le chien a été au musée
et pendant ce temps
langue pendante
Tchécoslovaquie envahie
par ce violoncelle
et des fumées sombres
des traces diffusées
le chien est au musée
Édith Msika, maison d'écriture
écrire et ne pas écrire : ce mouvement
[les textes sont des textes, de toutes sortes, de toutes tailles, et comprennent également ce qu’ailleurs on nomme poèmes]
le chien a été au musée
et pendant ce temps
langue pendante
Tchécoslovaquie envahie
par ce violoncelle
et des fumées sombres
des traces diffusées
le chien est au musée
[reprise couturée de Rue, un texte, sans photo]
Dans une province villageoise, non loin de la mer. Un bras de mer arrive dans le village, qui suffit à la distraction coutumière des villageois. La mer dans laquelle on se roule n’est pas de mise ; c’est un village de travailleurs. On se lève le samedi matin pour faire ses civilités au marché. Et le dimanche, on chasse de très bonne heure, dans les brumes humides quand la campagne sent l’humus.
M. ne travaille pas ; elle est amoureuse de l’homme. Assis à son bureau, avec des lunettes à monture épaisse, écaille, l’homme la regarde. L’homme travaille. M. pose son pull sur le dos d’une chaise et ne sait quelle contenance se donner. L’homme corrige des copies tandis que le feu crépite dans la cheminée. Il lève le nez de ses copies et la regarde fixement. Ses yeux sont bleus, c’est une fente de bleu. M. parle, parle.
Après avoir déposé son pull, elle parle, elle est allée au marché, elle y a trouvé des bottes, regarde mes bottes elle s’extasie. Les bottes sont couleur caramel en skaï avec des talons carrés et hauts. Elle ne fait rien, elle s’ennuie, elle achète des bottes, elle achète en skaï et tente de faire croire, avec l’intonation idoine, que c’est comme si c’était du cuir, ça n’en est pas mais presque, c’en est à force de n’en n’être pas.
Elle-même, elle ne sait pas si elle est en cuir ou en skaï.
M. a marché dans le village pour essayer ses bottes. Le nez dessus, elle a regardé son reflet dans chaque vitrine. Elle ne se lasse pas de contempler ses bottes dans les vitrines éteintes. Le reflet est bien meilleur quand les lumières sont éteintes. C’est l’heure de la sieste, les magasins sont éteints. M. croit que c’est l’heure de la sieste, mais c’est l’heure du travail, toute la journée c’est le travail. Elle erre dans le village, elle décide de trajectoires compliquées, il s’agit de ne pas se faire voir plusieurs fois des mêmes personnes. Et prépare des raisonnements pour si on l’interroge. Elle lève le menton, ferme sa bouche, se rend dure, marche fermement avec ses bottes qui la rassurent. Elle prend des angles droits après des façades aveugles et grises, s’approche de l’établissement où enseigne l’homme qu’elle aime, puis s’en éloigne. L’homme fait étudier des poèmes qu’elle a écrit, plus jeune, à des élèves qui ont son âge.
M. fume énormément, puis jette ses clopes dans la cheminée. Elle voudrait garder l’homme pour elle toute seule. Tous les hommes, M. veut les garder pour elle, pour les observer, savoir ce qu’ils ont dans le crâne, percer leurs cerveaux. Parfois le matin, la voiture ne démarre pas dans le froid humide. M. dit à l’homme viens te recoucher, n’y va pas, c’est trop tard, mets-toi en maladie. Viens me rejoindre dans le lit. L’homme essaie de démarrer le moteur, il veut y aller, c’est important, il doit rendre des copies, faire un cours. M. a voulu l’homme, terriblement, il l’a d’abord trouvée pressée, alors elle l’a rendu jaloux avec d’autres pour qu’il s’attache, et maintenant, dans ce désert provincial, elle se rend compte que même une colonie d’hommes à observer ne suffirait pas.
[avec Objet de rue, et Au bout de la rue, deux photos]
un texte qui dirait la rue comme M. l’aime
c’est à dire comme elle l’arpente depuis des années
à la recherche d’indices,
comme il est impossible qu’elle se la dise,
la rue ne fait que s’arpenter, ne montre presque rien
au bout de la rue, presque rien
cette question du regard est centrale, et pourtant
M. ne veut pas la voir, elle refuse de voir la question,
elle refuse d’accorder de l’importance aux photos
elle veut dire la rue, seulement, elle ne veut rien voir
il n’y a que deux photos, il ne reste plus que deux photos
et la rue s’est vidée : dans ce vide, M. passe
nous hésitons devant la mer, qui tout d’un coup nous paraît plate,
et la ligne d’horizon muette,
nous réquisitionnons (le sens)
parce que ce n’est pas lu, ce n’est jamais lu comme ce devrait, l’éloignement s’impose,
parce que ce que nous avons sous les yeux n’est pas propice,
nous devons nous éloigner,
parce que tel qu’est le paysage, nous manquons de hauteur :
reculons-nous, éloignons-nous
il s’agirait de s’éloigner, d’avoir de la visibilité,
la plus visible des visibilités comme en haut d’un panorama montagneux,
comme le majestueux donne le la d’un paysage aux gravitations retournées (qui cacherait au fond de ses vallées nombre de vies)
la visibilité nous a été donnée dès le lever des brume matutinales, lentes
………………………………………………………………………………………………………
la ligne d’horizon était loin, loin de nos yeux, et n’existait pas
nos yeux ne pouvaient pas la voir,
ils la scrutaient pourtant avec insistance,
l’insistance de ceux qui existent et cherchent
là-bas loin, on ne pouvait rien apercevoir, la côte de l’autre bord,
le bord de l’autre côte : absent au voir, soustrait liquide bleu vert
amenuisé de dire, jouant avec les cailloux et le sable
y traçant dessins pour le prochain passant
nous avons cherché dans la flaque l’écho du minuscule et de l’immense
plus tard, il y eut ce dialogue, qui est le commencement de tout,
et dont la question est le régime de routine :
la ligne d’horizon avait une couleur, quelle en était la couleur ?
blanche, peut-être blanche, il nous semble que blanche
…………………………………………………………………………………………………
nous entendons les voix de ceux qui attendent derrière leur soupirail,
ils veulent avoir accès au panorama vert, bleu,
de nuances de vert et de nuances de bleu, les nuances infinies,
ils veulent l’infini (il n’y a d’insistance que d’exister)
tu l’as lu ?
non je ne l’ai pas lu
les récits de l’année passée sont passés
l’année est passée
certaines choses reviennent.
tu écris souvent ?
il n’écrit plus beaucoup
il est déçu, son livre ne s’est pas vendu
on dirait du Marguerite Duras, non ?
c’est fini.
c’est désopilant
quoi ?
le marsupilami.
elle écrit comme dans les années, là
ah oui, les années, là.
il est bien, son éditeur ?
ça dépend ce qu’on entend par bien
qu’est-ce que tu voulais dire ?
avec certains : le sentiment.
je ne le vois plus depuis un moment
bah, ce sont de vieilles histoires
t’as peur de la mort, toi ?
il y a beaucoup de choses, je n’ai pas tout lu
j’ai lu mais ça n’avance pas, alors
j’ai feuilleté, bof
je ne suis pas rentré dedans
j’ai eu du mal à finir
il a pris un tournevis pour ça ?
ça marchait mieux avec une pince, il a pris une pince
je crois que je préfère encore ne pas y aller
finalement tu as fait quoi ?
ils s’entendent moyen
on s’en va ?
oui.
j’avais quelque chose à faire, je me précipitai, je me déchirai, je ne trouvai plus le terme exact,
j’avais quelque chose à faire, c’était urgent, je devais vivre sous la neige, vers le fleuve, dans une baignoire,
je devais vivre dans le froid d’un livre entier une nuit entière, deux, trois,
je grelottai dans mes gants, je tournai les pages, je devais taire son nom comme ceux des autres,
je devais vivre avec eux, en meute, nous avions quelque chose à faire, sans sacs, en bottes, à grands pas immesurés,
c’était urgent, il nous fallait de la viande et du thon, vite, enragés à grands pas immesurés, du scotch et des lanières,
c’était urgent, je devais faire quelque chose, je me précipitai, je me déchirai, le papier manquait, je tournai la tête, ils étaient là,
j’avais quelque chose à faire, personne n’attendait, le fleuve silencieux filait noir absorbé, leurs ombres rapides sur le pont.