on ne se croirait pas dans le temps pas tellement dans le temps
prenons un petit bureau de bois haut sur ses quatre pattes brun époustouflant de patine attribuons-lui l’employé aux coudes revêtus de manchons de lustrine et disparaissons aussitôt
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de longs champs blonds inusités formeraient à coup sûr le développé d’une vue à perte et de l’orée de la forêt le sentier débutant que conviendraient d’occuper des pensées disparates
quelqu’un a noté la phrase qu’il venait de dire, accoudé à une table de bar haute, un mange debout elle était émerveillée que toutes affaires cessantes il notât la phrase
oui, dit-il, parce que sinon elle se perd
un type entre deux âges, maigre et sec, impossible de savoir ce qu’il faisait sinon noter sa phrase, n’était là que pour la noter sinon elle se perdait
elle était émerveillée de cela
était-elle autour du mange debout ? rien de moins sûr elle était un peu éloignée, un peu plus dans la salle une salle de bar d’avant, cependant déserte ou presque déserte
Marguerite Duras n’existait plus mais son parfum flottait dans le bar qui n’était qu’une salle déserte, dont même les tables avaient été ôtées peut-être ne restait-il que cette table haute ronde à laquelle le nom de mange debout fut accolé bien plus tard lorsque les salariés devaient manger debout pour faire plus vite et accroître dans des proportions non négligeables leur productivité
l’esprit de M.D. ? ce n’était pas non plus exact : dans cette salle de bar, le mange debout et l’homme qui prenait sa phrase en note plus cette femme un peu en retrait… mais aucun comptoir de bar en vue, aucun
peut-être était-ce une salle préparée en vue de danser ? les deux personnages en embuscade, avant de danser ? non, on ne voyait pas l’homme se préparer à danser : entre deux âges, sérieux, affairé à noter sa phrase, assez sympathique cependant, répondant volontiers à la femme qui ne posait pas spécialement de question, il faut le noter
la femme se tenait un peu en retrait et l’homme répondait à ce qui n’était pas une question oui, dit-il, parce que sinon elle se perd la femme était émerveillée du calme avec lequel il notait et surtout qu’il notait spécifiquement cette phrase-ci et pas une autre
dans cette réponse il y avait une puissance particulière du choix qui s’impose malgré la lourdeur de la narration qui le rapporte ensuite, une échappée gracieuse du saisissement immédiat qui rendait subitement les imparfaits acceptables : enfin des imparfaits courts, abandonnés, insaisissables
il y eut des apparitions
il faudra des apparitions, il en faudrait
il aurait fallu des apparitions
il y aurait des apparitions, et alors ?
ne se choisissent pas, ne sont pas élues
des apparitions surgissent
sans verbes, des apparitions surgissent
malgré tout quand même
des apparitions moelleuses
comme des figues sèches
elles rugissent et s’élèvent
de la brume leur amie proche
en bas elles sifflent près de la plage
marchent et disparaissent
ce que l’on préfère dans les apparitions
n’est-il pas leur disparition probable ?
La journée entière fut consacrée à la lecture. La veille, elle avait rencontré l’elfe aux yeux de lac de glace et c’était suffisant pour un jour. La lecture n’était pas revenue depuis longtemps. Mais elle avait reçu des livres, et s’était employée à les lire, sinon qu’en faire avant de les ranger ?
Dans un des livres qu’elle avait lus, le narrateur évoquait la lecture, n’importe quelle lecture, même d’objets lui passant sous le regard. N’importe quoi d’imprimé mais lire, écrivait-il. Une ferveur de lecture qui semblait l’avoir habité durant plusieurs années, un peu moins qu’une décennie. Et qu’il recommandait à tous. Elle s’était dit que cette recommandation ne valait pas pour tous. Qu’aucune recommandation ne valait jamais pour personne. Qu’il était présomptueux de recommander quoi que ce soit à qui que ce soit. Et avait repensé à l’elfe aux yeux de lac de glace. Dont les yeux translucides étaient venus la fixer, presque indépendamment du reste de son visage immensément beau.
Il attendait à l’arrêt du bus, comme elle. Il était avec un camarade de sa taille. Quel âge avaient-ils ? Douze ans, sûrement. De dos, elle avait remarqué les cheveux extrêmement raides et longs de l’elfe. Les avait entendus se parler. Ils prenaient des bus différents. Elle avait compris que l’elfe prendrait le même qu’elle. Avant même qu’il se retourne, elle savait qu’il était profondément autre, ni garçon ni fille, rien qu’elle eût jamais vu comme bipède existant dans la ville ou ailleurs. Elle ne vit son visage que longtemps après qu’il fut monté dans le bus. Une beauté époustouflante, ravageante, sans aucun compromis ; innocente aussi, spectaculaire, directe.
Lorsqu’il se fut assis non loin, elle l’entendit parler au téléphone. Très lentement. Il disait à quelqu’un Oui, tu es obligé de travailler, tu n’aimes pas travailler mais tu y es obligé. L’elfe redisait avec application ce que la personne vivait, calmement, comme s’il faisait l’effort de se mettre à sa place, mais sans aucun effort. Elle n’osait pas le regarder, elle sentait que l’elfe la dévisageait. Mais sans aucune curiosité. Ensuite il est descendu à sa station, et tout en marchant, a continué à la fixer de ses yeux de lac de glace. Il marchait aussi lentement qu’il parlait, mais de manière très égale, comme sa parole, à un rythme identique, un pas après l’autre, comme une parole après l’autre, avant de disparaître dans la foule.
Le sourire indéfinissable, menaçant, candide, cruel, doux, de l’elfe, est resté longtemps dans sa tête, même pendant la journée de lecture, pendant qu’un narrateur se réfugiait dans une chambre d’hôtel de luxe en haute-montagne pour y écrire, comme l’autre narrateur était confiné dans une chambre d’hôtel en ville pour y écrire, sans argent ni nourriture. L’un comme l’autre recherchait ses souvenirs et tressait ses jours à l’hôtel comme elle tressait ses jours avec l’elfe et la lecture.
L’apparition du visage de l’elfe aux yeux de lac de glace dans la journée suivante avait plusieurs fois interrompu sa lecture. Elle avait alors posé les livres et l’avait contemplé, comme si tous les livres qu’elle lisait ne parlaient que de lui. Les chambres d’hôtel s’estompaient, les histoires familiales n’avaient plus aucun intérêt, la lutte pour la survie devenait fastidieuse, la pornographie ressemblait à du remplissage. Ne restait que le sourire énigmatique de l’elfe aux yeux de lac de glace. Qu’elle lisait, encore et encore.
ça partait d’un aquarium puis tout a disparu les jours passaient, on ne savait pas s’il allait pleuvoir, s’il pleuvait,
si le gris s’installait, ou le bleu, ou le rayé gris-bleu, ou le laiteux
les gnomes plongeaient sans relâche, l’un après l’autre, en glissades saccadées et en grimaçant (au-delà de leur être de gnomes déjà grimaçants) ils s’accrochaient au rebord de l’aquarium et parfois partaient d’un grand rire ce qu’ils regardaient ? le spectacle en face puis en s’embrouillant, très véloces, ils se désarticulaient : on entendait des sons
après ce passage des jours et des couleurs incertaines l’aquarium s’est ramolli comme les montres molles de D. les sons se sont assourdis, les gnomes gélifiés et mangeables