une fois par an je prends un Martini blanc nous parlions à l’angle de ces deux rues les glaçons fondirent très vite une fois par an c’était cette fois-ci les glaçons ne tintèrent pas longtemps se résorbèrent dans le liquide clair je pressai la maigre rondelle de citron au fond du large verre sculpté avec peut-être la cuillère de son café le ciel parisien toujours gris de craie absorbait nos paroles de vieux parents dans l’infini de leurs vies d’adultes infinies comme dans un film noir j’écrasai encore la rondelle de citron dans le liquide clair de mon Martini blanc.
Catégorie : sang refroidi
[sang refroidi traite des dommages du temps, et ce, bien qu’il n’y ait aucun traitement existant autre que l’existence]
pas d’autre musique
j’ai senti que le vent annonçait l’hiver
et aussi le raffinement de la pensée en écharpe
bref, j’ouvre un truc inadéquat : calendrier
je connais le nom du truc mais –
faux ! m’écriai-je à l’ancienne
je vais sur la place le crier aux vautours
tous vautrés avec leurs cacahuètes
en happy hour, pintes à la ronde
la violence n’est plus du tout supportée
on se hélait d’injures, c’est fini, fermez le ban
à petits pas il est possible qu’elle rentre
et qu’aussi je rentre avec un caddie, courbée
altières insultes, jurons éblouis au couchant,
les brûlures des amants commençaient là
fiers & odeurs cuir, odeurs musc, odeurs hommes,
où finissent les corvées ordinaires
de la séduction en milieu tempéré,
c’est tout ce qui reste de nos affrontements.

et tout effacer.
à partir d’un paysage
partir dans un paysage
processus de la mémoire
leurs dessins tracés
cette musique rythmée, appuyée
de paysages très loin
paysage : éléments trouvés
dans les pages des années
ne rien dire des paysages, chut
et j’oublie les paysages que j’aurais voulu voir de ma fenêtre,
immédiatement, la beauté qui n’est pas ici
hier, superbes paysages en repartant de Sils Maria vers le lac de Constance,
et je ne suis pas sûre d’en trouver de tels par la suite
ce genre d’ambiance estivale, les forêts, les paysages, la moyenne-montagne…
très beau paysage, mais certainement pas le genre d’endroit
où j’aurais aimé m’exiler pour l’été
ne plus voir de mots se superposer au paysage, ou très peu
la plaine sur le plateau, téléphoner avec C., parler de F.
dans ce paysage vidé mais plein (de ciel, de conversation)
processus de la mémoire
de paysages traversés
la présence incertaine
et tout effacer.
relire et adapter aux circonstances
comme lire est évidemment lié à relire
les circonstances se sont plouf
relire et adapter aux circonstances : ploufrelire comme retrouver
laisser le temps faire
le paysage, aujourd’hui lointain,
se confine dans un jardinlaisser le temps faire
relire un seul livre, un seul,
y repérer les coquilles
les pieds en l’air au soleilun avion fait le bruit d’un avion
un petit avion de complaisance
un petit plaisir de vol
comme le cataclop du cheval
remonte la grand’ruemais rien n’a existé
l’enfance est loin
elle fut racontée
semant quelques souvenirs
de langue verte et bleue
de soleil et de ventcomme une fourmi passante
préoccupée de la suite
sans raison, rapide.
mise en abyme [de vieux]
se tiennent tous trois dans la lumière grise reflétée par l’eau
– de l’autre côté de la rive, une récente élue,
attroupement, caméras, discours –
leurs regards reviennent à leurs livres
elle raconte le contexte de sa trouvaille
– un livre inconnu soudain lui fait signe
dans un rayon de sa bibliothèque –
le plus vieux des deux hommes enchaîne
il y avait un Balzac mais j’en ai déjà quinze !
alors j’ai pris Aurélien, c’est son prénom
ajoute-t-il en se tournant vers l’autre en souriant,
jamais lu, souligne-t-elle
tandis qu’il manipule le volume, sa tranche orange
à l’épaisseur briochée de gros poche
on ne lit plus d’aussi gros, si ?
on n’y arrive plus, on est émietté, dispersé
on regarde dix trucs en même temps !
on a eu le temps, oh, trop de temps,
trop de temps devant les écrans, confinés
quoique, dit le plus jeune : des films, le replay,
ah le replay ! reprend le plus vieux,
et des concerts ! s’émerveille-t-elle
je préfère en chair, dit le plus vieux, sentencieux,
comme là le fait de se rencontrer sans se connaître…
mais le public ! vieux ! tous ces vieux, au théâtre aussi,
je ne peux pas les supporter ! se désespère-t-elle
c’est une mise en abyme, sourit finement le plus vieux.
devant un paysage, redites
des endroits de redites, si nécessaire
j’en dirais bien quelque chose !
prendre le temps de dire mais
prendre le temps de penser, d’abord
et pas trop de mots, pas trop
………………/
comme quoi c’est bien-dire qui importe
comme quoi : comme ceci est, ce scié
à préciser : pas bien dire comme bien dire,
mais bien-dire comme deux oiseaux qui se croisent
& se saluent : précis, joyeux, efficaces, trilles
ma langue à trous : effaceuse, subtilisant les excès
des endroits de redites, et même des trous
encore à lisser aux pourtours
\………………
laisser les restes, couvrir, cuire, dépecer
dans des désordres inconnus
sans retour valable, redites pourtant
devant un paysage ressemblant à un poisson
rester ou fuir : choix fallacieux
cheminement identique dans la mort de la chair
les puanteurs du poisson de plein air
des endroits de redites ?…si nécessaire