son menton tressautait sous les coups de sa langue à l’intérieur,
de petits coups de boutoir mécaniques de sa langue tandis qu’il me parlait
ses yeux derrière les verres, sans aucun éclat, ses yeux accompagnant
une immense tristesse dépassée, tandis qu’il me parlait de la drh
qui lui avait proposé une rupture conventionnelle
à l’intérieur de sa bouche, la langue venait ponctuer les phrases,
nerveusement elle faisait tressauter la partie inférieure
de la bouche dès qu’un mot était fini de prononcer
c’était sa résistance, pousser la partie inférieure de sa bouche avec sa langue cachée,
la pousser pour ponctuer les mots, pour signifier qu’une partie de son corps
n’était pas d’accord avec cette rupture conventionnelle
il en était sûr ils ne pouvaient rien contre lui avec sa langue qui poussait
à nouveau avec de petits coups qui bosselaient sa bouche sous la lèvre inférieure
comme une musique répétée un truc qui lui appartenait
qu’on ne pouvait pas lui enlever comme s’il tapait du pied avec sa bouche
il me remerciait sans cesse pour le saucisson que je lui avais proposé
de partager, il en coupait de grosses tranches qu’il engouffrait
dans sa bouche, jusqu’à la dernière qu’il prit pour la route
avant de me saluer
il disait qu’il buvait parce que l’après-midi avait été trop dure, qu’il lui fallait boire,
à cinquante-quatre ans de toutes façons qu’est-ce qu’il trouverait après
non, il fallait qu’il reste, ils ne pourraient rien
et ses yeux si moches, si tristes, si morts ne semblaient impliqués
que dans leur gymnastique synchronisée avec les petits coups de sa langue
dans le vestibule de sa bouche, dernière poche de résistance logée
dans la muqueuse protectrice la tapissant et qu’il titillait désespérément
défêlé déliaison / lettre de l’Entrepôt
(…)
je n’écris plus, il faudrait que j’écrive sur le défêlé la déliaison
la lettre de l’Entrepôt pourrait faire entremise
écrite à quelqu’un, à l’ami hors de prix
passant près d’un cimetière, tous les corps, de pierre entourés,
de pierre, de ciment, de béton, tous les corps invisibles
à nouveau, invisibles dès le début, invisibles à la fin
le défêlé : le passage des ans défait la fêlure
laquelle disparaît
les exagérations se rendent visibles depuis le lointain
excès calcifiés dans du ridicule
aucune conclusion ne peut être tirée
non plus que vin : tonneau vide
une immense introduction à tout
introduire, encore introduire, remonter l’objet, le sens
échappe absolument
je suis hélas un poème alors que je partirais
que je n’en voudrais pas
que j’ignore tout de ses effets
*
Lettre de l’Entrepôt.
Lettre dite de l’Entrepôt, avant qu’elle soit écrite, et qui ne serait peut-être jamais écrite.
Avec une adresse
Cher ami,
tout de suite détournée en
Cher, très cher ami, ami hors de prix,
qui débuta dans un autobus à la hauteur de l’ex-hôpital St Vincent de Paul, direction le Sud, longeant un chantier, un parmi tant, la ville entière est en chantier,
dont on trouve quelques traces malhabiles, interrogatives, préparatoires, dans un cahier jaune, le but étant toujours le même : ne pas oublier,
comme L’enfant fini – quel drôle de titre, dirent-ils, nombreux – écrit dans son cahier à New York le long de l’Hudson pour ne pas oublier ce qu’il vit.
Cher ami,
J’aurais pu commencer cette lettre par une circonstancielle : Depuis ces quarante dernières années…
Je peux la commencer par : deux espagnoles dont une en robe fluide imprimée, dressent les tables dans le mitan de l’après-midi alangui, et sûrement qu’alangui est de trop. Mais il contient langue.
Il y a aussi une recommandation, un avis plus ou moins secret. Une prescription, un danger : la lettre de l’Entrepôt ne doit pas ressembler à une lettre. Oui, mais alors à quoi ?

Cher ami si cher (finissons-en),
Je t’écris cette lettre de l’Entrepôt. Non pas depuis l’Entrepôt où je me trouve, mais de l’Entrepôt en tant qu’il a soudainement fait surgir cette lettre. Mais je voudrais ne pas préciser davantage.
Tu as disparu, ce serait un préalable au fait que tu me sois devenu si cher ; ce serait un début d’explication. Dans le fond, je ne sais pas qui tu es, et c’est ce qui fait ta valeur.
Si cette lettre a son importance, c’est qu’elle est bel et bien une lettre et que tu la reçois sans la demander, c’est le principe de la lettre : c’est un risque que de te l’envoyer. Je prends ce risque.
Par ailleurs, je prends le soleil (et le rends peu après qu’il m’a légèrement brûlée).
Ce n’est pas si facile de t’écrire, je n’y mets pas de mauvaise volonté, je voudrais bien, mais je constate : cette lettre, que je voudrais ample, court le risque de la recension de petits faits, tout ce que je voudrais éviter.
Il y a, dans les faits qui m’occupent, des petits, certes, et aussi des moyens et des grands. Mais t’entretenir de ces faits ne me semble pas à la hauteur de la Lettre de l’Entrepôt telle qu’elle survint après Port-Royal et avant Denfert-Rochereau. Très précisément dans cette portion de route bordée de murs.
Il y eut ensuite, dans un autre autobus, une bordure végétale qui maintint ma curiosité sur le vif, au long du cimetière Montparnasse, rue Froidevaux. De petits arbres, plantations et herbes folles protégés par une dentelle de fer peinte en vert éloignent la perception de l’idée de mur d’enceinte.
Ainsi, avant de penser cimetière, on peut penser décoration, si ton regard traîne vers le bas.
Les morts du cimetière ne sont pas réels, depuis ce bus aux vitres sales. On n’y pense pas vraiment. Pourtant ils sont morts et nombreux. On est désinvolte avec ces morts, avec la mort en général. Ils ont disparu, comme toi qui es ou n’es pas mort.
Mais qui suis-je pour statuer sur ton état ?
(…)
un jour je mettrai un titre (dizain x 2)
un jour un titre encadré à nouveau
qu’il n’y eut jamais comme il ne plut pas
non, il ne plut jamais, il n’y eut que soleil
et jamais mort, mort s’en alla sans titre
comme jamais n’y eut naissance :
elle ne plut ni au roi ni au bagnard
les faces A et B de plaire et pleuvoir
s’entremêlèrent tant que soleil darda
ensuite plus rien, encore une facétie facile
qu’elle eût pu mettre en titre
un jour je métrerai un titre, je le métrerai
avec précision, rigueur, valeur, excès
excès dans la délimitation du cadre
excès dans l’anaphore expansive
c’est tout vu c’est tout plu tout enfermé
dans le cadre millimétré à l’intérieur duquel
des mots enfermés à jamais crient
que personne n’entend, forcément
ça braille pas tant que ça un titre
il y manque des fleurs, il faudra pleuvoir
comptine en différé pour Paul O.-L.
[premier trimestre 2011]
la mémoire fait des sauts la mémoire fait défaut il y avait trois comptines, la 1, la 2, la 3 si je sais compter ici je retrouve la comptine 1, là la comptine 3 mais où est passée la comptine 2 ? …la voici, on dirait la cousine de la pyramide de verre que je caresse avec mes cinq doigts de la main gauche
Comptine 2
J’ai un nom, petit. Tellement petit, ce nom, que parfois je ne sais pas où il est, je le cherche au fond de ma poche, mais n’y trouve qu’un bouton, petit. Je caresse secrètement ce petit bouton dont il me semble me souvenir qu’il est bleu marine. Il ressemble à un bonbon. Mais je n’ai jamais mangé de bonbon bleu marine, il me semble. J’appuie dessus, je presse ce bouton, pensant qu’il en jaillira mon nom, si petit, perdu, dans cinq et cinq lettres. Cinq et cinq s’annulent, nous l’avons appris. Cinq en face de cinq dessinent aux yeux du marquis un, comment ça s’appelle déjà, un pas-de-deux, non, une sérénade, non, une valse, mais non, un menuet avec les petits chaussons, les socquettes de chat tout doux sur le plancher. Le bouton d’où le nom refuse de sortir, se perd dans un repli de la poche, en soie. Je cherche toujours mon nom, si petit, je farfouille dans la poche, en soie, de plus en plus distraitement, jusqu’à ce que je m’aperçoive que ma main droite a disparu, elle aussi, dans la poche. La soie aurait absorbé le nom, le bouton, la main. Cinq et cinq s’annulent, et je retiens rien. Je vais sur le quai surprendre le train sifflant deux fois dans la nuit de soie. Et je siffle mon nom avec les doigts de ma main gauche. Les cinq doigts de ma main gauche sont cinq, j’en ai des vapeurs, que le train retient, dans la nuit.
diverticule du voir
je caresse une pyramide de verre
je caresse ses pans symétriques
avec la pince de mon index et de mon pouce
je caresse une pyramide
de verre
avec la pince de mon pouce
de mon index et de mon majeur
je caresse une pyramide
de verre
avec la pince de mon pouce
et de mon annulaire je caresse
une pyramide
aux pans symétriques
je caresse avec mon pouce
et mon auriculaire une pyramide
de verre
de la base vers le sommet
je caresse les pans symétriques
d’une pyramide de verre
avec les doigts de ma main gauche
obstination relègue la mort plus loin
tentative de chercher quand rien n’est à chercher :
l’action ne sert que l’action, avec les paroles,
quand les paroles bruitent l’action, corps en branle
corps plié, corps debout, corps-singetentative de trouver, chercher encore : corps, mots, gestes
l’action n’est que la traduction du désir éperdu de perdurer
quand même chercher ne sert plus à rien
rien ne se trouvera mais rien se trouveralire singe partout, yeux rapetissés, leurs rides autour
corps souffrant cris, chercher encore à cris
l’action ne sert que l’action,
puis : assis, corps soufflant, à la raison se rendrerien se trouvera toujours si rien ne se trouve
chercher encore, tentative de trouver
