[non solum sed etiam]

il y a plusieurs choses que non,
d’abord il y a non, bien sûr, on l’aurait pensé, qu’avant de devenir plusieurs, il est seul, non, plusieurs choses sont non, à la fois de manière rétroactive, dans les années qui reviennent ;
et sont non, actualisées par comparaison,
sont non, rétroactives et même parfaitement actives, dans la dimension de l’ancien, et dans la dimension du maintenant (et du demain tant qu’on y est),
mais aussi, de l’ailleurs et de l’ici ;

si elles sont non, et plusieurs, ces choses, elles s’éprouvent à contre-courant, dans leur étant de non ; par exemple, le vivre-ensemble est une foutaise, ils font trop de bruit, c’est non – ou bien il faut manger des radis, c’est bon pour la santé, mais ils piquent, c’est non –
ou encore, il faut trouver du travail alors que travailler n’a aucun intérêt, c’est encore non ;

on se trouve donc devant un transport de non, tous aussi motivés les uns que les autres à ne pas (ils sont chacun dans un wagon à prendre leurs aises, pas de promiscuité naturellement : le non est confortable, par définition, et le fait d’être plusieurs ne déteint pas sur ses convictions respectives), et paraissent admirables dans leur étant de non imbriqués dans plusieurs choses :
actionner les non sans aucune panique, définit, au mieux du plus près, l’être humain debout, l’un après l’autre, ou simultanément, dans la couleur qu’il choisit, lui, pour ne jamais plier ;

dans les trois exemples cités, un dénominateur commun : le creux ;
le vivre-ensemble est un concept creux,
le radis est creux,
le travail est une obligation creuse ;
le creux est le paradigme de l’odieuse condamnation à remplir (une vie, par hypothèse) alors qu’il est tellement plus judicieux, le creux, de le laisser creux de manière à jouir des plusieurs choses que non en suspens au bord

s’ensuit une grande dérive

notre monde à la chute duquel on a tous participé

mais trop grand : il y a cette nécessité, disent-ils

pourquoi ces pronoms, dit-il ? quel est leur origine ?

le on, le nous, les autres, et al.

reprise : s’ensuit une grande dérive

lorsque je l’aperçus, je me levai de mon strapontin
et le hélai : hé ! avec le bras
il passait sur le quai, passablement embrumé
me vit alors et son regard s’éclaira : ah !
la portière du métro se referma brutalement
je me rassis non sans avoir eu le temps
de faire le geste exclamatif : je te téléphone !
ou bien : on se téléphone, le on étant alors je et tu
le vieux geste avec l’auriculaire et le pouce
de l’oreille à la bouche : distance adéquate
du je au tu et retour

les aiguilles du réveil persistent à avancer

ainsi que sa trotteuse contrastée

son bruit couvre celui du monde trop grand

à la chute duquel on a tous participé

s’ensuit une grande dérive.

voyage en ma bibliothèque [digression à propos de Cingria]

Cingria : c’est le point de départ / il en faut un
Cingria chez Alferi au réveil, dans Brefs discours (P.O.L, 2016)
[ici, digression non dévoilée, restera à l’état latent]
Cingria : article du tome 5 de l’Encyclopedia Universalis
que je me félicite de n’avoir pas jetée lors de mon dernier déménagement
émotion : signature ÉTIEMBLE (sans accent sur le E)

grâce à Jean Paulhan, direction NRF
il laissa Cingria écrire dans la rubrique L’air du mois
trois NRF dans ma bibliothèque : 1er mars 1958
[autre digression, négligée, ayant trait à ma naissance un an avant]
je reprends les numéros : février 1975, 1er juin 1984

émotion dans le 1958 : Une curieuse solitude de Sollers
+ Robert Musil par Blanchot
numéro acheté en 1990, que je parcours, Musil annoté, bien sûr

je choisis deux oeufs que je vais faire cuire coque 
[est-ce une digression ? se le demander est déjà une coquetterie,
petite soeur énervée de l’oeuf coque]

un amour quasi névrotique de sa liberté, observe Étiemble
on ne se quitte plus (Cingria et son vélo de course)
Charles-Albert Cingria, C.F. Ramuz, Starobinski, vient de mourir,
a fait beaucoup pour eux deux – la bande des genevois (grand G ?) –

Cingria : dix-sept tomes d’Oeuvres complètes, c’est beaucoup
Charles-Albert Cingria, écrivain suisse, digressif, déambulatoire,
a écrit dans cette fantaxe plusieurs milliers de pages que personne ne lit.
(Pierre Alferi, déjà cité, j’ai oublié l’abréviation latine pour le dire,
je la retrouve immédiatement pourvu que je clique : op. cit.)

satisfaction que Cingria ait existé, satisfaction de l’existence
du sous-chapitre intitulé La fantaxe, avec godille et anacoluthe
[ici, digression auditive sur le vent qui secoue les volets]

et encore, toujours à propos de Cingria, op. cit. :
Il se perd, il digresse à vélo ou à pied, fait ce qu’il dit.
(…) À sa façon, Cingria fait déjà du land-art poétique.

les livres sont rerangés, le voyage, bref, s’achève, j’ai faim.

[puis je me demande si je crée un nouvelle catégorie ici, que je nommerais digressions]

paysage plié

devant un paysage numérique, lequel se plie parfois, écrivant,
une moto part, je la dirige depuis le trackpad
j’interviens comme je veux sur ce paysage
j’en explique les rouages à une femme : je lui écris une lettre
et ensuite tout ce qui sera écrit concernera les événements de ce monde plié
cette femme a un prénom introuvable et complexe, on peut l’appeler Fanny

paysage plié bateaux rivière prairies, autres monuments peu identifiables
j’écris à Fanny, le paysage a d’abord des couleurs vives
en ce moment, des nuances infinies de gris le nappent
rivières lentes et tortueuses comme une longue phrase boueuse
de ces phrases que je n’écris jamais

le retour des couleurs vives dans le paysage est indépendant du climat,
même cela reste difficile à décrire à Fanny :
la chose se situe dans la dépliure au loin des espaces virtuels
ici et là-bas, lorsque mon doigt bouge, se produisent des –

envers les diminutions de la présence, ne pas lutter
qui le dit ? Fanny ne se servira pas de ces informations
la lettre ne serait jamais arrivée…

à la certitude interrogée, l’idéal déficient répond,
posé telle une truelle sur un bâti absent

bruit de la moto déclinant

Pablo Picasso, Le jeune peintre, Mougins, 14 avril 1972

 


Rien de plus étrange que la manière dont une époque se regarde. Le nez sur elle-même, et sans le recul
ni la dépliure des perspectives, elle se croit toujours déshéritée, vide, confuse, néfaste.
(Cocteau, Foyer artistes, 1947, p. 126)

CNRTL, voir entrée dépliage, dépliement (dépliure n’existe pas en entrée directe)

freesbee langue

[annonce]

ce jour de freesbee langue est arrivé
ce jour ce jour ce jour ce vrai jour
si dansant si chantant ce jour de chaque jour
de freesbee langue je l’ai reconnu

ressemblait étrangement à pipelette dancing
mais avec sa petite différence son petit sens
son envers tout cruchon son petit capuchon
arrivé dans les oreillers arrivé dans la volupté

pipelette dancing* très sérieux composé pour
la revue Pøst arrivera à l’heure de Montréal
arrivera comme freesbee langue sur tapis volant
un matin dans les blanches pages du carnet


longue time de la freesbee langue
contient en sa cruche tout ce qui versable
se dérobe au versifiable et envoie au diable
les savoirs prononçables les chichis à table.

* pipelette dancing, initialement composé pour la revue Pøst, y sera publié
le vendredi 15 mars 2019 à 22h30 heure de Paris dans son numéro 3.2

matière de ce qui chatoie

ça a duré / se compte en jours / plis à suivre

rubans minéraux immédiatement transformés
immédiatement dégainés de leurs hauteurs
et frappés à terre

ça a duré / transformations observées

et même choses désagréables telles
musculatures avachies
encore transformations encore (reprise de guitare)

ça durera / les morts arrivent à maturité (meurent)

dégradations quand ça ne regarde plus
inscriptions au col des vêts déboutonnés
inscriptions sur la pierre plate

ça durera entre tirets / des années le dol

ire jamais consommée
restauration d’une tension encore palpable
matière de ce qui chatoie