dans la rue Belliard déserte

 

au point d’un texte
à vélo
une femme et son chien très petit
au bout d’une laisse
une femme Chinoise
tire sur la laisse
femme le suit
tout petit chien
sur l’allée centrale
tirant vers l’arbre
pour pisser
laisse dont je me
serais débarrassée
à vélo
au point d’un texte
tirant sur ma laisse
pourtant à vélo
à queue tirebouchonnée
et gueule renfrognée
poils courts soyeux
robe rouge de la femme
mon coup de pédale
éperdu
dans la rue Belliard déserte
comme si jamais
ne serais débarrassée
comme si le petit chien
tirant sur sa laisse
tirant la femme Chinoise
étonnée
comme si j’étais lui
décidé vers l’arbre
décidé dans une direction
plus décidé que quiconque
au point d’un texte
à vélo
dans la rue Belliard déserte.

                                                                                                                           Simon Hantaï, Tabula, 1980 (détail)

j’ai encore vu Marguerite

 

me frappent ces yeux, tous ces yeux dessinés
dans lesquels je ne lis que bonté

droiture du regard au milieu du chiffonnage du visage

les portraits d’A.A. de 1947 me regardent droit dans les yeux
bonté définitive, confiance inouïe

tandis qu’il se fouille les vertèbres sur un banc
à l’arrêt de l’autobus à Ivry

existe le vrai creusé de l’après-guerre
de toute la complication du visage de celui qui ne viendra pas*

………………………………………………………………………………

il est resté, lesté du seul poids de la mémoire faillible,
un peu du sel d’un souvenir :

j’ai encore vu Marguerite, mais où ?

 

* J’ai attendu toute la soirée des visites qui ne sont pas venues ; par contre j’ai reçu la visite de Robert Michelet et d’un de ses amis qui fout en l’air l’ésotérisme.
 Ce portrait est celui d’un prisonnier de la Santé.
Antonin Artaud, Portrait d’homme, circa juin 1947

                                                                                                                                    non loin d’Ivry

Les phénomènes / 3h52.

Le recul avec lequel elle lui parla de l’instinct. Le recul nécessaire, non pas à analyser ni comprendre ni appréhender le phénomène qui les a tous encagés, mais à poser un regard intéressé sur ce qui sourd et qu’on ne connaît pas. L’instinct.

Les événements, à propos desquels prendre position, ne rien savoir, en apprendre, écouter. La succession des événements de différentes natures. Elle le pensa. N’en dit rien. Continua de le penser.

Et aussi : l’histoire va plus vite que nous. Mais rien ne va plus vite. Et aussi : la réalité : est-elle plus tangible à la campagne qu’à la ville ? Les phénomènes. L’histoire. La succession des événements (de ce qui arrive, de ce qui advient, comme si on n’avait pas bien compris).

Le mot-même ne fut pas prononcé. Une périphrase à la place d’un mot ferait l’affaire. À 3h52. Une opération militaire spéciale, pas une guerre. Et le tour est joué. Billard à cinq bandes. On se retire de la pensée ? pensa-t-elle en écoutant la radio, changeant prestement de station.

Ce qui est détruit. Ce qui sera détruit. Et bien sûr ce qui a été détruit. Et même Détruire, dit-elle. On n’a pas bien compris. L’instinct conduit à se représenter ce qu’on ne saurait comprendre.
Or les phénomènes se produisent aussi à une heure précise.

gigue du contemporain déchu

Parfois on parle en différé,
on parle sur une idée déjà passée,
qu’on a vue passer,
comme un canard qu’on rate, à la chasse.

 

je suis tranquille, c’est un moment
où je suis tranquille, je me répète mais c’est
parce que je suis tranquille

les bruits de moteur persistent mais
je suis tranquille

ombres chuchotées

ce moment où je suis tranquille,
extrêmement court,
file, se désagrège

l’avant n’est qu’un nombre

circulation de signes effusifs
mesure du temps disparu
résistance à la page

fenêtre cadre de l’oeil
cadre dedans-dehors

l’araignée : condenser & déplacer

au milieu des recherches,
ni jour ni lendemain

phrase parce qu’il en fallait une
et toutes ces questions
sur l’araignée polysémique.

Photogramme du film In girum imus nocte et consumimur igni, de Guy Debord, 1978.

énoncés bitume, aube & pluie

de sa fenêtre, de toutes ses fenêtres, 4 + 1 dans l’arrondi, elle a vu la scène de la petite place, le vent qui secoue les lumières nées des arbres et de la pluie à cause du réverbère

il est presque 8h, elle s’est réveillée vers 5h30, dehors c’est encore la nuit, la pluie, les arbres doucement bougés par le vent très visibles grâce au réverbère sur la petite place – et la pluie

l’eau de la pluie là-bas sur les lumières fantoches
fait briller le macadam,
l’eau de pluie dispense ses gouttes qui explosent
sur le rebondi du réverbère

plus tard : elle se souviendra de la scène alors que la ville dort encore ;
elle la répètera à un ami au téléphone, sauf si l’autre a beaucoup de choses à lui dire du genre je voudrais quitter la ville,

la scène, petite, serait un décor de film, et rien d’autre /
elle a enregistré les détails, surtout la lumière pluvieuse sur le bitume,
et le vert incroyable de l’arbre /
peu de choses, mais qui font comme une fontaine de choses réverbérables.

like of the like is like
anonyme, siècle vain

÷/÷ configuration d’un interstice ÷\÷



quand l’horizon devient trop long

trop près de l’exactitude

marteau-piqueur

guitare de la grande fille, à terre

Pessoa, l’actualité d’il y a 20 ans

revenir revenir

on a parlé de jardins : à la fin, je la laisse dans un jardin




c’est à dire : soit laisser les trous, soit pas

le temps est lent, et court, le temps court




j’attribue des qualités à des petites cuillères

six qualités ou douze pour six petites cuillères

complexité, régularité, selon des motifs japonais

je pense à d’autres qualités mais soudain je m’en vais




il dit : c’est mauvais quand il y a trop de je

en réponse à une question

je modifie souvent les énoncés, je déplace les termes




enfin, sous les colonnades s’appuyer.