mise en abyme [de vieux]

se tiennent tous trois dans la lumière grise reflétée par l’eau
– de l’autre côté de la rive, une récente élue,
attroupement, caméras, discours –
leurs regards reviennent à leurs livres

elle raconte le contexte de sa trouvaille
– un livre inconnu soudain lui fait signe
dans un rayon de sa bibliothèque –
le plus vieux des deux hommes enchaîne
il y avait un Balzac mais j’en ai déjà quinze !
alors j’ai pris Aurélien, c’est son prénom
ajoute-t-il en se tournant vers l’autre en souriant,
jamais lu, souligne-t-elle
tandis qu’il manipule le volume, sa tranche orange
à l’épaisseur briochée de gros poche

on ne lit plus d’aussi gros, si ?
on n’y arrive plus, on est émietté, dispersé
on regarde dix trucs en même temps !
on a eu le temps, oh, trop de temps,
trop de temps devant les écrans, confinés
quoique, dit le plus jeune : des films, le replay,
ah le replay ! reprend le plus vieux,
et des concerts ! s’émerveille-t-elle

je préfère en chair, dit le plus vieux, sentencieux,
comme là le fait de se rencontrer sans se connaître…
mais le public ! vieux ! tous ces vieux, au théâtre aussi,
je ne peux pas les supporter ! se désespère-t-elle

c’est une mise en abyme, sourit finement le plus vieux.

devant un paysage, redites

des endroits de redites, si nécessaire

j’en dirais bien quelque chose !

prendre le temps de dire mais
prendre le temps de penser, d’abord

et pas trop de mots, pas trop

………………/

comme quoi c’est bien-dire qui importe
comme quoi : comme ceci est, ce scié

à préciser : pas bien dire comme bien dire,
mais bien-dire comme deux oiseaux qui se croisent
& se saluent : précis, joyeux, efficaces, trilles

ma langue à trous : effaceuse, subtilisant les excès
des endroits de redites, et même des trous
encore à lisser aux pourtours

\………………

laisser les restes, couvrir, cuire, dépecer
dans des désordres inconnus

sans retour valable, redites pourtant
devant un paysage ressemblant à un poisson

rester ou fuir : choix fallacieux
cheminement identique dans la mort de la chair
les puanteurs du poisson de plein air

des endroits de redites ?…si nécessaire

ensuite, avancer dans l’inconnu

(lorsque le temps a passé sans aucune sorte de prévisibilité)

il y a peu _____ avant /
en un jour arrêté ::: starting-block sous son genou
l’effort déployé_____à la ligne d’arrivée
membres en moulinets, poussière soulevée
quant à sa sueur sous les hourras
elle coulera et ressurgira
dans un mélèze sur un pan de montagne
abrupt & caillouteux

du plan au pentu_____jouer une mélodie
grave et pittoresque qu’aucune illusion
ne rompra non plus que méthode
moulinets des membres restent /
du récit à peine falsifié
sous une forme détournée
une image tremblée se donne
chaque fois_____ pour vraie

(lorsque le temps a passé sans aucune sorte de prévisibilité)

farter la pensée

Il n'y a pas de produit pour farter la pensée.
Non.
Qui dit non ?
Non. Non est un quoi.
Elle glisserait sur les cimes.
Plus de cimes pour la pensée.
Non plus.
Un abîme ? Un naufrage ?
Une profondeur tant qu’on y est.



la surface du lac 1 & 2

d’abord simple : bord & bord
bord ici, bord là-bas, bord tout autour

la famille un homme une femme un garçon une fille
dit : en faire le tour

avec gourmandise la famille nous allons
en faire le tour, la famille nous allons

d’abord simple : bord recul, bord avance
la surface du lac, apparue rêve & paisible

la famille nous en avons fait le tour
avec gourmandise nous du lac

– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –

revenue, en une
impossible, en deux

trouée de souvenirs & d’oublis
étale, divisée, parquée, encadrée

la surface du lac à peine frissonne
changeante & indifférente

à l’immanquable effacement
de ses vagues et de ses cris

s’obstine le temps
dont un hors-bord aurait figuré la trace

                                                                                                Bernard Dufour, 1973 (détail)

jusqu’à oublier

on dit que c’est vieux, on dit que c’est du passé,
on dit que ça pue parfois
on regarde on dit que ça va pas, on remue le nez : ça va pas

examen des vacuité, des vanités, & d’autres -tés
parler du capitalisme sur une chaise longue
parler du capitalisme en tongs

on parle avec des mots sans sens, des mots qui s’agitent
on les agite comme des hochets : ils sont des hochets
il n’y a plus d’air entre les mots, ils ont chaud

examen des ornementations, des suffixations, & d’autres -tions
les mots empruntent des queues-de-pie
les mots s’habillent de filaments longs

……………………………………………………………………………

et on finit par oublier le bruit
…………………………………………

[résorption, ellipse, coupure, absence de culpabilité
personne n’est coupable parce que personne n’est coupé]

Trinité emballée sous ciel de canicule