interviou de Vous (à propos du titre L’enfant fini)

parution de L’enfant fini en octobre 2016 chez Cardère éditeur

i  – Comment vous est venue cette idée de titre L’enfant fini ?
V –  C’est un titre prononcé dans un rêve par l’éditeur de mon premier roman publié, Une théorie de l’attachement, rêve survenu dans la nuit du 21 au 22 décembre 2013 et situé dans ce qui se présente comme les bureaux de P.O.L, mais à l’extérieur. Nous sommes dans une sorte de jardin. Paul Otchakovsky-Laurens trouve ce titre, L’enfant fini, je suis d’accord, je décide d’être d’accord, je me rends compte que j’agrée, c’est agréable de dire : bon ok, si vous voulez.

i – Pourquoi  est-ce agréable d’agréer dans le rêve ?!
V – Parce que longtemps je préférais dire non, refuser ce qui m’était proposé. Probablement que c’est cela, ce rêve, l’expression d’une satisfaction d’avoir changé de position… Ou du moins, de laisser la possibilité au oui d’être prononcé, d’acquiescer. Il y a une convergence particulière dans ces temps, un début et une fin, un bouclage temporel parallèle à l’écriture de ces deux livres : à l’automne 2001, je démarre une psychanalyse ; fin 2013, au moment du rêve, elle est terminée depuis le printemps.

i – Le texte L’enfant fini est-il “fini” lorsque ce rêve advient ?
V – Le livre n’est absolument pas “fini”, il vient juste de commencer ! Je n’ai alors écrit qu’une vingtaine de pages.  Il porte un autre titre, provisoire, tout à fait dénotatif : Le cahier de Jasper. Je me souviens que pour Une théorie de l’attachement, fin 2001, nous avions aussi cherché un titre avec l’éditeur. De la même façon, mon titre premier était également dénotatif : Le rapporteur, puisqu’il s’agit de quelqu’un qui rapporte des faits.

i – Mais l’éditeur de L’enfant fini n’est pas Paul Otchakovsky-Laurens ?
V – Visiblement non ! Pas plus qu’il n’est qui il est dans mon rêve de décembre 2013. Il s’agit de moi, c’est moi la rêveuse du titre ! L’éditeur est désigné comme tel dans un jardin, et il énonce le titre d’un livre que je viens à peine de commencer d’écrire. Il manifeste mon désir que le livre soit fini et édité, je suppose (et lié à mon prénom, bien sûr).

i – Alors ce livre, L’enfant fini, était à peine né lorsqu’il a été nommé ?
V – On peut voir les choses comme ça. On peut toujours voir les choses sous différents angles. Dans le rêve, ou plus exactement dans son interprétation au réveil, il y avait quelque chose qui m’intriguait dans les sons formés par la prononciation des syllabes, finale et initiale, du substantif et de l’adjectif : fan-fi, une allitération un peu dysharmonique, difficile… au sein d’une triple répétition en/an, f/f, i/i, les voyelles elles-mêmes étant les plus opposées dans leur point d’articulation (i orale-antérieure ; an nasale-postérieure).

i – Par la suite, pourquoi avez-vous décidé de conserver ce titre ?
V – Parce qu’il m’intriguait, au-delà de son contenu. Advenu dans un
rêve ; attribué par la figure respectée de l’éditeur de mon premier livre à l’intérieur de ce rêve, que demander de plus ?! Puis, dans un second temps, ce titre s’est peu à peu révélé comme étant l’exacte focale du livre, de ce livre-ci, avec toutes les modifications apportées au texte depuis ses débuts. Il est hautement polysémique, un peu difficile à prononcer, et reste étrange, unheimlich.sans-titre


[extrait de Wikipedia]

continuité de la figue

(…)l’un des éléments de ma Consolation matérialiste
(…) rencontrer dans la campagne, au creux d’une région bocagère, quelque église ou chapelle romane, comme un fruit tombé
(…) [1]

entre la figure et la fugue

finalement j’ai pas su j’ai pas pu j’ai pas vu
j’ai répondu mais c’était faux
j’ai fugué
j’ai bu du blanc

pas de figure : je me rends, c’est bon, je laisse tomber
j’étais lasse j’ai laissé venir rien n’est venu
rien ne vient jamais
j’ai répondu mais c’était faux

entre la figure et la fugue

figue ouverte, offerte, violine
figue lente, déglinguée, duplice
figue et de quoi
figue et le temps

j’ai répondu mais c’était faux
ce que je fais ici j’en sais foutre rien
je suis je marche je vais
figure de figue en fugue

[1] Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, Flammarion, 1977
ponge_figue-06f85

 

dans la pièce et dans le silence

dans le silence d’un matin dans la grande pièce

le passage des camions trace

du reliquat de la mémoire ses reculs sonores

 

dans la pièce, grande, dans le silence d’un matin,nbv

le passage des camions trace

le bruit sourd des œuvres pauvres

 

 

Eux et le dossier Sofia

C’est à dire, ne pas lui dire, ne pas leur dire, se taire, ne rien dire. Comme ceci ? comme cela ? Comme ils ne sont pas là ? Comme ils sont là mais ne répondent jamais ? Se mettre en retrait ? Reculer de plusieurs pas devant la porte ? Tourner les talons ? Marcher à reculons ?
Qu’il n’y ait pas une longueur d’avance. Qu’il y ait du retard. Qu’il soient là mais n’entendent pas. Qu’ils ne soient pas là et aient oublié. Qu’ils soient partis chercher du lait. Qu’ils soient là-haut sur la colline à siffler. Qu’il n’y ait jamais de solution. Que le jamais soit proscrit. Qu’ils ne l’aient jamais prononcé, en fait.

Combien sont-ils ? Quelle est l’armée de réserve de ceux qui ne répondent pas ? Est-ce une désertion ? Je pars à la plage, je ne laisse pas de traces. Je disparais dans la montagne avec des bêtes. Aiment-ils les bêtes ? Et les plantes ? Et la tempête dans le ciel ? Et les sources pures où ils s’abreuvent avec elles, les bêtes. Et la peinture qui les représente.
Qu’ils aient des yeux pour s’extasier devant les peintures. Qu’ils aient disparu pour s’extasier. Que l’extase soit devenue leur moteur. Qu’ils aient mis un tigre dans leur moteur.

Que le temps long soit devenu impossible. Qu’ils restent impassibles devant l’attente de l’autre. Qu’ils n’aient aucune idée de ce qu’est l’autre. Que ça les fasse bailler d’ennui, l’autre. Que l’autre devienne un ennemi. Qu’il faille s’en protéger comme d’une espèce dangereuse.
Ils ne répondent pas. Ne répondent plus. Capitulent. Se protègent. Disparaissent. S’appellent de noms trouvés dans les gazettes scandaleuses. Même pas. Ne changent pas de nom : le liquident, le grattent sur les papiers. Même pas. Ne font rien. Chassent le papillon. Pas non plus.

On ne sait pas, on ne devine pas, ni ce qu’ils font, ni où ils sont. Ils ne sont pas là où on les croit. Ils sont dans des endroits banals mais on se refuse à l’imaginer. Ils sont au travail. Ils croulent sous le travail. Ou bien ils ont démissionné. Déjà ? Oui, c’est probable : on ne l’a pas vu depuis une semaine. Il n’a pas été vu. On ne sait pas ce qu’est voir, mais il n’a pas été vu, ni bu, comme du petit-lait. C’est passé comme une lettre à la poste. La lettre est passée, zioup, hop, comme du petit-lait au fond de la boîte.

Les disparus et les absents à l’appel, les cachés : ne répondent pas. C’est leur seul dénominateur commun. Ils sont une multitude. Il faut appuyer sur des touches. La touche A est enrayée, la touche B refuse de s’enfoncer, etc. Des touches sont effacées par le temps qui efface tout, absolument tout. Pas du tout, pas ce qu’on croit. Ils n’ont pas disparu sous des touches. Il y avait bien pourtant des touches. Il y avait des touches mais pas celles qu’on croit. Des touches fortes et tangibles, sur lesquelles on appuyait, et qui répondaient.rond

Le temps n’efface pas tout. Rien de ce qu’on croit. Rien n’est cru. Ils sont toujours là, morts ou vifs, tapis derrière les rideaux. L’alphabet les aide à se tapir. Ils s’y coulent comme dans de la mayonnaise. Dès qu’on sonne, personne ne répond. Au jugé, dans le soleil aveuglant, se reculer sur un trottoir absurde. Et considérer la situation avec sagesse et émotion, gloire et persuasion, cinéma et componction, coiffure et paramount.

Le dossier Sofia n’avance pas. Pas comme il devrait. On ne sait pas ce qu’il devrait à qui, mais il devrait et n’avance pas. On se tient devant la porte et ça n’ouvre pas. Il y a plusieurs portes dans différentes configurations de villes, de villages, de maisons isolées, d’immeubles plus ou moins anciens, d’impasses et de boulevards plus ou moins tranquilles, plus ou moins en bordure de rivières, plus ou moins en hauteur.
Dès qu’une forme de Sofia apparaît, elle est balayée par une ombre qui la noie. Elle est introuvable, il faut y aller au jugé, à tâtons, dans le noir. Derrière la porte, le silence. Pas tout à fait le silence : ce silence brodé de légers bruits, acoustiquement instables, limites.

Des documents existent, mais que sont des documents face à l’indifférence ? Des documents existent dans des chemises et ils sont interprétés. Il faut faire attention à les ficeler, faute de quoi le vent pourrait disperser les feuilles. Ils n’en sont plus là ; les archives ne sont pas conservées au-delà de leur date de péremption.

Le dossier Sofia stipule qu’il fait jour. C’est la moindre des choses, qu’il fasse jour. Il ferait nuit qu’on n’en serait pas plus étonné. Mais il fait jour. Il n’y avait personne derrière les rideaux. Ou bien ont-ils été légèrement écartés ? À force de scruter, on aurait pu avoir l’illusion qu’ils ont bougé.
On ne peut décemment pas tirer de conclusion de ce fait sauf : là-bas, une maison, des rideaux, des fenêtres, d’abord des fenêtres, des rideaux, quelqu’un derrière. Les absents ont toujours tort. On se tient prudemment en retrait. On recule. On se tient à distance. On se protège.

deux mardi d’un juin lointain

Mardi 23 juin 2009

Et ici, encore une fois, l’humain pressé se révèle plus petit que la pierre blonde, le bruit des cris des petits résonne, ils s’attrapent, jouent à s’attraper devant un mur construit de pierres blondes, que le coucher de soleil lèche avantageusement, que bientôt l’heure bleue découpe, vif, à étreindre.
IMG_20160826_094240Et ici, encore une fois, un regard s’élève, d’autres déambulent, incapables de se fixer, un regard rencontre l’arête vive de vitraux assombris, un regard sombre dans un excès de larmes sèches.
Et ici, encore une fois, on ne sait pas quoi faire de ses bras ni de ses pieds, encore une fois encombrés de ses membres, tandis que les voix s’élèvent, les mains tendent à prendre leur liberté, quitte à finir faute de mieux sous ses propres fesses.

Mardi 30 juin 2009

Si nous étions cohérents, nous devrions avoir un projet, un projet souligné par une acuité supérieure de la succession des jours et des nuits,
un projet nécessitant une organisation inflexible de la contingence,
un projet tout à fait caractérisé.
Nous devrions suivre une ligne qui fût au moins dédiée
à la dimension de notre ombre au couchant,
à la survie d’une image humaine de l’attention,
à l’hommage vertébré fait au hasard,
à notre verticalité pensante.

Un État, dans la gestion duquel s’installe durablement un grand déficit de connaissances historiques, ne peut plus être conduit stratégiquement.
Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle.

une lumière désenchantée filtre le tumulte

si je me presse, si je me presse, il ne restera rien :
l’artichaut pour cuire doit rester sur place
durant vingt-cinq minutes
et à chuinter la cocotte montrer son efficacité

si je me presse comme la Japonaise qui joua
Rhapsody in Blue excessivement accelerando
si je me presse, si je me presse, il ne restera rien
de mon allant, rien de mon venant

si je me presse, aucune image ne pourra induire
qu’elle est valide, et dans le temps imparti
les labours lointains ne donneront aucun foin141020141097

si je me presse, la flaque d’éternité rejouera
son sale morceau tout en dégoûts & ressauts
qu’un piano ironique lèchera sans relâche