tentative de chercher quand rien n’est à chercher : l’action ne sert que l’action, avec les paroles, quand les paroles bruitent l’action, corps en branle corps plié, corps debout, corps-singe
tentative de trouver, chercher encore : corps, mots, gestes l’action n’est que la traduction du désir éperdu de perdurer quand même chercher ne sert plus à rien rien ne se trouvera mais rien se trouvera
lire singe partout, yeux rapetissés, leurs rides autour corps souffrant cris, chercher encore à cris l’action ne sert que l’action, puis : assis, corps soufflant, à la raison se rendre
rien se trouvera toujours si rien ne se trouve chercher encore, tentative de trouver
Georges Focus, paysage à l’arbre (dessin signé ”faucus”), fin XVIIe
Cingria : c’est le point de départ / il en faut un
Cingria chez Alferi au réveil, dans Brefs discours (P.O.L, 2016)
[ici, digression non dévoilée, restera à l’état latent]
Cingria : article du tome 5 de l’Encyclopedia Universalis
que je me félicite de n’avoir pas jetée lors de mon dernier déménagement
émotion : signature ÉTIEMBLE (sans accent sur le E)
grâce à Jean Paulhan, direction NRF
il laissa Cingria écrire dans la rubrique L’air du mois
trois NRF dans ma bibliothèque : 1er mars 1958
[autre digression, négligée, ayant trait à ma naissance un an avant]
je reprends les numéros : février 1975, 1er juin 1984
émotion dans le 1958 : Une curieuse solitude de Sollers
+ Robert Musil par Blanchot
numéro acheté en 1990, que je parcours, Musil annoté, bien sûr
je choisis deux oeufs que je vais faire cuire coque
[est-ce une digression ? se le demander est déjà une coquetterie,
petite soeur énervée de l’oeuf coque]
un amour quasi névrotique de sa liberté, observe Étiemble on ne se quitte plus (Cingria et son vélo de course)
Charles-Albert Cingria, C.F. Ramuz, Starobinski, vient de mourir,
a fait beaucoup pour eux deux – la bande des genevois (grand G ?) –
Cingria : dix-sept tomes d’Oeuvres complètes, c’est beaucoup Charles-Albert Cingria, écrivain suisse, digressif, déambulatoire, a écrit dans cette fantaxe plusieurs milliers de pages que personne ne lit.
(Pierre Alferi, déjà cité, j’ai oublié l’abréviation latine pour le dire,
je la retrouve immédiatement pourvu que je clique : op. cit.)
satisfaction que Cingria ait existé, satisfaction de l’existence
du sous-chapitre intitulé La fantaxe, avec godille et anacoluthe
[ici, digression auditive sur le vent qui secoue les volets]
et encore, toujours à propos de Cingria, op. cit. : Il se perd, il digresse à vélo ou à pied, fait ce qu’il dit. (…) À sa façon, Cingria fait déjà du land-art poétique.
les livres sont rerangés, le voyage, bref, s’achève, j’ai faim.
[puis je me demande si je crée un nouvelle catégorie ici, que je nommerais digressions]
devant un paysage numérique, lequel se plie parfois, écrivant, une moto part, je la dirige depuis le trackpad j’interviens comme je veux sur ce paysage j’en explique les rouages à une femme : je lui écris une lettre et ensuite tout ce qui sera écrit concernera les événements de ce monde plié cette femme a un prénom introuvable et complexe, on peut l’appeler Fanny
paysage plié bateaux rivière prairies, autres monuments peu identifiables j’écris à Fanny, le paysage a d’abord des couleurs vives en ce moment, des nuances infinies de gris le nappent rivières lentes et tortueuses comme une longue phrase boueuse de ces phrases que je n’écris jamais
le retour des couleurs vives dans le paysage est indépendant du climat, même cela reste difficile à décrire à Fanny : la chose se situe dans la dépliure au loin des espaces virtuels ici et là-bas, lorsque mon doigt bouge, se produisent des –
envers les diminutions de la présence, ne pas lutter qui le dit ? Fanny ne se servira pas de ces informations la lettre ne serait jamais arrivée…
à la certitude interrogée, l’idéal déficient répond, posé telle une truelle sur un bâti absent
bruit de la moto déclinant
Pablo Picasso, Le jeune peintre, Mougins, 14 avril 1972
Rien de plus étrange que la manière dont une époque se regarde. Le nez sur elle-même, et sans le recul ni la dépliure des perspectives, elle se croit toujours déshéritée, vide, confuse, néfaste. (Cocteau, Foyer artistes, 1947, p. 126)
CNRTL, voir entrée dépliage, dépliement (dépliure n’existe pas en entrée directe)
Après mon crime, j’ai disparu. Complètement. Je ne me suis pas exilé, j’ai disparu dans mon propre pays. Il aurait fallu que j’affirme un point de vue, ça m’était insupportable. On m’a poussé à le faire. On peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui sans même le torturer. Je n’ai pas été torturé, je n’ai pas souffert. Je ne suis pas faible. Le monde de la connection permanente m’est insupportable. Personne ne peut savoir ce qu’il y a réellement dans ma tête. Je peux parler pendant des heures pour ne rien dire. Physiquement, on peut me voir, mais j’ai disparu.
des zones de retrait avec contiguïté des éléments furent décidées leur mise en place ne posa aucun problème les tracés des passerelles ayant été étudiés (minutieusement)
les obstacles levés, en particulier naturels, peu évitables à moins de les ordonner, l’etwas advint et circula sans contraintes
Ma disparition ne m’a pas ôté l’ennui, mais il est le mien. Je regarde longuement un paysage aux couleurs de fumée duquel surgissent des monts peints. J’ai fui au sein du monde banal. Il n’y a pas d’ailleurs. L’ensemble des commodités existe pour que j’en use. J’ai réduit les images au strict minimum. Je continue à parler pour ne rien dire, dans le vide de conférences confuses. Mon visage est devenu plat. Je ne sais pas si j’ai encore une conscience. Je trouve parfois un objet que j’arrive à nommer. Mais le plus souvent, les noms ont disparu, comme j’ai disparu.
c’est maintenant que faire etwas se signale, maintenant, dans l’insularité d’une position externe, protégée par des roseaux (qui jamais ne rompent)
chaque jour son etwas! était-il entendu et des échos résonnant dans les monts : was ! was ! was ! le parfait découpage d’images mortes et riantes
quelqu’un a noté la phrase qu’il venait de dire, accoudé à une table de bar haute, un mange debout elle était émerveillée que toutes affaires cessantes il notât la phrase
oui, dit-il, parce que sinon elle se perd
un type entre deux âges, maigre et sec, impossible de savoir ce qu’il faisait sinon noter sa phrase, n’était là que pour la noter sinon elle se perdait
elle était émerveillée de cela
était-elle autour du mange debout ? rien de moins sûr elle était un peu éloignée, un peu plus dans la salle une salle de bar d’avant, cependant déserte ou presque déserte
Marguerite Duras n’existait plus mais son parfum flottait dans le bar qui n’était qu’une salle déserte, dont même les tables avaient été ôtées peut-être ne restait-il que cette table haute ronde à laquelle le nom de mange debout fut accolé bien plus tard lorsque les salariés devaient manger debout pour faire plus vite et accroître dans des proportions non négligeables leur productivité
l’esprit de M.D. ? ce n’était pas non plus exact : dans cette salle de bar, le mange debout et l’homme qui prenait sa phrase en note plus cette femme un peu en retrait… mais aucun comptoir de bar en vue, aucun
peut-être était-ce une salle préparée en vue de danser ? les deux personnages en embuscade, avant de danser ? non, on ne voyait pas l’homme se préparer à danser : entre deux âges, sérieux, affairé à noter sa phrase, assez sympathique cependant, répondant volontiers à la femme qui ne posait pas spécialement de question, il faut le noter
la femme se tenait un peu en retrait et l’homme répondait à ce qui n’était pas une question oui, dit-il, parce que sinon elle se perd la femme était émerveillée du calme avec lequel il notait et surtout qu’il notait spécifiquement cette phrase-ci et pas une autre
dans cette réponse il y avait une puissance particulière du choix qui s’impose malgré la lourdeur de la narration qui le rapporte ensuite, une échappée gracieuse du saisissement immédiat qui rendait subitement les imparfaits acceptables : enfin des imparfaits courts, abandonnés, insaisissables
La journée entière fut consacrée à la lecture. La veille, elle avait rencontré l’elfe aux yeux de lac de glace et c’était suffisant pour un jour. La lecture n’était pas revenue depuis longtemps. Mais elle avait reçu des livres, et s’était employée à les lire, sinon qu’en faire avant de les ranger ?
Dans un des livres qu’elle avait lus, le narrateur évoquait la lecture, n’importe quelle lecture, même d’objets lui passant sous le regard. N’importe quoi d’imprimé mais lire, écrivait-il. Une ferveur de lecture qui semblait l’avoir habité durant plusieurs années, un peu moins qu’une décennie. Et qu’il recommandait à tous. Elle s’était dit que cette recommandation ne valait pas pour tous. Qu’aucune recommandation ne valait jamais pour personne. Qu’il était présomptueux de recommander quoi que ce soit à qui que ce soit. Et avait repensé à l’elfe aux yeux de lac de glace. Dont les yeux translucides étaient venus la fixer, presque indépendamment du reste de son visage immensément beau.
Il attendait à l’arrêt du bus, comme elle. Il était avec un camarade de sa taille. Quel âge avaient-ils ? Douze ans, sûrement. De dos, elle avait remarqué les cheveux extrêmement raides et longs de l’elfe. Les avait entendus se parler. Ils prenaient des bus différents. Elle avait compris que l’elfe prendrait le même qu’elle. Avant même qu’il se retourne, elle savait qu’il était profondément autre, ni garçon ni fille, rien qu’elle eût jamais vu comme bipède existant dans la ville ou ailleurs. Elle ne vit son visage que longtemps après qu’il fut monté dans le bus. Une beauté époustouflante, ravageante, sans aucun compromis ; innocente aussi, spectaculaire, directe.
Chris Marker, Commentaires II, Seuil, 1967
Lorsqu’il se fut assis non loin, elle l’entendit parler au téléphone. Très lentement. Il disait à quelqu’un Oui, tu es obligé de travailler, tu n’aimes pas travailler mais tu y es obligé. L’elfe redisait avec application ce que la personne vivait, calmement, comme s’il faisait l’effort de se mettre à sa place, mais sans aucun effort. Elle n’osait pas le regarder, elle sentait que l’elfe la dévisageait. Mais sans aucune curiosité. Ensuite il est descendu à sa station, et tout en marchant, a continué à la fixer de ses yeux de lac de glace. Il marchait aussi lentement qu’il parlait, mais de manière très égale, comme sa parole, à un rythme identique, un pas après l’autre, comme une parole après l’autre, avant de disparaître dans la foule.
Le sourire indéfinissable, menaçant, candide, cruel, doux, de l’elfe, est resté longtemps dans sa tête, même pendant la journée de lecture, pendant qu’un narrateur se réfugiait dans une chambre d’hôtel de luxe en haute-montagne pour y écrire, comme l’autre narrateur était confiné dans une chambre d’hôtel en ville pour y écrire, sans argent ni nourriture. L’un comme l’autre recherchait ses souvenirs et tressait ses jours à l’hôtel comme elle tressait ses jours avec l’elfe et la lecture.
L’apparition du visage de l’elfe aux yeux de lac de glace dans la journée suivante avait plusieurs fois interrompu sa lecture. Elle avait alors posé les livres et l’avait contemplé, comme si tous les livres qu’elle lisait ne parlaient que de lui. Les chambres d’hôtel s’estompaient, les histoires familiales n’avaient plus aucun intérêt, la lutte pour la survie devenait fastidieuse, la pornographie ressemblait à du remplissage. Ne restait que le sourire énigmatique de l’elfe aux yeux de lac de glace. Qu’elle lisait, encore et encore.