le cancer nékun calendrier

juillet, octobre et les mois
les mois l’émoi mais peu
les mois un deux trois
quatre cinq six sans suite
deux saisons et puis s’en va
trois saisons pour le prix de deux
quatre saisons retour chariot

il est faux de dire quoi que ce soit
quoi que ce soit est faux 
il est faux de dire comme il est vrai de dire
le bancal nous sauvera tous
le bancal, le chacal, le cheval

un deux trois les voix
quatre cinq six la peau
sept huit neuf prise de terre !
électricité ! électrique ! pavillon des champs ! pavillon morne !
la plaine au fond, et drus les blés !
immense foutaise des maisons calmes

                                           écrire et ne pas écrire, ce mouvement, un conditionnel

le corps et le hors corps
hors de soi inexplicable tout inexplicable
sort de soi monte monte et pète le plafond
pauvre explication, minable exégèse

ongles ongles ongles : vernis couleurs
onglonglongl
crème crème crème : marché des crèmes
crèmcrèmcrèm

elle demande tu écris toujours ?
oui et non
tu dis cancer preskun concert
c’est fait exprès c’est faux de dire c’est vrai
c’est vrai de dire c’est faux

le cancer nékun concert du temps

ce jour a été le jour du fish & chips

l’envie d’un fish & chips est venue, elle a été considérée
puis retardée par une rencontre sur ce large trottoir,
une rencontre banale, quotidienne

comme le serait ce fish & chips s’il était n’importe lequel
ce qu’il n’est pas : il est d’un endroit, sourcé, fabriqué
avec du poisson blanc et des frites couleur de miel

ce jour le fish & chips est d’abord advenu par les mots
sus et reconnus dans le jour qui a vu naître l’envie
avant la rencontre du grand trottoir le retardant

le fish & chips Hanif Kureishi banlieue de Londres
avec sa crème à la ciboulette servi ce jour tout près d’ici
ressembla au désir d’un transport abrupt sous sa panure

Que rien ne remplace le fish & chips de ce jour
fabriqué par des mains pakistanaises et dégusté
sur le zinc d’un après-midi quand il n’est pas trop tard

ce jour a été le jour du fish & chips sur un zinc
taché de vin rouge et piqueté des politesses du temps
dans l’encore possible surgissement d’un ailleurs immédiat

¡ elliptique foin du danger !

depuis quelque temps, je ne vois pas ce que je vois,
ça glisse, je ne vois rien, je ne vois rien de bien, je vois sans voir,
il m’est impossible de préciser rien, quoi que ce soit,
je m’ennuie à essayer de préciser

je ne vois pas ce que je vois, absorbée par les images

il y a longtemps, très longtemps, ça me revient :
je pensais écrire une sorte de phénoménologie,
sans savoir exactement ce qu’est la phénoménologie,
sans chercher à savoir,
j’écrivais sur l’artichaut et la pensée, je pensais que c’était de la phénoménologie,
sans savoir exactement

je ne savais rien, absolument rien, pour la raison que je voulais rien savoir,
je ne voulais pas apprendre, je refusais d’apprendre.
mais un jour, ce jour de l’artichaut et de la pensée,
est né ce texte intitulé Comment c’est : penser ? avec l’artichaut,
je pensais phénoménologie mais sans le dire, je pensais le mot

je n’en sais toujours pas plus, et en plus je ne vois rien de ce que je vois :
ça glisse, il n’y a pas d’obstacles,
c’est comme une substance lisse ; ce que je vois ne représente rien.
je vois des phénomènes,
des mix d’arguments et de prises de positions visuelles

dans la baie des images, je vogue et ne vois rien, plus rien
dans la baie des mots je retrouve la vue, et avec, les animaux à écailles
comme les artichauts dans leur rapport avec la pensée, toujours ratée

ô riants cadavres des amours !

elles sont disparates et elle les regarde : les phrases
elles sont fugitives et elle les perd : les pensées
elles sont grossières et elle les évite : les foules

ce qu’elle dit : c’est ça !, à tout bout de champ, joyeuse, c’est ça !
la vraie joyeuse meurtrie qui s’occupe des chairs abîmées,
la joyeuse qui répond aux questions sur comment réparer les chairs meurtries

soyons précautionneux ou courons au naufrage ;
la lenteur avec laquelle elle a joué Von fremden Ländern und Menschen
est une sorte de naufrage, mais sans eau, et sans bateau ! c’est ça !

l’exercice de l’amour n’est pas chose facile : le sentiment est abrutissant
le sentiment est répétitif comme les romans, enfermant comme les armoires,
ô riants cadavres des amours !

ENTRE RIEN ET QUELQUE CHOSE

J’y tiens. À ce que je ne connais pas, entre rien et quelque chose. Obstinément.
Sinon rien n’est dit, rien ne se dira. Ne s’agit pas d’espace, ne s’agit pas de moment. Ne s’agit pas de fantaisie prédéfinie. Ne s’agit pas d’obstacle ni d’intention.

De ce ne s’agit pas, naît, si les exclusions persistent à se succéder, une forme en millefeuille, un palimpseste secret mais intrigant. Au point que leurs rebords s’invaginent. Et que rien n’excède ce point entre rien et quelque chose. Et pourtant il y aura quelque chose.

 

 

 

 

 

 

 

 

Au moment du quelque chose, à sa date advenue, son surgissement est tellement précipité qu’il peut passer inaperçu, dans l’inconnaissance. Le basculement de ce que je ne connais pas existe pourtant, sans hiatus : entre rien et quelque chose, une manifestation, je ne peux pas dire une preuve, mais presque, subsiste.

Le bizarre de l’affaire se présente comme une neutralisation active de l’intention, une cessation aiguisée du fil du temps, une suspension, un soupir rétroactif. Et une difficulté évidente à dire sans trahir.
Rien peut ressembler à quelque chose. Quelque chose ne ressemble pas à rien.

[Jan Steen – La mauvaise compagnie, 1665, Musée du Louvre, Paris]

mouvements des nuages, sillages des avions

L’homme dort avec le chien.
La jeune fille photographie le chien venu mettre sa tête contre celle de l’homme.
Le chien est noir et blanc, de la race de Clément Houellebecq.
Un peu du bruit de la circulation routière se fait entendre.
Des enfants parlent néerlandais dans l’eau du lac.
Une grosse dame coiffée d’une casquette verte vient considérer l’homme allongé dans l’herbe.
Le chien noir et blanc a rejoint ses propriétaires flamands.
La jeune fille a rejoint la tablée voisine de celle du chien.
L’eau du lac est opalescente.
Le chien vaque d’une table à l’autre.
Il lappe volontiers l’eau du lac.