UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 7

jour 7 – À Berlin, vers 1982, le bruit dans les concerts était étouffant, saturant. VM n’y avait jamais mis les pieds, son Traité n’existait pas, il était encore tout timide, tout pantelant d’être, c’était un jeune homme hésitant muni de lunettes, et de cheveux si noirs, mal coupés. Il était du genre à rester à l’entrée de la salle, regardant tout autour sans pouvoir fixer son regard sur qui que ce soit, au bord de la fuite radicale. Carola à Berlin portait un short vert pâle et des escarpins chocolat clair qui mettaient en valeur ses longues si longues jambes.

La question de l’amour arrivait sur le tapis très souvent, au moins autant que l’alcool, à égalité, ensemble l’amour et boire. Au fond de la salle, l’amour ? Si l’amour est au fond de la salle, peut-il être dans l’ail, dans le fumet de la blanquette, dans la perpétuité du sentiment ? VM ne restait jamais longtemps avec une seule idée : aussitôt il traçait de nombreux schémas (il avait double formation, mathématiques et philosophie, mais était-il utile de le préciser ?) pour que l’arborescence heuristique s’y éploie comme certains branchages décharnés des forêts civilisées.

Le développement fulgurant de la pratique de la boxe anglaise, de la force musculaire des jeunes gens de la fin du XXe siècle, était lié lui aussi au chteu-chteu dans les salles de sport, pieds mouillés dans les tongs sportives plus épaisses de qualité natatoire bleu marine meilleure qualité caoutchouc moulé. L’autonomie s’acquiert par le combat, corps à corps, combat contre un destin contraire, alors développement des muscles à outrance pour résister, canaliser, protéger, juguler.

1994. VM, flanqué du petit homme frisé de la Méditerranée, dissertait sur la boxe comme identité locale des populations périphériques : elle leur servirait de soutènement existentiel, il serait possible, avec la boxe, de dévier leurs instincts belliqueux, de leur donner une armature face à l’incertitude de trouver-un-travail, de risquer la musculature comme arme de séduction massive, d’approcher l’autre par le corps boxant, d’en éprouver les frontières par la douleur. Le petit homme frisé acquiesçait fréquemment, pas à chaque phrase, mais presque.

Le corps de la boxe, corps surmultiplié, luisant, glissant, fabriquant des exploits : au lieu d’être exploités, fabriquer des exploits. VM met son esprit en boxe, brosse à traits rapides les critères de la mimesis, s’excite, repousse sa mèche, boit un demi, fraternise avec les derniers arrivés, occupe l’éternité du café dans les dernières années du millénaire.