chambre 508 un goéland

le poème avait un nom mais rien dedans
l’oiseau, puisque c’en est un, a toqué à la fenêtre
le matin, il était question de son bec jaune
& de son insistance au carreau de la chambre
cinq cent huit, du bruit qu’il a fait, de sa réclamation,
de la hauteur du lit, des rapports géométriques
entre les rectangles respectifs du lit et de la fenêtre,
de leurs dispositions, de l’angle qu’ils formaient,
de leurs différences de nature,
quelque chose
comme opacité et transparence

 

le poème était raté, il avait un nom mais rien dedans
l’oiseau portait le nom de goéland, et s’en est allé
en se dandinant, très lentement
il n’y avait pas de quoi faire un poème et pourtant

du moindre effort (matériau pour une plaidoirie et un epsilon)

Du Moindre Effort, 2017, document écrit et illustré, format A3 horizontal sur papier épais ivoire
avec un peu de grain,
encadré par les soins de Sylvain Sorgato et accroché dans l’exposition collective La Main Invisible des 10 et 11 juin 2017 dans l’atelier de Jérôme Borel
pour La Belle Absente présente *


* Jérôme Borel et la Belle Absente présentent
La Main Invisible sur une idée de Sylvain Sorgato

samedi 10 juin de 16h à 22h & dimanche 11 juin de 14h à 19h
184, rue de Crimée 75019 Paris
avec : Florent Audoye – Vassili Balatsos – Julien Blanpied – Jérôme Borel – Martin Bourdanove – Olivier Breuil – Denis Brun – Alexandre Callay – Christophe Cuzin – Jean-François Demeure – Emilie Duserre – Léa Eouzan – Alexandre Erre – Isabelle Ferreira – Pierre Fraenkel – la Furieuse Company – Louis Gary – Christian Giordano – Christoph Hinterhuber – Corinne Laroche – Gwendal Légo – Julien Lévy – Amélie Lucas-Gary – Oscar Malessène – Cyrille Martin – Vincent Mesaros – Miquel Mont – Édith Msika – Jean Rault – Magali Sanheira – Julie Savoye – Thimothée Schaelstraete – Zukhra Sharipova – Aude Sorgato – Sylvain Sorgato – Jean-Marc Thommen – Emmanuelle Villard

petite production vivrière

Vendredi 9 octobre 2009

Ils sont autour, ils me parlent ; je suis entourée de bons princes. Nous lisons nombre de livres, nous sommes tenus par moult sortilèges, nous n’avons plus peur, nous avançons, fiers, nous dansons des danses compliquées, un tout petit peu rigides, nous voulons le bien des populations. Pour cela, nos colonnes vertébrales doivent être parfaitement entretenues : nous ne devons en aucun cas plier l’échine, en aucun cas travailler.

Sur la grande carte du monde, désormais trop petit, nous piquons des destinations dont nous imaginons sans mal la situation politique. Pas fameuse. Et les princes de hocher la tête. Nous déplaçons les épingles à tête ronde en évitant toute logique. Nous tentons de régler les conflits et attribuons le Nobel de la Paix à un président nouvellement élu, après avoir longuement hésité. Parallèlement, nous attribuons un autre prix à une femme qui n’a pas démérité, mais avec circonspection. Nous n’avons plus aucune confiance et donnons un nom de code à ce prix, que nous oublions aussi vite.

Quand j’éteins la lumière, le soir, les princes disparaissent discrètement, ils ont d’autres rendez-vous.

dédicace trouée de sempiternelles piailleries

je pense à eux mais je ne fais rien
je pense à elle mais je ne fais rien

je ne pense pas
je pense rien

 

 

 

 

s’il arrive que je pense, je pense
je pense à elle, mais plutôt à eux

je ne fais rien
je continue à ne rien faire

je ne fais pas rien
je fais sans faire

je repense à eux, ou bien à elle
elle, est un personnage

eux, sont des gens
je pense à eux

ce n’est pas vrai
je ne pense à rien

un jour, je penserai,
c’est faux

je n’ai jamais pensé
il m’est arrivé de penser

je ne peux rien faire
je ne peux rien y faire

je ne pense plus à eux
je penserai une autre fois

un jour j’ai été pensée
je n’ai jamais rien pensé

je n’en pense rien, absolument rien
je pense à lui, quelqu’un

quand je pense à eux, je ne fais rien
je n’ai jamais rien fait

je ne pense pas du tout à lui
je pense à elle, personnage

je pense à eux, c’est vous
je pense à elle, c’est elle

je pense à haute voix
j’entends que je pense

je pense encore à eux
c’est souvent que je pense à eux

respirer ≡ une pivoine imaginaire ≡≡≡

(…)
Elles avaient rencontré un type blond, à l'allure de vieux bébé, très très déprimé, dont la petite amie venait de disparaître mystérieusement par la fenêtre, enfin, c'est ce qu'Orlove avait expliqué à Roberta, de ce qu'elle en avait compris. Il semblait riche extérieurement : costume de très bonne coupe et chaussures extrêmement reflétantes, d'une couleur entre le bordeaux et le taupe.
Dans le restaurant où elles avaient été acceptées pour ne prendre qu'un flacon de saké, le blond avait fini par payer les repas de tout le monde. Il voulait rester seul avec les deux femmes, et congédier le monde élégamment. Il s'exprimait à la fois dignement et avec vigueur, notamment pour mimer la jeune femme qui lui avait fait faux-bond ce soir.
On ne comprenait pas tout, naturellement, notamment l'étage duquel elle avait sauté, et avait-elle sauté, cela restait relativement énigmatique. Mais le Hollandais (car c'en était un) s'épanchait de plus en plus, quelques larmes avaient surgi de ses yeux, on finissait par le croire. Et le plaindre.
Roberta voulait surtout savoir le pedigree de la fille, et depuis combien de temps ils étaient ensemble, et si c'était prévisible, si une telle chose, un tel abandon était prévisible. Elle lançait de temps à autre un regard vers Orlove pour vérifier ce qu'elle devait croire et ne pas croire. Orlove restait débonnaire avec le type, menant une conversation essentiellement gestuelle et mimiquelle, continuant à semi-traduire, au passage. La cause des choses (causa rerum) importait à Roberta.
La soirée s'avançant, le Hollandais à l'allure de vieux bébé de plus en plus ivre, mais toujours parfaitement maître de lui, proposa aux deux femmes d'aller dans une boîte de nuit finir de noyer son chagrin. Il n'avait pas retrouvé sa bonne humeur, du tout, mais il était évident qu'il n'allait pas se suicider ce soir, sur ce point Orlove rassura Roberta.
Dans la boîte où ils allèrent tous, des magnums de champagne sortirent des frigos, et deux personnages jouant au go consentirent à accueillir les quatre nouveaux : le Hollandais, plus un abruti racolé parce que conducteur d'une berline bichonnée, et les deux femmes. Quelques couples tentaient de se rallumer dans les coins sombres. Le rouge des velours, auréolé à la fois par la crasse et les éclairages, accueillait tous leurs culs fatigués. 
Orlove se leva pour danser ; l'abruti vint s'y coller. Roberta se faisait entreprendre par le Hollandais tellement saoul qu'il commençait à dessaouler. Beaucoup plus requinqué que suicidaire, remarquait Roberta, tandis que ses mains ne savaient pas quoi faire d'elle-même. 
(…)

d’un possible abandon des choses

il seraient là, ces mots, tracés ou posés là,
/ vus, écrits, pensés /
/ pensés, écrits, vus /

d’un possible abandon des choses, ces mots,
marchés dans un jardin, un pas après l’autre,
il y eut des pas, et pendant ces pas, ces mots –

il y eut des pas et des ne pas, une folie,
le roman procèderait d’un agacement,
d’un possible abandon des choses

qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, qu’on ignore,
au large duquel on passe, dans un jardin,
un pas après l’autre, ces pas tressés de disparitions –

d’un possible abandon des choses, rugueux et hésitant
comme un pas après l’autre, près de bosquets fuyants,
au bord du vide

des pas encore, des pas pour dire,
il y eut ces mots presque inaudibles
d’un possible abandon des choses