nouvelles impressions du Havre

Avant de chercher en quoi les nouvelles impressions du Havre consisteraient,
comme imprudemment cela s’est passé durant les quelques jours qui ont suivi,
dans un fourbi étrange, ou parce que les photographies les ont occultées,
il faudrait procéder à un examen plus minutieux que la description des jeux d’eau, des bas-reliefs du béton monumental, de l’après-guerre omniprésent dans le ciel du jour, et enfin du jardinier nettoyant les massifs de fleurs : c’est impossible.

Le jardinier, les fleurs rouges, les gouttes d’eau inlassables et le kiosque à musique polygonal figurent au premier plan ; il n’y a pas de second plan. Le jour est bleu, les fleurs, rouges, le jardinier dirige vers les massifs de fleurs un instrument vert.

Immédiatement superposées aux havraises, des impressions rémoises sans ancrage autre que l’espace-temps de l’après-guerre et de larges avenues vides, induisent que le temps de l’enfance remémoré supprime l’arrière-plan et colorise le premier en le figeant.

À cet instant, l’insistance paisiblement grise des bâtiments de la reconstruction rythme un temps déserté par ses figurants ; ne demeurent que des jets de couleur vive. L’espace, évidé, a glissé dans le temps raturé.

journée à la campagne (trois fois sept vingt-et-un)

j’ai douze ans, je marche, il fait chaud, c’est interminable
je marche, je marche, je marche
à force de marcher, ça m’ennuie moins, mais je persiste à chercher l’ennui
je sens les odeurs des fleurs, bien je ne voie que des feuilles
je tâte quelques feuilles, je me dis tiens ce sont des feuilles
je suis contente d’être contente que ce soit un peu moins chiant de marcher
parce qu’au lieu de soixante j’ai douze, je suis fière d’y arriver, à être contente

j’écris un certain nombre de points tout à fait spécifiques à la situation
j’hésite entre partie de campagne et journée à la campagne
je fais le compte des heures : j’ai passé sept heures à la campagne
les points que j’ai écrits, je ne sais pas ce que je vais en faire
d’ailleurs il semble que je n’en fasse rien
mais on ne sait jamais, ils pourraient me servir
je me laisse instruire par leur rythme

dans les points, il est question d’Agota Kristof : L’analphabète
j’ai lu L’analphabète à la rivière, c’est F. qui me l’a prêté avant-hier
ensuite je n’avais plus rien à lire et j’ai été envahie d’insectes minuscules & noirs
j’ai décidé que je devais repartir à cause des bestioles désagréables
j’ai pensé à des choses que je ne peux pas encore écrire, c’est trop tôt
je dois attendre d’être encore plus vieille pour les écrire
(quand je ne pourrai plus marcher ? peut-être)

soir tsf (inachevé)

J’ai cru avoir disparu. Mais au bout d’un moment j’entendais toujours cette montée chromatique subrepticement ralentie à la fin, des morceaux de jazz ancien. Alors, ce jazz ancien ? If I should, if I, monday, carry on, business, no money, honey… je n’avais pas disparu, contrairement à mon pressentiment. Ils roulaient des yeux, là, en silence, en se parlant et quand j’écoutais, que je regardais, que je ne comprenais plus rien. Je crus avoir disparu. Ma tête n’était plus la même : le vieillissement l’avait transformée. Ce n’était pas de l’imparfait, c’est là, c’est un fait, ma tête est déjà transformée. Complètement. Et le jazz languissant accompagne dorénavant le vieillissement. Comme du miel de châtaigne. On ne sait pas ce qu’est sa propre disparition. L’hypothèse de quelques notes est rassurante. Les notes s’égrènent en douceur. La disparition devient agréable. S’y mêle un peu de trompette et le sentier exhale des odeurs de forêt. Si longtemps que la forêt a disparu. Cry, cry, cry, don’t ask for sympathy. Someone means more to me. L’articulation de la voix est parfaite, la pointure décidée de la dame nous fait exister au-delà de la disparition. Leurs yeux continuent de rouler dans de nombreux sens. Ils se parlent et se répondent, mais rien ne s’inscrit dans ce relief de la finitude annoncée. Nous cherchons la correspondance des watts, de la puissance électrifiante. Toutes ces vieilles ampoules encore en vente, à incandescence. Pour savoir comment ça éclaire le vieillissement. La peau tombe, la bouche tombe, les oreilles tombent. Ampoules interdites. Vieilles amours déchues. Rides et rideaux. Ils roulent encore leurs yeux et se regardent encore ; c’est un théâtre. Ils pointent du doigt. Leurs paroles sont accompagnées du doigt pointeur, l’index.

J’ai cru avoir disparu. Je l’ai déjà dit. Dans un soir sans ombre. Dans un mouchoir de difficultés sans accord. Ils clignent des yeux, sans doute trop de lumière. Leurs yeux se rencontrent et se mettent d’accord. C’est par là qu’ils se mettent d’accord. Ça ne m’intéresse pas. Je suis au regret de me regretter déjà. Comme si je pouvais me surélever, ça m’est impossible. Comme il n’y a pas d’accord, comme on ne peut absolument rien savoir avec ce clignement des yeux et ces rides, comme j’en ai assez de ces rideaux d’une scène usée. Je ne suis pas là ; j’ai disparu. J’ai vraiment réellement disparu, déjà. Leurs gestes sont élégants, leurs yeux rieurs s’échangent des blagues, leurs ongles sont faits. Ils sont tous beaux finalement. Ils passent lentement en silence dans une émolliente faconde inaudible. Ils s’aiment tous, ils lisent tous, ils se lisent tous, ils se regardent et s’aiment tous, ça devient dangereux. Leurs souvenirs ne s’arrêtent plus, ils prennent des notes nerveusement. Ils sont tellement bien habillés, de gris clair, et leurs bagues ajustées dessinent des éclairs dans la lumière du plateau. Applaudissements. Reprise. Soirée how sweet, kiss, would soul, what they do to me, I feel so rich, kitchen, and as well. Il faut entendre kiss, what they do to me. Et puis fortune et kitchen, kiss me pretty.

C’est de ma grande platitude dont il est question, de ma peau qui tombe, de mes oreilles qui descendent, des signes de mon vieillissement dont il est question, des signes visibles de cela qui n’est plus dans les lettres ni les carnets, et comment les épreuves ont transformé cet être transformable à peine né. Une sorte de caramel. Ma grande platitude a même disparu. Tout a cru disparaître dans ce que j’ai cru. J’ai disparu, finalement. Au bout de leurs bras, leurs mains chantent, montrent, distinguent, hésitent. Et leurs bouches n’arrêtent pas une seconde. Il est très tard pour se regretter. J’ouvre trois onglets, j’en ferme cinq. Soir tsf, c’est le titre que j’ai donné à cette grande platitude. Plus fort que tout, son titre alternatif. Quelque chose comme une livraison à domicile avant telle heure, une orientation singulière de la preuve. Il y a trop de croyance, ce n’est pas possible toute cette croyance encore.  (…)

se produiraient des négligences

dimanchement rêvé un bruit de sms inexistant
avertirait que le sommeil est terminé
les yeux fermés dans un faux calme décidé
s’effaceraient les catastrophes

une poire aurait été découpée dans un bol de verre bleu
par une femme téléphone calé contre l’oreille droite
d’abord malhabile à l’éplucher glissante
l’aurait ensuite déposée nue sur l’inox
aurait ri au téléphone aurait encore attendu
les jours seraient passés nombreux
les certitudes reposées dans le lit du temps
sans projet autre que son passage négligent
et le gauche effet de l’économe sur la poire

dimanchement rêvé un bruit de sms inexistant
avertirait que le sommeil est terminé
les yeux fermés dans un faux calme décidé
s’effaceraient les catastrophes

l’amie ⎜les amis mondiaux

L’amie lui fait signe, alors qu’elle a si longtemps attendu, qu’elle a cru qu’elle avait disparu. L’amie lui fait signe et c’est comme un revenu d’ailleurs. Elle lit son signe et c’est comme un revenu froid. Elle a tellement attendu. C’était la douleur et l’inquiétude. Elle s’inquiète de ce qu’ils deviennent, tous ceux qui cessent de lui faire signe plus qu’un moment, plus que quelques semaines, que quelques mois. Comment se mesure le temps ? Comment le mesure-t-elle, elle qui attend le signe en retour ?
Ça ne répond pas, dit-elle à haute voix.
Ça ne répond pas, se dit-elle à l’intérieur.
img_20161118_142802Pourquoi ? Le jour se lève, le jour finit, ça ne répond pas, et le lendemain, le surlendemain, pas de répit dans l’absence de réponse. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Les amitiés s’étirent et s’étiolent. Il n’y a plus de liens vivaces, tendus, élastiques. Les amitiés, comme des mollusques, laissent une trace baveuse sur le cours du temps. Il n’y a aucune explication. Il n’y a pas de solution. Les mots sont pauvres, pauvres, pauvres (elle se secoue en prononçant ces mots).
Puis subitement un mercredi, comme si le temps avait fait une boule, et qu’il aurait décidé de propulser la tentacule principale issue de la boule, elle reçoit des signes. Ni prévus ni prévisibles, ils arrivent de la galaxie du méconnu, du mystère de l’intention, du souvenir transperçant les couches de l’inattention. Et parfois honteux, conscients d’avoir fait attendre. Et parfois en rafales inexpliquées.
Elle est meurtrie, ou très meurtrie, mais il y a pire que ce revenu froid, longtemps après. Les choses se passent après l’après ; c’est inexplicable mais c’est comme ça. Après l’après, une fois que l’après a été consommé, arrive l’après. L’après arrive et c’est trop tard, tellement trop tard que ça peut devenir trop tôt : un avant l’après après. C’est fini, le trop tard s’est transmué en trop tôt. Ses sentiments ont gelé comme s’ils avaient été au congélateur durant l’attente. img_20161118_142807

Cependant, mondialement, les amis existent, comme la politique mondiale, les amis mondiaux. Il y a plein de monde autour : le monde mondial donc. C’est une belle chose que le monde mondial ; il réconforte comme un bon scotch au coin du feu.

se prépare se propage

peut s’agir d’une sorte de prurit, peut, se peut,
et aussi LA PLUPART DU TEMPS : d’un retard, d’un différé

puis, d’une vitesse excessive, ça va vite, on est fébrile, on casse,
on se prend une porte sur le pied tout va trop vite, tout se brouille,
d’autres sons viennent à la place
//
c’est alors que des mots viennent à la place d’autres mots
et éclosent aux lèvres riantes : une erreur pas retenue
\\
la légère débilité du moment couvre les annonces anticipées
de la fin ; aucune fin ne saurait venir à ce moment

::::

la moue invitée seimg_20161003_121710 dissipe, des yeux se regardent encore,
évoquant un temps passé, l’autre autre, décidément autre,
sans plus aucun sexe, on n’a plus le temps pour ça
::::
fatalement ces semelles glissent sur le sens désormais fracturé des occupants voyants, des trottoirs couverturés, des issues lissées

 

?¿¿?

fatalement se propage la fausseté renouvelée du temps présent,
fatalement se prépare l’iniquité du temps futur,
fatalement se verrouille la paresse élogieuse du temps passé