant ? ah !
  11. rien du savoir, barbapapa de mots lettres sons syllabes accumulés
  12. sous les mots, seul le geste : sous ses gestes s’élève la barbapapa lisible autour du bâton
  13. lisibles autrement, les indications qu’il suit et qu’il donne : c’est le chef et sa baguette
  14. audibles : les quantités de sons formant la barbapapa de mots jamais transcrits
  15. puisque les sons-mots vivent sous l’infanchissable barrière des corps différents
  16. il n’est rien de plus paisible que la coexistence des sons autour du bâton et leur évanescence impossiblement transformée par les sens
  17. un point d’orgue –
  18. et des mots pourtant jamais dits, jamais écrits : transcrits, apparus par surprise, autour du bâton, légers dans l’air, on n’ose pas dire filamentaires
  19. la musique, dont pourtant jamais le mot ne fut transcrit, la musique organise et décompose le trajet des voix dans les corps
  20. ses gestes, suivis par des centaines de paires d’yeux ouverts, transcrivent la puissance des notes, des sons, des voix, des mots.

[Hector Berlioz, Le chef d’orchestre : théorie de son art :
extrait du grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes
(2e ed.), 1902]

l’amie ⎜les amis mondiaux

L’amie lui fait signe, alors qu’elle a si longtemps attendu, qu’elle a cru qu’elle avait disparu. L’amie lui fait signe et c’est comme un revenu d’ailleurs. Elle lit son signe et c’est comme un revenu froid. Elle a tellement attendu. C’était la douleur et l’inquiétude. Elle s’inquiète de ce qu’ils deviennent, tous ceux qui cessent de lui faire signe plus qu’un moment, plus que quelques semaines, que quelques mois. Comment se mesure le temps ? Comment le mesure-t-elle, elle qui attend le signe en retour ?
Ça ne répond pas, dit-elle à haute voix.
Ça ne répond pas, se dit-elle à l’intérieur.
img_20161118_142802Pourquoi ? Le jour se lève, le jour finit, ça ne répond pas, et le lendemain, le surlendemain, pas de répit dans l’absence de réponse. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Les amitiés s’étirent et s’étiolent. Il n’y a plus de liens vivaces, tendus, élastiques. Les amitiés, comme des mollusques, laissent une trace baveuse sur le cours du temps. Il n’y a aucune explication. Il n’y a pas de solution. Les mots sont pauvres, pauvres, pauvres (elle se secoue en prononçant ces mots).
Puis subitement un mercredi, comme si le temps avait fait une boule, et qu’il aurait décidé de propulser la tentacule principale issue de la boule, elle reçoit des signes. Ni prévus ni prévisibles, ils arrivent de la galaxie du méconnu, du mystère de l’intention, du souvenir transperçant les couches de l’inattention. Et parfois honteux, conscients d’avoir fait attendre. Et parfois en rafales inexpliquées.
Elle est meurtrie, ou très meurtrie, mais il y a pire que ce revenu froid, longtemps après. Les choses se passent après l’après ; c’est inexplicable mais c’est comme ça. Après l’après, une fois que l’après a été consommé, arrive l’après. L’après arrive et c’est trop tard, tellement trop tard que ça peut devenir trop tôt : un avant l’après après. C’est fini, le trop tard s’est transmué en trop tôt. Ses sentiments ont gelé comme s’ils avaient été au congélateur durant l’attente. img_20161118_142807

Cependant, mondialement, les amis existent, comme la politique mondiale, les amis mondiaux. Il y a plein de monde autour : le monde mondial donc. C’est une belle chose que le monde mondial ; il réconforte comme un bon scotch au coin du feu.

une critique par La Cause littéraire

 

une critique de L’enfant fini par Sandrine Ferron-Veillard, de La Cause littéraire

 

exercice comptable en été

deux femmes attendent une troisième,
elles n’attendent pas très longtemps : la troisième arrive,
elles se lèvent pour l’accueillir avec des manifestations de grande joie causée par leurs retrouvailles,
se concertent rapidement pour aller chercher une boisson,
puis reviennent s’asseoir : leurs gobelets ne sont pas de la même taille,
dans l’un, plus grand, de la bière blonde,
dans les deux autres, plus petits, deux spritz

les trois femmes s’échangent des nouvelles, mais plus particulièrement la nouvelle arrivée et la plus âgée des deux qui attendaient,
celle-ci étant la mère de celle-là,
la troisième sort des photographies anciennes de l’année 1994,
il apparaît que la mère a photographié la troisième femme lorsqu’elle était en maternelle

la troisième femme est allemande mais parle parfaitement le français
et pour cause : elle est interprète,
elle vient de travailler pour Volker Schlöndorff,
elle a été engagée au cas où et le cas n’est presque pas advenu
sauf une fois où comme par hasard elle venait de s’éloigner,
il fallait traduire un mot, elle est revenue, elle a traduit le mot, elle est repartie comme ça, non, elle n’a pas été beaucoup payée,
mais très peu utilisée aussi, il faut bien le dire,
et comme elle a aussi été figurante sur le film, elle a joué un soldat et une infirmière, du coup elle a connu Volker Schlöndorff

la conversation des trois femmes roule ensuite sur le prix des appartements, le prix comparé Berlin-Paris, à quel point c’est cher ici,
et moins là-bas, franchement beaucoup moins,
pour le même prix deux fois plus grand, voire presque trois fois
et Londres aussi, très cher,
à Paris, la femme allemande va chez des amis,
mais si le séjour devait durer un mois, il faudrait qu’elle loue quelque chose quand même

aucune des deux plus jeunes femmes ne refuse du travail,
la fille de la mère et l’allemande,
surtout pas en ce moment, c’est vraiment pas le moment de refuser, non,
et la fille secoue la tête,
l’allemande et la fille sont absolument d’accord sur ce point de ne pas refuser (la mère se tient à distance de cette partie de la conversation)img_20161005_161236

 

 

 

 

 

 

les acteurs de l’exercice :

momentanément caché par un nuage, puis définitivement par sa course naturelle derrière une cheminée, comme chaque soir : le soleil

l’allemande : blonde et souriante, cheveux raides, dynamique, volubile
la fille de la mère : robe jaune ceinturée, bras bronzés couleur caramel
la mère : brune avec un nez assez long, des bijoux, dans le cinéma aussi