à la brasserie du rugby (rédaction)

un homme mange des oeufs durs mayo
et regarde son ordinateur
(regardant son ordinateur, le lisant ? pourquoi pas ?)

la brasserie est déserte, non qu’il soit tard
(pas complètement déserte)
l’homme se régale
(comment trouver un autre verbe, et la petite fille de suçoter son stylo)

au milieu de la pièce (pièce ?)
se trouvent deux autres mangeurs, un homme et une femme
sur les murs, des écrans, l’un petit l’autre grand du double
où se déroule un match, le même
(est-ce si important, madame, que le match se déroule ?)

étonnamment déserte, la brasserie
la serveuse passe en souriant et dit : c’est la grève
(mais enfin, la grève n’a pas commencé ?)
oui mais les gens ne sont pas sortis
(ni rentrés ni sortis ? enfuis ?)

ils ont choisi le milieu mathématique
pour s’installer (tu es sûre qu’ils s’installent ?)
ils ont choisi le milieu de la salle (mieux que pièce)
ils ont clamé : tant qu’à faire, autant le milieu !

et les oeufs durs mayo ?
la femme a regardé l’homme au fond et lui a lancé
ah ! c’est bon les oeufs mayo !
l’homme avec qui elle était s’est retourné
tout le monde a pu constater (constater ?)
à quel point les oeufs mayo dans une brasserie déserte
focalisent l’attention (oui, enfin, éviter les clichés)

et le match ? de foot à la brasserie du rugby
(c’est comme ça et c’est pas plus mal)

saisissez le titre

le mot le nom
le mot le titre le nom
le nom le titre
le mot

le mot le nom quelqu’un
le nom le titre
quelqu’un

le mot le nom
le nom personne

personne

{il n’y a pas de phrase simple} + 1 [hyp.]

rien n’est simple, ni le mot ni l’homme ni le poisson

de nombreux mots se glissent comme des poissons
sous les ceintures abdominales et dévorent les organes
de la raison ; car la raison est un poisson intérieur

les mots au fond des bouches qui font plop à la sortie,
les mots à la surface comme quand on fait le poisson,
s’exercent à avoir raison de la raison
c’est la chose la plus forte – la plus forte (répète l’écho) –

*

je descends à S. pour écrire un mot
je ne m’appelle pas mon ami Pierrot
bien sûr que non ; devant le miroir
je fais le poisson que je ne mange pas

je descends à S. pour écrire un mot
et rencontrer le poisson que je ne suis pas
la solution que je mangerais violemment

la violence n’est jamais une solution, le poisson peut-être

la théorie de l’évolution n’est pas seulement
l’histoire de l’humanité mais aussi l’aspiration
à ce que l’être évolue tout au long de sa vie
or l’être peut revenir en arrière, redevenir poisson
[hyp.]

vieille France !

Elle farfouille dans sa boîte aux lettres. En sort des prospectus, fébrile.
Marmonne ostensiblement. Mais qu’est-ce que c’est que ça ! Et ça ! Et ça ! Déchire. Jette. 

L’autre s’approche :
– V
ous pourriez faire mettre Pas de publicité sur votre boîte aux lettres, comme ça, sous les noms.
– Il n’y a pas de place.
– Oui, parce qu’il y a trois noms. Mais vous pourriez faire mettre les noms sur deux lignes au lieu de trois, comme ceci, on enlève la ligne 2, on fait remonter le deuxième nom à côté du premier, on sépare par un tiret les deux noms, on remonte la ligne 3 et il reste de la place pour Pas de publicité.
– Non, les trois noms, c’est personnel.
– Oui, ça n’empêche pas, regardez. L’autre femme réexplique les lignes, la disposition des noms, la place ménagée pour Pas de publicité.
– Oui, sûrement, peut-être. 

Puis, les prospectus à la main, il en reste, à moitié sortis d’une enveloppe, elle s’écrie : je suis chrétienne, moi, je suis pour la vieille France ! Je ne veux pas de ça dans ma boîte aux lettres ! Ah non ! Ça non !
Et, dans un élan furieux de la dernière heure avant le lendemain, de tout son élan d’élégante et digne croyante africaine, elle pivote brusquement et se dirige vers son bâtiment.

passage contemporain

De larges oiseaux planaient sur la Seine calme, pas très haut, indolents, dans un ciel déjà paresseusement bas. Un peu plus loin, dans un passage ressemblant à celui où avait habité Céline dans ses jeunes années, une boutique vivait son début d’après-midi avec la dose d’ennui habituelle aux heures lentes.
Personne ou presque ne passait à ces heures dans le passage.

Un homme fit tintinnabuler le mobile suspendu à la porte de la boutique. L’employée, qui lisait un livre de littérature japonaise contemporaine de bonne qualité, le posa plié sur l’imprimante sans se presser, se leva et salua l’homme qui se présenta comme huissier. L’employée dit qu’elle n’était que l’employée. L’homme expliqua alors des impayés, et qu’il fallait noter les objets et meubles à saisir.
Bien sûr, faites, dit l’employée.
L’huissier emprunta un petit espace libre à côté de la machine à carte bleue et commença, debout, à noter scupuleusement ce qu’il pourrait saisir, des étagères, l’imprimante, des objets, des boîtes, des tasses, des coffrets, un siège, l’ordinateur, etc.

Alors qu’il était en train de noter en reprenant à mi-voix ses notes, la porte re-tintinnabula. L’employée s’étant brièvement ré-assise, se releva pour saluer le nouvel arrivant.
L’homme était agité, un peu. L’employée le connaissait, il lui avait déjà acheté des cartes postales exposées sur un présentoir tournant dans le passage. Son agitation tenait à certaines de ces cartes postales : il expliqua à l’employée que des esprits avaient envié ses cartes postales au point de les lui avoir dérobées, et qu’il fallait qu’il en rachetât ; que les monuments parisiens classiquement représentés sur ces cartes étaient l’objet d’une furieuse convoitise des services secrets spéciaux, et avaient disparu.
Les monuments ? avait interrogé, surprise, l’employée. Oui, les monuments. C’est pourquoi je dois racheter certaines de ces cartes.
D’accord, choisissez et dites-moi, avait répondu l’employée. L’homme était sorti puis re-rentré dans la boutique ; il avait ensuite obtenu d’autres monuments représentés sur des magnets, qu’il avait achetés, au nombre de neuf.

Toujours debout, l’huissier continuait de noter les choses à saisir en marmonnant en même temps ces mêmes choses comme pour se persuader de leur réalité.
L’homme agité avait terminé son recensement et payait l’ensemble des monuments représentés dont cette fois personne ne pourrait le dépouiller, puis demanda avant de partir : il paraît que la boutique va fermer ? Oui, répondit l’employée jetant un coup d’oeil vers l’huissier. Mais l’huissier ne semblait pas avoir entendu ; il termina de remplir son document, le remit à l’employée, la salua, et disparut.

L’employée reprit alors la lecture de son roman japonais contemporain de bonne qualité, avec la légère crainte de le finir avant l’heure de la fermeture : elle n’avait plus rien d’autre à lire ensuite.

rognures de notes

25 janvier 2017
« le tout sans nouveauté qu’un espacement de la lecture »
Préface à Un coup de dés. Épigraphe de L’écriture et la différence,
Jacques Derrida.

31 mars 2017
Loue à la semaine ou au mois, chambre meublée dans annexe propriété.
Calme et sérénité pour vous reposer en toute tranquillité.
Proximité EPR Flamanville, AREVA, DCNS.
TV, WIFI, 
Salle de bain équipée d’une douche et sanitaire
.
Coin cuisine mis à disposition sur demande (charges en sus)

11 avril 2017
(pour le Palais de Tokyo)
s’il faut une pensée pour la culture,

elle sera sans culte aucun,
plutôt fêlure, épluchure, blessure
sans candidature ni clôture

4 mai 2017
exercices de présent : avec les autres, un seul temps (sauf conversations évoquant le passé ou le futur)
seul : tous les temps sans cesse, tous les possibles : le roman, aussi

26 juin 2017
Samuel Beckett – fils de May et Bill Beckett –
Murphy a été refusé par quarante-deux éditeurs en deux ans avant de trouver preneur. Transposition légèrement exagérée de la réalité de cet échec, Krapp, l’ivrogne délabré de La dernière bande, déclare avec humour: « Dix-sept exemplaires vendus, dont onze à prix de gros à des bibliothèques municipales, d’au-delà des mers. En passe d’être quelqu’un. »

21 décembre 2017
Une femme et un homme se rencontrent, puis se désajustent progressivement.
Un poirier est le témoin intermittent de cette désagrégation.

3 avril 2018
Hegel montre que si je pense à une chose, je suis forcé de penser à son contraire, qu’une chose et son contraire forment un couple et qu’il y a de la vérité seulement dans leur contradiction. Dans Science de la logique, il en donne cet exemple : la vérité, c’est ce qui se conserve. Il s’approche d’une fenêtre et dit : «Maintenant, il fait jour. Est-ce vrai ? Voyons si ça se conserve.» Douze heures après, évidemment, il fait nuit.
Donc le jour et la nuit ne sont pas la vérité puisqu’ils ne se sont pas conservés, mais quelque chose s’est conservé, c’est : «Maintenant, il fait.» 

(Alain Robbe-Grillet dans une interview à propos de La reprise, 2001)

7 mai 2018
Vérité rime avec liberté. Avec cruauté. Notamment à l’égard des formes. Mieux découpées, les formes. Plus claires, plus lisibles, plus tranchantes. Détachées du magma : vérité, aussi.

23 juillet 2018
la juxtaposition permet la concomitance, laissant planer une indécidabilité quant à la causalité
sélection : modus operandi d’un rapport décidé (déterminé) à l’esthétique
prédilection : employer plus souvent ce terme
je préfère ma propre compagnie à celle de beaucoup d’autres – Lauren Bacall & moi –

                                                                                                                      Francis Gruber, Nu au gilet rouge, 1944