Rue, un texte

[avec Objet de rue, et Au bout de la rue, deux photos]

objet de rue

un texte qui dirait la rue comme M. l’aime
c’est à dire comme elle l’arpente depuis des années
à la recherche d’indices,
comme il est impossible qu’elle se la dise,

la rue ne fait que s’arpenter, ne montre presque rien
au bout de la rue, presque rien

au bout de la rue

cette question du regard est centrale, et pourtant
M. ne veut pas la voir, elle refuse de voir la question,
elle refuse d’accorder de l’importance aux photos
elle veut dire la rue, seulement, elle ne veut rien voir

il n’y a que deux photos, il ne reste plus que deux photos
et la rue s’est vidée : dans ce vide, M. passe

de l’intercalation en cale sèche

intercalage est moins employé
c’est une remarque qui me l’apprend

REM. Intercalage, subst. masc., rare. Action d’intercaler, d’insérer quelque chose ; résultat de l’action. Il n’y a pas eu non plus intercalage brusque d’un élément opaque qui aurait séparé l’antérieur du postérieur comme une lame de couteau sépare un fruit en deux (Sartre, Être et Néant, 1943, p. 61).

je m’occupe du sens B à propos de quelque chose que je suis tentée de faire pour ne plus assister à la défaite d’un texte que j’écris/n’écris pas

B − Ajout à l’intérieur d’un ensemble terminé. L’intercalation d’un mot, d’une ligne dans un acte, d’un article dans un compte, d’un passage dans un texte (Ac. 1835-1935).

j’intercale alors dans ce texte des mots en corps plus petit, comme
totalement cru,
général,
bizarre,
ces mots ne pouvant que faiblement faire état d’une continuité non plus que d’un sens très précis

pour parfaire mon émulation j’ajoute l’exemple proposé par métonymie que je suis obligée de relire une dizaine de fois et auquel je ne comprends toujours rien

Par méton. : Je vous envoie une intercalation, la pièce Tu peux comme il te plaît me faire jeune ou vieux, qui entre dans le livre II sous le numéro VIII et rejette au chiffre IX la pièce En écoutant les oiseaux. Modifier les chiffres d’ordre suivants en conséquence. Hugo, Corresp.,1855, p. 211.

puis je regarde les tiroirs de mon bureau, au nombre de huit, deux fois quatre, encadrant un double espace horizontal délimité par une étagère dont j’ignore si elle peut être définie par son intercalation, que je prononce alors mentalement

Prononc. et Orth. : [ε ̃tε ʀkalasjɔ ̃]. Att. ds Ac. dep. 1694.

les mots se dérobent et flottent dans une temporalité devenue incertaine, que le sens A me confirme avec la possibilité d’un treizième mois ajouté aux douze autres

A − CHRONOLOGIE. Addition périodique de jours à l’année civile afin de la faire coïncider avec l’année astronomique. Pour établir l’accord entre les mois lunaires et l’année solaire, les Grecs eurent recours, comme nous l’avons déjà vu chez d’autres peuples, à l’intercalation d’un treizième mois, ce qui donna des années de 354 ou 355 jours et d’autres de 383 ou 384 jours (Chauve-Bertrand, Question calendrier,1920, p. 54).

rien d’étonnant alors si la véritable nature de l’intercalation se révèle dans le bordel du monde tel que défini par le sens C

C − Introduction, insertion de quelque chose dans un ensemble ; fait que quelque chose apparaisse comme inséré dans un ensemble de nature ou d’aspect différent. Dans ces caillasses apparaissent tantôt des lits d’eau douce, tantôt des intercalations gypseuses, attestant l’évaporation qui se faisait dans les lagunes parisiennes (Lapparent, Abr. géol.,1886, p. 345). La répartition des terres et des mers, l’intercalation des plaines et des montagnes (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 214). [J’] insère des projets secondaires dans des projets primaires par truffage graduel ou intercalation (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 48).

 

 

[merci au CNRTL]

à ce moment les mots manquent

trop d’accès, trop d’accès !
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)
c’est la seule possible quand vous étouffez
je me noie, je me meurs !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

à ce moment les mots manquent
aucun sur le ciment, aucun sur le béton,
aucun dans les fleurs, aucun dans les buissons
roses de leurs promesses récurrentes,
jaunes de leur paralysie languissantebrique femme

de leurs vies ils vous entretiennent,
leurs orifices ils vous détaillent,
leurs organes ils vous jettent à la vue,
leurs sexualités ils dissèquent à tout va,
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)

je vous suis, je suis vous, non ! oui !
il n’y a qu’une seule bataille possible,
elle est cachée au fond du terrier, venez !
la terreur n’est pas dans le terrier, venez !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

©Picasso, fragment de brique décoré d'un visage de femme, 1962

dans la flaque l’écho du minuscule et de l’immense

nous hésitons devant la mer, qui tout d’un coup nous paraît plate,
et la ligne d’horizon muette,

nous réquisitionnons (le sens)

parce que ce n’est pas lu, ce n’est jamais lu comme ce devrait, l’éloignement s’impose,
parce que ce que nous avons sous les yeux n’est pas propice,
nous devons nous éloigner,
parce que tel qu’est le paysage, nous manquons de hauteur :
reculons-nous, éloignons-nous

il s’agirait de s’éloigner, d’avoir de la visibilité,
la plus visible des visibilités comme en haut d’un panorama montagneux,
comme le majestueux donne le la d’un paysage aux gravitations retournées (qui cacherait au fond de ses vallées nombre de vies)

la visibilité nous a été donnée dès le lever des brume matutinales, lentes

………………………………………………………………………………………………………

la ligne d’horizon était loin, loin de nos yeux, et n’existait pas
nos yeux ne pouvaient pas la voir,
ils la scrutaient pourtant avec insistance,
l’insistance de ceux qui existent et cherchent

là-bas loin, on ne pouvait rien apercevoir, la côte de l’autre bord,
le bord de l’autre côte : absent au voir, soustrait liquide bleu vert
amenuisé de dire, jouant avec les cailloux et le sable
y traçant dessins pour le prochain passant

nous avons cherché dans la flaque l’écho du minuscule et de l’immense

plus tard, il y eut ce dialogue, qui est le commencement de tout,
et dont la question est le régime de routine :
la ligne d’horizon avait une couleur, quelle en était la couleur ?
blanche, peut-être blanche, il nous semble que blanche

…………………………………………………………………………………………………

nous entendons les voix de ceux qui attendent derrière leur soupirail,
ils veulent avoir accès au panorama vert, bleu,
de nuances de vert et de nuances de bleu, les nuances infinies,
ils veulent l’infini (il n’y a d’insistance que d’exister)

pourtant introuvable poursuivre

dans le calme, dans la fureur, dans l’extase, dans les vapes,
dans l’irrésolu –
on est les mêmes à tout jamais, depuis le début et jusqu’à la fin

permanence de l’être : se cherche dans les dédales de la mémoire
se trouve quand ne se cherche pas –
permanence de l’être : petit mystère flottant sur crème du tempspixels

petit, durable, durant un temps sans dates, ne se retrouvant pas
hésitant, répétant, s’adressant à foule immédiate
immédiatement perdue, choses sans arêtes

préparer le pire, le flou, ce qui retombe à plat,
la sempiternelle confusion, la rougeur de ne pas savoir,
et qu’il y a, loin dans le savoir, l’insondable ignorance, aussi –

tout à coup proche du centre, du creuset, du creusement, du trou,
un trou non habité, un calme villageois –
on est les mêmes à tout jamais, depuis le début et jusqu’à la fin

préparation de l’impréparable – et comment s’y prendre –
guettant le moment d’ennui mortel qui déclenchera réellement
le signal du renversement

stance à la valeur *

toutes les légitimités ne s’équivalent pas
il y a différents stades, différents niveaux
il faut préciser cela, il le faut
il y a des meilleurs et des moins bons,
des carrément mauvais, des rien du tout

Camera_obscurail y a des références, des sentences,
des échelles de valeur, des valeurs différentes,
cela vaut, cela vaut moins, et même sans chiffre,
même sans nombre, même sans ombre,
la valeur valeureuse brille dans le panier des valeurs

la construction de la valeur étayée par des échafaudages
a toujours pour idéal le sommet, la cime, la hauteur
toutes les légitimités ne s’équivalent pas