pas d’autre musique

j’ai senti que le vent annonçait l’hiver
et aussi le raffinement de la pensée en écharpe

bref, j’ouvre un truc inadéquat : calendrier
je connais le nom du truc mais –

faux ! m’écriai-je à l’ancienne
je vais sur la place le crier aux vautours

tous vautrés avec leurs cacahuètes
en happy hour, pintes à la ronde

la violence n’est plus du tout supportée

on se hélait d’injures, c’est fini, fermez le ban

à petits pas il est possible qu’elle rentre
et qu’aussi je rentre avec un caddie, courbée

altières insultes, jurons éblouis au couchant,
les brûlures des amants commençaient là

fiers & odeurs cuir, odeurs musc, odeurs hommes,
où finissent les corvées ordinaires

de la séduction en milieu tempéré,
c’est tout ce qui reste de nos affrontements.

Abbatiale de La Chaise-Dieu, danse macabre, XVe siècle, détail du Troisième panneau (le peuple ) : l’amoureux – un transi – le frère infirmier – un transi – le ménestrel – un transi – le théologien – un transi – le paysan – un transi – un moine […]

:: trop de lamento dans l’ouïe ::::

quand c’est parti : un rien, une note, un rayon
quelque chose de l’infinitésimale modification
de la lumière et de l’étant

une approche majeure du retomber sur ses pieds
que seule procure l’avancée de la partition
suivie par l’instrumentiste

et les accents, et les attentes, les soupirs,
l’immense joie du suspens, quand suspendues
les notes, les rayons

diviseront les éclats du temps, parce que
n’est-ce pas, quoi d’autre que le temps,
quoi de plus explicite ?

si insupportable dans sa nappe intégrale,
son manteau lisse, qu’il faille le déchirer
et le disséminer, encore.

« le trouble envahit le monde »

vivre longtemps sans bouger sans projets
vivre comme ceci est vivre

sans savoir le lendemain est vivre
rien ne se sait jamais

se déprendre du statut de dominant s’apprend,
disent-ils

depuis longtemps vivre sans lendemain

apprendre à ne plus tout contrôler,
disent-ils

démunis, dépouillés, se dit Habenichtse
se dit j’ai, il a, elle a, le néant

âme élastique, âme tribulée,
riche du néant vivre tous les lendemains

Guillaume Le Pape, compagnie Hippocampe, septembre 2020

 

peindre la faiblesse

moment rouge
moment où je tâtonne
moment rouge en haut
moment rouge en bas
équilibration des moments rouges

rouge terreur
rouge coquelicot
rouge aux joues
rouge sang

moments rouges drapeau
rouge dans le vent
rouge sinuant
rouge traces d’avant
rouge écoulant le temps

moment rouge lent

 

et tout effacer.

à partir d’un paysage
partir dans un paysage
processus de la mémoire

leurs dessins tracés
cette musique rythmée, appuyée
de paysages très loin

paysage : éléments trouvés
dans les pages des années
ne rien dire des paysages, chut

et j’oublie les paysages que j’aurais voulu voir de ma fenêtre,
immédiatement, la beauté qui n’est pas ici

hier, superbes paysages en repartant de Sils Maria vers le lac de Constance,
et je ne suis pas sûre d’en trouver de tels par la suite

ce genre d’ambiance estivale, les forêts, les paysages, la moyenne-montagne…

très beau paysage, mais certainement pas le genre d’endroit
où j’aurais aimé m’exiler pour l’été

ne plus voir de mots se superposer au paysage, ou très peu

la plaine sur le plateau, téléphoner avec C., parler de F.
dans ce paysage vidé mais plein (de ciel, de conversation)

processus de la mémoire
de paysages traversés
la présence incertaine

et tout effacer.

 

 

de nombreux bains eurent lieu

un bain puis un autre puis encore un autre
et de nombreux bains avec des jambes au bord de l’eau
des jambes traînant dans l’eau, des jambes flirtant avec l’eau
des jambes dévêtues, des jambes nues,
des morceaux de jambes, les assis secouant leurs
morceaux de jambes avant de prendre ou de ne pas prendre
un bain

de nombreux bains eurent lieu, un bain puis un autre,
sous le ciel, au bord de l’eau, de la terre et de la pierre,
et ces jambes remuant dans l’eau, ces morceaux de jambes
des assis

les assis au bord de l’eau remuent leurs jambes à partir des genoux,
leurs jambes remuent dans le même sens, et parfois les cheveux
avec les jambes remuent dans des sens opposés

il y eut de nombreux bains, l’été, au bord des retenues d’eau
des marches en pierre, des accès dans des mélèzes
et à terre des pignes tombées, et des odeurs de pins
et des chiens errant dans les odeurs,
des chiens sachant plus que d’autres les odeurs
grâce à leur truffe et pissant contre certains arbres
soigneusement choisis

les bains au bord de l’eau, les demi-jambes
à partir des genoux dans un seul sens, les mélèzes
un peu malades, les chiens pistant les odeurs

et enfin les rires très forts des cheveux dans l’autre sens
grâce aux bains qui eurent lieu, et encore, sans jamais
s’arrêter.