ô riants cadavres des amours !

elles sont disparates et elle les regarde : les phrases
elles sont fugitives et elle les perd : les pensées
elles sont grossières et elle les évite : les foules

ce qu’elle dit : c’est ça !, à tout bout de champ, joyeuse, c’est ça !
la vraie joyeuse meurtrie qui s’occupe des chairs abîmées,
la joyeuse qui répond aux questions sur comment réparer les chairs meurtries

soyons précautionneux ou courons au naufrage ;
la lenteur avec laquelle elle a joué Von fremden Ländern und Menschen
est une sorte de naufrage, mais sans eau, et sans bateau ! c’est ça !

l’exercice de l’amour n’est pas chose facile : le sentiment est abrutissant
le sentiment est répétitif comme les romans, enfermant comme les armoires,
ô riants cadavres des amours !

ENTRE RIEN ET QUELQUE CHOSE

J’y tiens. À ce que je ne connais pas, entre rien et quelque chose. Obstinément.
Sinon rien n’est dit, rien ne se dira. Ne s’agit pas d’espace, ne s’agit pas de moment. Ne s’agit pas de fantaisie prédéfinie. Ne s’agit pas d’obstacle ni d’intention.

De ce ne s’agit pas, naît, si les exclusions persistent à se succéder, une forme en millefeuille, un palimpseste secret mais intrigant. Au point que leurs rebords s’invaginent. Et que rien n’excède ce point entre rien et quelque chose. Et pourtant il y aura quelque chose.

 

 

 

 

 

 

 

 

Au moment du quelque chose, à sa date advenue, son surgissement est tellement précipité qu’il peut passer inaperçu, dans l’inconnaissance. Le basculement de ce que je ne connais pas existe pourtant, sans hiatus : entre rien et quelque chose, une manifestation, je ne peux pas dire une preuve, mais presque, subsiste.

Le bizarre de l’affaire se présente comme une neutralisation active de l’intention, une cessation aiguisée du fil du temps, une suspension, un soupir rétroactif. Et une difficulté évidente à dire sans trahir.
Rien peut ressembler à quelque chose. Quelque chose ne ressemble pas à rien.

[Jan Steen – La mauvaise compagnie, 1665, Musée du Louvre, Paris]

mouvements des nuages, sillages des avions

L’homme dort avec le chien.
La jeune fille photographie le chien venu mettre sa tête contre celle de l’homme.
Le chien est noir et blanc, de la race de Clément Houellebecq.
Un peu du bruit de la circulation routière se fait entendre.
Des enfants parlent néerlandais dans l’eau du lac.
Une grosse dame coiffée d’une casquette verte vient considérer l’homme allongé dans l’herbe.
Le chien noir et blanc a rejoint ses propriétaires flamands.
La jeune fille a rejoint la tablée voisine de celle du chien.
L’eau du lac est opalescente.
Le chien vaque d’une table à l’autre.
Il lappe volontiers l’eau du lac.

un flottement de noir&blanc

ce flottement, d’abord apparu sur un banc, n’était pas encore noir&blanc

portant des bretelles violettes, un homme lent au journal caché paraissait hésiter

une femme réfléchissait assise devant un mur troué d’une porte verte écaillée

plus tard, B. lui dit d’écrire, dans un léger rire que des bruits de sirènes ponctuaient

un homme rangeait ses journaux plus tôt que d’habitude, il souffrait des dents

le flottement, identique à celui des ans, nimbait de vieilles vitrines inchangées

quand le temps indolent s’étalait, la femme achetait le journal, celui-ci, le même

de noir&blanc le flottement consistait à l’endroit précis où se tenaient les assis

du moindre effort (matériau pour une plaidoirie et un epsilon)

Du Moindre Effort, 2017, document écrit et illustré, format A3 horizontal sur papier épais ivoire
avec un peu de grain,
encadré par les soins de Sylvain Sorgato et accroché dans l’exposition collective La Main Invisible des 10 et 11 juin 2017 dans l’atelier de Jérôme Borel
pour La Belle Absente présente *


* Jérôme Borel et la Belle Absente présentent
La Main Invisible sur une idée de Sylvain Sorgato

samedi 10 juin de 16h à 22h & dimanche 11 juin de 14h à 19h
184, rue de Crimée 75019 Paris
avec : Florent Audoye – Vassili Balatsos – Julien Blanpied – Jérôme Borel – Martin Bourdanove – Olivier Breuil – Denis Brun – Alexandre Callay – Christophe Cuzin – Jean-François Demeure – Emilie Duserre – Léa Eouzan – Alexandre Erre – Isabelle Ferreira – Pierre Fraenkel – la Furieuse Company – Louis Gary – Christian Giordano – Christoph Hinterhuber – Corinne Laroche – Gwendal Légo – Julien Lévy – Amélie Lucas-Gary – Oscar Malessène – Cyrille Martin – Vincent Mesaros – Miquel Mont – Édith Msika – Jean Rault – Magali Sanheira – Julie Savoye – Thimothée Schaelstraete – Zukhra Sharipova – Aude Sorgato – Sylvain Sorgato – Jean-Marc Thommen – Emmanuelle Villard

elles sont toutes si nombreuses et je suis si désespérée

(pour Glenn Gould)

immédiatement elles se martèlent,
et puis retombent, un silence,
la tension du temps, l’exécution, sublime,
justesse revient, revient, revient

bercées en un petit hamac, elles,
et le silence, au pourtour velouté,
un peu de cette couleur que je ne sais nommer,
voile, de l’épais passé, la ferraille tombée

elles, encore, chaleureuses, sans répit
amadouent leurs triolets formés
et les liens, courts, entre deux et trois

divisibles, retiennent dans l’exécution
des accents puissants et pulpeux,
elles, les notes, leurs intervalles