grammaire au jardin (à défaut)

 

elle photographie des chaises vides
leurs couleurs sur l’herbe etc.

elle aurait été dans l’amour l’amour
ses pieds dans des sandales mouillées ?

*

l’orage a tout nettoyé
le piano ruisselle de Brahms
j’arrache des touffes
les ongles noirs de terre
je coupe des roses
je regarde les agapanthes
j’aperçois les fraises
je médite sur la couleur des hortensias
je marche dans le jardin
il n’y a personne autour
je n’aime ni les gens lents
ni les gens rapides
je n’aimais pas la terre
je n’aimais pas les fleurs
les ongles noirs de terre
je me penche & pense à la figure
de celui que l’esprit a déserté

le moment est rapide
le soleil n’a pas encore tout envahi
je fais des courants d’air partout
je ne regarde presque rien
je pense et ne pense plus
le piano ruisselle de Ravel

• les oiseaux méritent une ligne à part •

 

 

dédicace trouée de sempiternelles piailleries

je pense à eux mais je ne fais rien
je pense à elle mais je ne fais rien

je ne pense pas
je pense rien

 

 

 

 

s’il arrive que je pense, je pense
je pense à elle, mais plutôt à eux

je ne fais rien
je continue à ne rien faire

je ne fais pas rien
je fais sans faire

je repense à eux, ou bien à elle
elle, est un personnage

eux, sont des gens
je pense à eux

ce n’est pas vrai
je ne pense à rien

un jour, je penserai,
c’est faux

je n’ai jamais pensé
il m’est arrivé de penser

je ne peux rien faire
je ne peux rien y faire

je ne pense plus à eux
je penserai une autre fois

un jour j’ai été pensée
je n’ai jamais rien pensé

je n’en pense rien, absolument rien
je pense à lui, quelqu’un

quand je pense à eux, je ne fais rien
je n’ai jamais rien fait

je ne pense pas du tout à lui
je pense à elle, personnage

je pense à eux, c’est vous
je pense à elle, c’est elle

je pense à haute voix
j’entends que je pense

je pense encore à eux
c’est souvent que je pense à eux

explications & pensées

ce que c’est : de l’oseille

un homme s’approche de la verrière
il explique la lumière, le soleil, l’ouverture, l’exposition
l’homme aime expliquer on a le soleil, là, ici, comme ça,
à grands gestes il explique le rapport des ouvertures et du soleil,
il explique leur fenêtre à une femme, il explique l’orientation à sa femme,
il explique par la verrière leur fenêtre, sa taille et sa mesure,
il explique leur salon, leur vie, leur soleil, comment il rentre,
comment rentre le soleil chez eux

plus loin, sur un banc, un homme est assis,
devant la serre sa femme s’exclame, mais regarde toutes ces coccinelles,
il y en a tant, oui, ce sont des coccinelles,
ils ont le dos contre un mur ensoleillé où d’incessantes coccinelles dessinent
des mouvements désordonnés,
il se tourne vers le mur et regarde l’ivre ballet des coccinelles,
certaines tombent sur lui, et sur elle,
et tout en les regardant, l’homme explique ce qu’elles mangent, les coccinelles

plus loin, dans un carré jardiné, un homme explique l’oseille,
ce qu’est l’oseille, comment l’oseille, pourquoi l’oseille,
à quel moment l’oseille,
bras derrière le dos, l’homme revient vers sa femme
et explique surtout ce que c’est : de l’oseille

des pensées dans le bruit

dans tout ce bruit, il y  a des choses qu’on pense très fort,
à la mesure du bruit,
dès qu’on enlève le bruit, pas sûr qu’on pense, pas sûr
qu’on pense la même chose

à la mesure du bruit : urbain, de voix, de moteurs, de sirènes,
de la ville qui bruisse
de bruit comme mer, immédiat,
de bruit à regarder des images bruitées

pas sûr qu’on pense encore, mais la pensée semble
plus forte, des pensées saillantes, des pensées
diluées dans l’espace du monde,
en ses carrefours bruyants

des pensées comme des rochers, arrêtées, solides,
dans l’espace du bruit,
en sont-ce encore ?

 

parfois je m’arrête de penser :: les mal dit

tource n’est pas la même chose que d’être empêchée de penser :
si je m’arrête c’est que je pourrais penser mais que non
si je suis empêchée de penser, c’est qu’un gros bouchon noir l’interdit
je préfère m’arrêter de penser mais je n’ai pas le choix

il est presque neuf heures, je pense que parfois je m’arrête de penser
et que ce n’est pas la même chose que d’être empêchée de penser
qui se produit plutôt le soir avec le gros bouchon noir
et qui s’écrit comme une tache d’encre, comme un mal dit

j’aimais beaucoup les mal dit quand j’en récoltais dans les champs
de la pensée qui s’arrête, interdite, j’en récoltais pas mal
avec les faux mouvements de la pensée qui ne se lève plus

je n’aimais pas du tout les mal dit quand j’en récoltais
dans les champs de la pensée empêchée,
avec les faux mouvements de la pensée qui fait des plis sur la joue